insistance

Je me répète, mais ce qui revient ne revient pas exactement au même niveau. C’est peut-être cela « une œuvre » (ce fantasme) : une insistance déplacée.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 181.

David Farreny, 4 mai 2002
hiver

Tout le monde est malade, grippe, arête, l’hiver taille en pièces. Genève, elle, est pleine de campagne et je te vois reprenant tes sentes sous les horloges bleues, et dans la nuit, au-dessus du lac, contre la montagne. LA PAIX HÔTEL DE LA PAIX HÔTEL DE sur son parapet. On doit entendre au Richemond des bouts de concerts. Je t’aime même dans mon sommeil. Je lis tard.

Dominique de Roux, « lettre à Christiane Mallet (15 décembre 1971) », Il faut partir, Fayard, p. 278.

David Farreny, 21 août 2008
colorier

Impossible que j’écrive sans me couper de l’extérieur pendant de longues périodes ; les promenades, les visites me troublent plusieurs jours, où mon texte flotte, répugnant, superflu, méconnaissable. Écrire est très malsain ; le recel et le contrôle de parole que cela exige sont un enfer quand on aime un peu vivre. Je ne veux pas penser que si un art doit torturer, isoler ceux qui le pratiquent, c’est qu’il est vieux, trop vieux, trop implacablement policé par un réseau trop serré d’exigences. Ou croire que les modestes réussites d’aujourd’hui sont arrachées au prix de plus de sacrifices et de tourments que les chefs-d’œuvre d’hier. Mais, qu’on s’impose de faire sérieusement un ouvrage, aucun art où le résultat soit toujours aussi imparfait, aussi discutable, et souvent ignoré ou haï : c’est comme si on se vidait de tout son sang pour colorier un chiffon sans valeur. La littérature est sans doute bien malade, si elle ne survit que dans de plates parodies rédigées comme on téléphone, ou quelques livres qui détruisent à demi ceux qui les font. Du moins, ce métier archaïque, je l’aime et je n’en veux pas d’autre.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
réclamaient

La trentaine est arrivée comme un désastre. Elle a balayé les espoirs, les visées de mes vingt ans. Ce que je ne voyais pas, ne voulais pas admettre, c’est que la seule vie que j’aie eue, le seul monde que j’aie connu — les premiers ; après, ailleurs, je n’ai plus fait qu’étudier — réclamaient. On n’est pas quitte du passé, d’autant moins qu’on ne l’a pas tiré au clair, porté dans la tardive lumière de la conscience dont il était justement privé.

Pierre Bergounioux, « jeudi 20 avril 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 791.

Élisabeth Mazeron, 1er janv. 2009
rapport

Jules Renard et Fernando Pessoa sont morts à l’âge que j’ai aujourd’hui. Vous ne voyez pas le rapport.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 54.

David Farreny, 17 juin 2009
subversion

Il n’y a pas de défaut dans la cuirasse des heureux du monde postsoixante-huitard. Ils ont le stéréotype sulfureux, le cliché rebelle, la doxa dérangeante et bien meilleure conscience encore que les notables du musée de Bouville décrits par Sartre dans La nausée. Car ils occupent toutes les places : celle, avantageuse, du Maître et celle, prestigieuse, du Maudit. Ils vivent comme un défi héroïque à l’ordre des choses leur adhésion empressée à la norme du jour. Le dogme, c’est eux ; le blasphème aussi. Et pour faire acte de marginalité, ils insultent en hurlant leurs très rares adversaires. Bref, ils conjuguent sans vergogne l’euphorie du pouvoir avec l’ivresse de la subversion. Salauds.

Alain Finkielkraut, « Les conformistes rugissants », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 102.

David Farreny, 25 janv. 2010
résidence

L’indifférence des sensations, dans ce succédané de monde extérieur, était des plus déconcertantes mais j’en ai pris mon parti comme je l’avais fait du puits de mine limougeaud, du grand souffle angoissant courant sur l’Aquitaine. Je ne vivais pas. Il n’y a qu’un seul endroit où cela se puisse et, comme je n’y étais pas, je n’existais point, du moins de la seule façon que je conçoive, sans réserve ni réticence, apaisé. En tout état de cause, j’étais libre de chercher à comprendre ce qui s’était passé avant, au loin. J’étais sur place, à l’endroit où les termes convenables avaient leur exclusive résidence et je pouvais prétendre les trouver enfin.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 64.

Élisabeth Mazeron, 12 mai 2010
dissolvant

Désir d’un sommeil plus profond, plus dissolvant. Le besoin de métaphysique n’est que le besoin de la mort.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 254.

David Farreny, 28 oct. 2012
garantir

Ce n’est que bien des décennies après que nous pouvons garantir que le nom de l’auteur n’ôtera pas son prestige à la citation.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 46.

David Farreny, 5 mars 2024

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