monolithe

L’école du respect ignore superbement les distinctions fondatrices du respect de l’école. La réalité humaine qu’elle prend en charge est tout d’une pièce. La culture dont elle est occupée n’est plus une ascèse personnelle et une destination commune, c’est une origine particulière et un intouchable prédicat. Ce n’est plus un cheminement ou un arrachement, c’est un monolithe. Ce n’est plus le soin de l’âme — car l’âme a rendu l’âme — c’est une déclaration d’identité. Alors même qu’il est confronté à la violence de l’être brut notre monde abandonne la culture de l’être pour l’apologie culturaliste de l’être-soi.

Alain Finkielkraut, « Sauve qui peut le respect », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 252-253.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
contradiction

La matière est, par suite, en premier lieu, de façon essentielle, elle-même pesante ; ce n’est pas là une propriété extérieure, aussi séparable d’elle. La pesanteur constitue la substantialité de la matière, celle-ci elle-même est le fait de tendre vers le centre, qui, toutefois — et c’est là l’autre détermination essentielle — tombe en dehors d’elle. […] Mais le centre n’est pas à prendre comme matériel ; car l’être matériel consiste précisément dans le fait de poser son centre hors de soi. Ce n’est pas ce centre, mais ce fait de tendre vers lui qui est immanent à la matière. La pesanteur est, pour ainsi dire, la confession de la nullité de l’être-hors-de-soi de la matière dans son être-pour-soi, de sa non-subsistance-par-soi, de sa contradiction.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « La mécanique finie », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 205.

David Farreny, 7 fév. 2011
vieilles

Il y avait dans le paysage, jusque dans les années 70, une stabilité et une inertie toute séculaire. Les vieilles fermes au coin des routes. Les choses avaient une force placide, une pesanteur. Le sentiment du monde était écrasant.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 80.

Cécile Carret, 22 sept. 2013
banlieues

Les premiers ramas informes des banlieues exhalent les sueurs acides de la nuit. Vus de cette hauteur, les bâtis tassés les uns contre les autres dessinent la planimétrie d’une ville en ruine, comme ravagée par une guerre sournoise. Ce sont les restes d’une rêverie que l’aube de l’aviation, vers 1910, avait vu prendre forme sur les planches à dessin où les ingénieurs projetaient la cité future. Elle ne s’est pas réalisée. Ne restent que ces parallélépipèdes de béton, ces pauvres fabriques, ces débris de cabanes, de masures, de petits pavillons faits de maigres matériaux, toutes ces épaves laissées dans les banlieues par le reflux des utopies. Interminable paysage de chantiers, dont on ne distingue pas s’ils sont en cours ou bien déjà abandonnés.

Jean Clair, Lait noir de l’aube, Gallimard, p. 147.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013
capable

Il n’a jamais prétendu être un génie, de toute façon, il n’y voit pas même une question, fadaises et billevesées. Le génie se fabrique, ou se libère peu à peu, à l’instinct. N’importe qui peut peindre, n’importe qui devrait prendre la liberté de peindre, parmi ceux qui en ont les moyens matériels, le monde irait moins mal, il y faut bien sûr un minimum de talent, de la dextérité, une intelligence sensible, des pinceaux et des tubes de couleur si l’on va par là, mais le plus important est ailleurs. La difficulté n’est pas d’avoir reçu ou non il ne sait quel don d’il ne sait quel ciel, rodomontades, la difficulté est de ne pas se laisser entraver par ce qui limite l’écrasante majorité des individus et même des artistes, non seulement l’abrutissement ordinaire et le confort soporifique, mais aussi bien la complaisance et le bon goût, l’effroi et la demi-mesure, plus encore la raison raisonnante qui menace toujours d’arraisonner, de provoquer la censure de son propre geste, coupant de l’intuition et donc de l’instinct qui est premier et qui doit le rester, cela aussi Proust l’affirmera sous peu, précisant qu’en matière d’art et de création « cette infériorité de l’intelligence, c’est tout de même à l’intelligence qu’il faut demander de l’établir. Car si l’intelligence n’a dans la hiérarchie des vertus que la seconde place, il n’y a qu’elle qui soit capable de proclamer que l’instinct doit occuper la première. »

Bertrand Leclair, Le vertige danois de Paul Gauguin, Actes Sud, p. 19.

Cécile Carret, 9 mars 2014
chevillard

CHEVILLARD : Boucher d’abattoir qui vend sa viande en gros ou demi-gros, prétend le dictionnaire, c’est mal me connaître : je vends très peu, toujours au détail. Vraiment, on se demande parfois quels historiographes incultes ou négligents se chargent de rédiger les notices consacrées aux grands hommes.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 167.

Cécile Carret, 9 mars 2014
voyagent

De nombreux hommes reposent déjà dans une paix absolue ; partir, monter en selle, être porté, cela ne les regarde plus. Même les morts voyagent durant l’année : autour du soleil.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 257.

David Farreny, 17 déc. 2014
épuisé

Notre psychologie finira par s’immobiliser pour devenir un matérialisme subtil, car nous avons toujours plus à apprendre d’un côté, celui de la matière, et de l’autre, nous avons épuisé toutes les possibilités.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 300.

David Farreny, 20 fév. 2015

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