gens

« Moi j’aime les gens », écrit-il par exemple. Ou pire encore : « J’ai un gros défaut, mais qu’est-ce que vous voulez je n’arrive pas à m’en débarrasser : c’est plus fort que moi, il faut toujours que j’aime les gens. »

Je ne sais trop, pour ma part, si j’aime beaucoup « les gens », mais ce sentiment-là et son expression me paraissent tellement obscènes que j’hésiterais à les consigner, de toute façon, quand bien même ce serait au plus intime de mon journal intime.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 40.

David Farreny, 27 avr. 2002
menaçante

Un mode de la présence sur terre agonise, qui n’avait pas que ses mérites, bien sûr, mais qui avait produit de grandes œuvres, de beaux espaces et de hautes pensées. Beaucoup d’entre nous lui étions attachés, et celui que nous voyons s’apprêter à le remplacer, et même régner à sa place, déjà, en maints endroits, n’a pas de si évidents mérites, par comparaison, qu’il nous console de cette perte. Non seulement nous ne devons rien faire pour la différer, pourtant, il nous faut y applaudir des deux mains. Comme le disait avec une franchise menaçante une publicité des années récentes : « Nous allons vous faire aimer l’an 2000. » C’est un peu beaucoup nous demander.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 127.

David Farreny, 4 mai 2002
Atlantique

Je suis un être de lenteur, de retours en arrière, d’intentions à très long terme, de toutes ses forces et de tous ses sens appuyé sur le passé. Je me fais l’effet d’un mouvement historique enfoui sous les gestes des hommes qui met deux siècles à trouver son rythme et trois à s’accomplir. Je chemine à la vitesse des continents, il est bien peu probable que je voie jamais l’Atlantique.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 101.

Élisabeth Mazeron, 7 nov. 2007
avenir

L’avenir est difficile.

Pierre Bergounioux, « vendredi 2 août 1996 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 738.

David Farreny, 12 déc. 2007
est-ce

Aimer quelqu’un à partir de sa mort, est-ce de l’amitié ?

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 16.

Cécile Carret, 22 mars 2008
ville

Il ne m’est pas désagréable, non, de me retrouver au même point qu’hier ; cela veut aussi bien dire qu’hier contenait l’annonce d’aujourd’hui, et aujourd’hui celle de demain, et de tous les jours de ma vie. Et la nuit que j’ai passée dehors, c’est une ornière beaucoup trop creuse pour ne pas exister depuis longtemps ; voilà pourquoi je dis que je l’ai rêvée : je n’avais qu’à suivre l’ornière, comme on se laisse dormir. Je ne m’attends pas à mourir bientôt, mais je pense que je ne sortirai pas de cette ville ; elle est devenue mon jour et ma nuit ; je ne la connaîtrai peut-être jamais mieux que maintenant, où je suis immobile dans ma chambre, et pourtant j’écoute et je regarde comme si quelque chose de plus que ce que je connais pouvait m’apparaître d’un instant à l’autre.

Henri Thomas, La nuit de Londres, Gallimard, pp. 126-127.

David Farreny, 7 août 2009
solde

Ce serait bien s’il y avait moyen de se tirer soi-même d’emblée de soi-même. Mais on n’accède à notre âge, à notre être de raison qu’après avoir traversé l’épaisseur, la douleur de l’antique illusion. On s’est cru d’abord différent, dénaturé, pire qu’un scorpion, qu’une raie torpille car on ne les voit pas, eux, désespérer de leurs dards, accus, se frapper à la nuque, se consumer dans l’éclair d’un arc électrique.

Nous si. Nous, on peut. Il vient un moment où on va le vouloir et peut-être que ce moment, aussi, est nécessaire. C’est la quittance à verser au vieux sang, le tribut que la veille duperie réclame pour solde de tout compte.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, pp. 50-51.

Élisabeth Mazeron, 8 juin 2010
pituita

Un oiseau invisible pituita quelque part entre les herbes et les stratus, il y eut quelques souffles d’un vent âpre, puis tout se tut et, au bout d’un moment, le soleil apparut, et ensuite il se leva.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 69.

Cécile Carret, 4 sept. 2010
force

J’avais déjà trouvé en moi la force de fixer froidement le malheur, d’étouffer mes émotions, je commençais alors à comprendre la beauté qu’il y a à détruire.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
dispensés

Il y a des questions dont nous ne pourrions pas venir à bout si nous n’en étions dispensés par nature.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 456.

David Farreny, 8 nov. 2012
signifierait

Monsieur Songe dit sans y penser je n’ai jamais eu tant de peine à n’en avoir aucune. Et puis il se demande ce que ça veut dire. Il pense que la bête a perdu de son poil et qu’il éprouve moins qu’autrefois le besoin de lui en reprendre. Ce qui signifierait à première vue résignation et probablement déclin. À seconde, sagesse mais il faut bien peser ce mot-là. Il finit par opter pour le mot paresse qui soudain lui paraît d’un juste…

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 65.

Cécile Carret, 7 déc. 2013
altérité

Nos semblables ? Et en effet, certains le sont et ne le sont que trop, car après un premier mouvement de rapprochement fraternel, ces similitudes incontestables nous pèsent, nous écœurent, il n’est jamais agréable d’être l’un des termes d’un pléonasme. Mais les autres… leur bouche pleine de dents, leur ventre obscur, leurs gestes incompréhensibles, leurs propos insensés… la profonde et terrifiante énigme de l’altérité…

Éric Chevillard, « mardi 6 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
parfois

La noblesse humaine est l’œuvre que le temps cisèle parfois dans notre ignominie quotidienne.

Nicolás Gómez Dávila, Scolies à un texte implicite, p. 65.

David Farreny, 20 mai 2015
complicité

Pour les nouvelles (cf. note du 3 avril), camper en quelques personnages ce trait de l’idéologie de gauche, ce trait des idéologies tranquilles, dominantes, c’est-à-dire qui ne se posent jamais que comme réponse, qui n’ont aucune question en elles : la complicité abusive. « On va pouvoir redescendre dans la rue pour manifester ! » me dit quelqu’un qui ne s’est même pas préoccupé de savoir si j’étais d’accord. Je suis d’accord. C’est évident. Puisque je suis là, habillé normalement, l’air sain, riant, etc. Le « on » avant toute question sur moi. Engloutissons-nous ensemble plutôt que de risquer de découvrir que nous aurions un désaccord. Décrire ça comme une sorte de viol qui fait rage absolument partout et tout le temps.

Philippe Muray, « 12 avril 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 47.

David Farreny, 29 fév. 2016
convenu

C’était convenu entre eux, l’hôte accueillerait l’hôte. Ils se rencontrèrent à mi-chemin avec leurs valises.

Éric Chevillard, « vendredi 23 novembre 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024

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