tombe

Si j’ose dire, ma propre vie me tombe des mains.

François Nourissier, Le musée de l’homme, Grasset, p. 215.

David Farreny, 26 avr. 2009
pitié

je fume une cigarette

tout nu dans mon lit

la nuit est tombée

le réveil fait tic-tac

j’entends des pas dans l’escalier

des voix qui s’engueulent

des bruits de radio de télé

un robinet qui coule

l’amour attend blotti

dans mes deux couilles

j’ai envie de baiser ce soir

mais le téléphone sonne absent

la ville aura-t-elle

pitié de moi ?

William Cliff, Marcher au charbon, Gallimard, p. 95.

David Farreny, 20 déc. 2009
rêve

Je m’installai là, dans ce rêve, dans cette ville. Il y avait des millions de maisons abandonnées, dont les portes, comme partout ailleurs, avaient servi de bois de chauffage, de sorte qu’il fallait chercher dans les recoins les moins accessibles pour trouver un logis décent. Je m’appropriai un trois-pièces en lisière des dunes rouges. L’existence se poursuivit, elle n’était ni dangereuse ni agréable. On me confia plusieurs activités indécises, des tâches sans queue ni tête, et, pour finir, on m’attribua un emploi stable près des incinérateurs. Je dis on pour donner l’impression qu’une organisation sociale était en place, mais, en réalité, j’étais seul.

Dix mois plus tard, je revis Sophie Gironde.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 193.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
musique

La musique m’ouvrit une autre voie, ou me révéla une voie qu’à vrai dire je ne cessais d’emprunter sans m’en apercevoir. Au lieu de regarder jalousement mon douloureux ennui, lui préférant toute forme d’activité, refusant de loger en lui quelque chose qui risquerait de le dénaturer (refusant même de comprendre que l’ennui était un logement), il était possible d’ouvrir l’ennui à cette forme en expansion indéfinie qu’était la musique : si on acceptait de l’écouter, de la laisser développer votre attention, elle passait un pacte avec ce qu’était en définitive l’ennui, à savoir une vie intérieure informe et agitée, une vitalité confuse, empêtrée, en attente de formes, le chaos originel revenu se poser sur le monde.

Quel rapport les Brandebourgeois de Bach ou Honeysuckle Rose avaient-ils avec ce chaos qu’apparemment ils n’avaient pas oublié ni effacé ?

Sans doute que, comme toute composition musicale, ils s’étaient donné pour tâche de mettre en forme ce que l’ennui, malgré la douleur qu’il inflige, sa pesanteur propre, libère et fait venir au jour : la matière mobile et non verbale de la pensée, disons de la vie mentale, qui n’est visible de façon aussi flagrante que quand elle est ainsi inoccupée et tournoie de souci en pensée vague, adonnée à sa propre mobilité.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 45.

Cécile Carret, 13 mars 2011
mettable

Ah ! la beauté des jeunes filles ! Souvent, quand je vois des robes ornées de plis, de ruches et de franges de toutes sortes, bien tendues sur de jolis corps, je pense qu’elles ne resteront pas longtemps ainsi : elles prendront des plis qu’on ne pourra plus lisser, la poussière se nichera au plus profond des garnitures et on ne l’en retirera plus, et personne n’aura la tristesse et le ridicule d’enfiler chaque matin cette belle robe précieuse, pour ne la retirer que le soir. Et pourtant, il en existe de ces jeunes filles, de jolies filles pourtant aux muscles ravissants, aux fines chevilles, à la peau doucement tendue, avec des flots de cheveux vaporeux, qui enfilent journellement ce sempiternel déguisement, posent chaque jour le même visage dans le creux de la même main et le contemplent dans le même miroir. Parfois seulement le soir, en rentrant tard de quelque fête, elles découvrent dans leur miroir un visage usé, bouffi, poussiéreux, un visage trop vu et à peine mettable.

Franz Kafka, « Description d’un combat », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 43.

David Farreny, 19 nov. 2011
éléments

À quelque distance de la ville, on peut rêver le désert, la solitude la plus absolue. Toutes les maisons disparaissent entre les collines qui les abritent, et l’on n’aperçoit que la mer, les montagnes et le ciel. Là règne le silence des lieux inhabités. Pas une voix humaine ne se fait entendre, pas un chant d’oiseau ne s’élève dans l’air, pas une feuille ne soupire. Tout est calme, repos, sommeil ; et si après avoir contemplé ce tableau oriental, on reporte ses regards sur cette terre si nue, sur ces landes rocailleuses qu’on a à ses pieds, on dirait que la nature a jeté là par grandes masses tous les éléments d’une création splendide, et ne s’est pas donné la peine d’achever son œuvre.

Xavier Marmier, Lettres sur le Nord, Delloye.

David Farreny, 21 avr. 2013
macérations

Mais le souverain détachement des choses de ce monde auquel je m’efforçai de parvenir par la méditation, l’ascèse, le yoga, le jeûne, l’abstinence, la lecture des stoïciens et l’étude des grands sages de l’Orient me vint finalement comme une grâce avec la dépression consécutive à ces macérations.

Éric Chevillard, « lundi 1er juin 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024
prononcer

Ces pays dont on ne sait trop comment prononcer le nom, par exemple la Bouriatie, sont irritants au plus haut degré. On voudrait n’être jamais venu au monde.

Olivier Pivert, « Bouriatie », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 26 avr. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer