rationnelle

La sédentarité défiante, opiniâtre qu’on pratiquait était rationnelle.

Pierre Bergounioux, La puissance du souvenir dans l’écriture, Pleins Feux, p. 18.

David Farreny, 23 mars 2002
autres

On dit que la jeunesse est l’âge de l’espoir, justement parce que, quand on est jeune, on espère confusément quelque chose des autres comme de soi-même — on ne sait pas encore que les autres sont précisément les autres.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 168.

David Farreny, 24 mai 2003
ennui

On dirait qu’il commence à s’ennuyer. Or l’ennui, Ravel connaît bien : associé à la flemme, l’ennui peut le faire jouer au diabolo pendant des heures, surveiller la croissance de ses ongles, confectionner des cocottes en papier ou sculpter des canards en mie de pain, inventorier voire essayer de classer sa collection de disques qui va d’Albéniz à Weber, sans passer par Beethoven mais sans exclure Vincent Scotto, Noël-Noël ou Jean Tranchant, de toute façon ces disques il les écoute très peu. Combiné à l’absence de projet, l’ennui se double aussi souvent d’accès de découragement, de pessimisme et de chagrin qui lui font amèrement reprocher à ses parents, dans ces moments, de ne pas l’avoir mis dans l’alimentation. Mais l’ennui de cet instant, plus que jamais démuni de projet, paraît plus physique et plus oppressant que d’habitude, c’est une acédie fébrile, inquiète, où le sentiment de solitude lui serre la gorge plus douloureusement que le nœud de sa cravate à pois. Je ne vois qu’une solution : appeler Zogheb.

Jean Echenoz, Ravel, Minuit, p. 65.

Guillaume Colnot, 26 avr. 2006
méditer

Il faut de moins en moins écrire et bientôt ne plus écrire du tout. L’écriture est contraire à la méditation. Ta paresse à méditer s’appuie sur ce que tu comptes te délivrer à demi en écrivant.

Pierre Drieu La Rochelle, « Journal 1944-1945 : 8 janvier », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 74.

Élisabeth Mazeron, 20 juin 2009
concomitance

Ils se grattèrent le front à la naissance des cheveux au même moment mais sans concertation ; un soudain et commun besoin de montrer qu’ils réfléchissaient. La concomitance du geste suggérait un acte chorégraphique qui sapa l’idée même d’une réflexion, fit d’eux des singes devant une conque.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 111.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
topique

Mais le voyageur solitaire est un diable, et n’a droit qu’aux plus mauvaises chambres : en l’occurrence celles qui donnent sur la route qui monte au tunnel du Mont-Blanc. C’est un vacarme infernal de camions qui peinent. Je n’ai d’espoir qu’en ma fatigue.

Il faut bien le dire, Verceil craint. Y avoir vingt ans sans paradis artificiels doit être à mourir. Mais y avoir quarante ans un seul soir m’a plu, ce qui prouve bien ma perversion (topique).

Renaud Camus, « dimanche 21 décembre 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 554.

David Farreny, 19 avr. 2011
airs

Le géant charge donc l’arbre sur son épaule, tandis que le rusé petit tailleur dans son dos s’assoit à califourchon sur une branche. Puis il se met à plaisanter, à parler de choses et d’autres, à chantonner. Il sifflote des airs du métier, Trois Tailleurs s’en vont chevauchant, La Femme du drapier, J’ai raté mon ourlet, Une boutonnière hop là ! deux boutonnières, L’Aiguille et la bobine, Rapièce, mon gars, Pauvre tailleur, Suzon, t’assieds pas sur mes épingles, Fil blanc fil noir, comme s’il se jouait de l’effort et que ce fardeau ne pesait rien.

— On pose ? demande parfois le géant d’une voix qui s’altère.

— Poser quoi ? Continuons !

Et d’entonner La Complainte du dé à coudre.

— On pose ?

— Pourquoi donc ? Continuons !

Et d’entonner Rien n’est beau comme un col en loutre.

— On pose ?

— Nous n’y sommes pas encore, continuons !

Et d’entonner Mon velours et ta flanelle.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 68.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
oublier

Il y a pire que la chute. C’est la mauvaise pente. Ces traînées de mots qui traversent notre steppe intérieure, excluant tout autre langage, extinction totale des feux. Il va falloir les oublier, mais c’est impossible. Ineffaçable. On ne pourra plus jamais éviter cette ornière, il faudra passer par là.

Georges Perros, « Chutes de lecture », Papiers collés (3), Gallimard, pp. 152-153.

David Farreny, 27 mars 2012
mine

Pendant ces heures de lecture, mon père trouvait enfin, pour une fois, sa place, au soleil dehors sur le banc de la cour, ou sinon sur le tabouret sans dossier à la fenêtre de l’est, où il scrutait avec une mine puérile de savant chacun des caractères – image au souvenir de laquelle il me semble être encore assis auprès de lui.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 66.

Cécile Carret, 4 août 2013
aboli

Une dernière question : Georges Lukács n’a-t-il jamais, au grand jamais, envisagé que, quand la justice sociale sera enfin établie, quand chacun travaillera dans la dignité sans plus être exploité, sera pourvu selon ses besoins, etc., alors, comme l’écrit une adepte de Schopenhauer, Janine Worms, « tout écran aboli devant la catastrophe de notre condition, les “heureux” se battront pour une place à l’asile » ?

Roland Jaccard, « Les idoles du néant », La tentation nihiliste, P.U.F., p. 90.

David Farreny, 9 déc. 2014
croire

Il y a une grande différence entre croire encore à quelque chose et y croire de nouveau. Croire encore que la lune influence les plantes appartient à la sottise et à la superstition, mais le croire de nouveau démontre de la philosophie et de la réflexion.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 251.

David Farreny, 17 déc. 2014
morts

Combien de livres morts pour moi… Même parmi les plus grands, même ceux de nos chers auteurs, Balzac, je connais par cœur ta chanson, Hugo, je n’ai plus assez d’entrain pour te rejoindre au sommet de ton emphase, Kafka, mon âme ne saurait se tordre davantage, Proust, je suis fatigué de tes subtiles investigations, Céline, j’ai pour toi la camisole de ma lassitude… Les œuvres sont éternelles, mais le lecteur prend de l’âge. Car, évidemment, c’est bien moi plutôt qui suis déjà mort pour elles.

Éric Chevillard, « lundi 15 mai 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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