problèmes

Poser de nouveaux problèmes, c’est le meilleur moyen de résoudre les anciens.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 34.

David Farreny, 23 mars 2002
labeur

Mercredi matin, nous avons fait les courses au Champion de Fleurance. Et c’était un moment délicieux. Je songeais une fois de plus à cette phrase qui me reste de Paris Texas, de Wim Wenders : « Nous étions si heureux que même de faire les courses au drugstore était un plaisir. » Sans doute étais-je seul à être si heureux ; et c’était un bonheur bien tremblant, bien mal assuré sur ses bases, et même tout à fait dépourvu de fondement, ainsi que la suite allait s’empresser de le prouver. Mais se disputer en riant pour savoir si l’on prenait tel ou tel type de biscuit, c’était exactement la vraie vie, à laquelle je me trouvais rendu après des années de malentendu, et que je trouvais seule normale, naturelle, consubstantielle à mon être, le revers exact de cette solitude et de cette tristesse à crever qui m’avaient vu si souvent pousser mon ridicule chariot le long des mêmes allées de supermarché, loin de toute raison d’exister et tout occupé au seul fastidieux labeur de durer. C’est à cela que me voici brutalement restitué. Je n’en éprouve que de l’horreur.

Renaud Camus, « dimanche 14 février 1999 », Retour à Canossa. Journal 1999, Fayard, pp. 129-130.

David Farreny, 14 mars 2004
hangar

C’est assez simple : dès qu’il y a de l’homme, il y a du hangar.

Renaud Camus, « jeudi 21 février 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 43.

David Farreny, 3 juil. 2005
cible

Fini de rire

le temps ne nous ratera pas

la cible

est bien trop grosse

Le givre a pris place

sous le ciel étoilé

il a tout cadenassé

l’air gît pétrifié dans les poumons

l’homme en pyjama appelle

vainement dans la nuit

une bête domestique

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 56.

Élisabeth Mazeron, 23 juin 2006
saisie

S’en tenir à ce qui est. Pas vraiment. S’en tenir, en écrivant, à la saisie la plus brute de ce qui est. Saisie miroitante. Ce qui est me contient. Il n’y a pas de réel éternel au-delà de ce transitoire pur que l’on voudrait parfois percer comme une croûte. Mais le ciel n’est pas une toile bleue ou grise, tendue, cachant on ne sait quelles coulisses.

Je suis ce qui est, et rien d’autre. Par contre, dans ce que je suis, il y a plusieurs mondes ou étages, comme on voudra la métaphore. Un homme est feuilleté ; il fait un tout parce qu’il faut, parce qu’il doit se simplifier, parce qu’on ne peut traiter avec une infinie agitation.

Le feuilleté ou l’immeuble sont encore des images trop approximatives, statiques. Je suis une incessante circulation dans « moi », somme virtuelle qui n’a pas plus d’existence que le réel en soi.

Quelle écriture, dès lors ? De poème en poème, poser des touches ; chacune d’entre elles vaut par elle-même et dans son rapport aux autres ; l’ensemble fera sens, souhaitons-le, à la fois mouvant et fermé, comme un mobile de Calder. Écrire est un mouvement perpétuel, pas éternel : vouloir fixer le tout est un leurre. L’instant aussi, une immobilisation, une photo plus ou moins floue, qui vaut mieux que rien. Mais cela n’arrête ni le mouvement de vivre, ni celui d’écrire ; c’est fixer du mort dès que fixer. En ce sens, l’entreprise démesurée de franchissement chez Reverdy ou du Bouchet est un sublime échec. La poésie ne peut pas dire l’en-soi ; elle est d’abord reconstruction langagière mais si elle s’en rend compte et le revendique radicalement (Ponge), elle se vide encore plus de matière pour tenter d’exister sur sa langue de terre.

En prendre acte. Il n’existe rien d’autre que des hommes qui se débattent.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 40.

Cécile Carret, 4 mars 2010
créancier

J’avais beau ne pas lui être très supérieur, il m’inspirait à la fois de la pitié et une vague répugnance ; mais la pitié de ce temps-là, demeurant sans effet, se dissipait aussitôt conçue comme fumée au vent, et laissait dans la bouche un inutile goût de faim. Comme tout le monde, sans toujours me l’avouer je cherchais à l’éviter : il était dans un état de besoin trop criant, et quiconque est dans le besoin est un peu notre créancier.

Primo Levi, « Capaneo », Lilith, Liana Levi, p. 8.

Cécile Carret, 21 mars 2010
étais

tout ce métal tout ce granit tous ces étais

pour que tienne le pariétal

quand tu ne craindras plus les eaux

tu t’appuieras au fond du crâne

comme à ce mur chaud

qui fait oublier le glaucome du soleil

et regarderas devant

Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine, p. 39.

David Farreny, 28 nov. 2010
désenchanteresse

L’éventualité de partir jette une clarté désenchanteresse sur l’histoire à laquelle je me suis trouvé mêlé. Sans doute fallait-il la juger importante lorsqu’elle était en cours. Elle devient singulièrement insignifiante quand elle semble pour s’achever.

Pierre Bergounioux, « vendredi 25 décembre 2009 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 1095.

David Farreny, 26 fév. 2012
fonce

Merde, le con, il est là, dit-il.

En effet, presque en haut, au moment où le plan de son regard rejoint le plan du quai, au ras du sol, il le voit qui est là, bleu et rouge, immobile, avec ses portes grandes ouvertes, ses fenêtres avec ces gens tranquillement assis qui regardent ailleurs, qui attendant, il les voit en même temps qu’il entend le signal :

Laaaaaaaaa.

Tu peux l’avoir, se dit-il. Non. Je te dis que tu peux l’avoir. Je te dis que non. Et moi je te dis que si. Allez, cavale, cavale, t’as le temps. Non. Je te dis que t’as le temps. Et moi je te dis merde. Pauvre con. Vas-y, nom de dieu, tu peux y arriver. Essaie, au moins, une fois dans ta vie, ne laisse pas tomber, tu laisses toujours tomber, défends-toi, bon dieu, allez, vas-y, fonce, fonce, alors il fonce.

Plus que dix mètres à courir.

Laaaaaaaaa.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 49.

Cécile Carret, 4 mars 2012
image

Je donnerais tout pour une image qui m’entraîne à sa suite dans un bruit de départ général.

Philippe Muray, « 20 août 1978 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 9.

David Farreny, 2 mars 2015

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