prémonition

Qu’est-ce que le passé, sinon une intense prémonition de l’inévitable ?

Geoff Dyer, La couleur du souvenir, Joëlle Losfeld, p. 207.

David Farreny, 23 mars 2002
solution

Je suis ici, sur ce lit, comme un fainéant ; non point qu’il me déplaise d’être un terrible paresseux ; mais je hais de rester longtemps comme ça, quand notre époque est la plus favorable aux trafiquants et aux filous ; moi, à qui il suffit d’un air de violon pour me donner la rage de vivre ; moi qui pourrais me tuer de plaisir ; mourir d’amour pour toutes les femmes ; qui pleure toutes les villes, je suis là, parce que la vie n’a pas de solution.

Arthur Cravan, Maintenant, Seuil, p. 52.

David Farreny, 24 mars 2002
abattoirs

Quand furent promis à la destruction des abattoirs municipaux de pierre noire qu’elle trouvait beaux et où l’on retrouvait vaguement, en effet, le style d’un inconscient continuateur de Ledoux, ma mère tenta de les sauver. Elle échoua. Les abattoirs furent démolis. Elle en acquit pourtant les pierres. On inscrivit sur chacune un numéro à la craie pour les temps meilleurs qui permettraient la réédification, ailleurs, du monument. Ils ne sont pas venus. Les pierres, transportées à Montjuzet, y sont toujours, parmi les ronces. Les numéros sont effacés.

Renaud Camus, « lundi 28 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 93.

David Farreny, 30 juil. 2005
biais

Ce n’est pas tant Antoine que j’ai aimé que l’amour, que moi l’aimant. Rien de très surprenant dès lors à ce qu’il ne m’ait rien renvoyé. Il ne recevait de moi qu’un désir un peu agressif muré dans le silence. Je ne l’ai jamais aimé plus que moi-même. Je le voulais à mes côtés comme un défi au temps, au lieu et aux hommes. Je touchais là, je suppose, les limites de ma connaissance, j’envisageais le monde de biais.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 101.

Élisabeth Mazeron, 7 nov. 2007
avance

Le monde a pris une telle avance sur moi que j’en suis réduit à le regarder se perdre, là-bas, dans la distance, du côté du présent.

Pierre Bergounioux, « mardi 10 octobre 1995 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 627.

David Farreny, 12 déc. 2007
certaine

Tous les jours il faudrait évoquer — par écrit, peut-être —, afin d’oublier aussi peu que possible, afin d’habiter la terre avec toute l’acuité dont nous sommes capable, afin d’adhérer autant que faire se peut à notre histoire et bien sûr à notre géographie, un lieu du monde, pas nécessairement d’une beauté particulière, mais qui, pour une raison ou pour une autre, et souvent sans raison que nous soyons à même de démêler, s’obstine en nous, revient dans nos rêves, hante nos demi-sommeils et nos songeries involontaires. Qu’il soit aujourd’hui certaine ferme haute, entre Hermitage Castle et le hameau de Burnfoot, près de Tudhope Hill, à l’est de la route qui mène de Langholm à Hawick, dans les Cheviots, aux confins de l’ancien Roxburghshire et du Dumfriesshire (aujourd’hui des Borders et du comté de Dumfries & Galloway).

Renaud Camus, « samedi 6 août 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, p. 414.

David Farreny, 20 janv. 2009
accomplies

Orage violent cette nuit. Sommeil coupé par les coups de tonnerre et les éclairs. La pluie reprend avec force ce matin. De ma fenêtre, je regarde tomber les larges gouttes qui forment un rideau légèrement argenté entre les arbres et mon regard. Quelque chose de secret m’enchante qui remonte de l’enfance. La peur, la chaleur, la colère de l’orage, qui se fondent en pluie, qui se délivrent et engendrent la fraîcheur et la joie que l’on sent monter de la terre et des plantes assoiffées. La pluie est plus fine, les gouttes en tombant dans les flaques dessinent des cercles parfaits qui s’élargissent un instant et s’effacent aussitôt. Malgré les erreurs, les ratés qui encombrent notre conscience ou gisent oubliés dans l’inconscient, il se peut que nous ne puissions nous empêcher de tracer avec nos vies des formes accomplies. Que ce qui est dans notre esprit, fureur vaine, orgueil, médiocrité, déréliction, soit dans une perspective plus vaste aussi parfait qu’une goutte de pluie ou une feuille sur un arbre et ne puisse être autrement.

Nos richesses viennent d’une enfance qui demeure inaccessible ou d’imprévisibles rencontres.

Henry Bauchau, Jour après jour. Journal d’« Œdipe sur la route » (1983-1989), Actes Sud, p. 52.

Bilitis Farreny, 26 août 2011
tête

Il n’utilisait ni peigne ni brosse. Ses cheveux, auxquels collaient les duvets de l’oreiller, il les ébouriffa de ses doigts pour être dépeigné autrement que la nuit, et il arrangea ses boucles devant le miroir jusqu’à ce qu’il y aperçoive la tête qu’un jour il s’était imaginée, et qu’il avouait le plus volontiers être la sienne. Puis il noua sa cravate avec le plus grand soin.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 89.

Cécile Carret, 28 août 2012
anciens

On se nourrit des anciens et des habiles modernes ; on les presse, on en tire le plus que l’on peut, on en renfle ses ouvrages ; et quand l’on est auteur, et que l’on croit marcher tout seul, on s’élève contre eux, on les maltraite, semblables à ces enfants drus et forts d’un bon lait qu’ils ont sucé, qui battent leur nourrice.

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 207.

Guillaume Colnot, 27 fév. 2013
frais

Pour manger frais ton pain rassis, fais un petit effort de mémoire.

Éric Chevillard, « mercredi 17 décembre 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 déc. 2014

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