tel

Tardivement, les platanes du boulevard MacDonald ont perdu toutes leurs feuilles, lesquelles se sont amoncelées ici et là en couches épaisses : ainsi le long de la grille qui sépare le trottoir nord du boulevard des voies de la gare de l’Est, près de l’entrée de la déchetterie, autour de cet objet couché de travers sur le bitume, grossièrement cylindrique, de couleur grise, de texture granuleuse, tel un pied d’éléphant au terme d’un long séjour dans le permafrost.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 194.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
préciosité

Six heures… On a un continent en face de soi, pourtant, avec ses sommets, ses cités, ses routes et ses solitudes. Alentour, des pins, des parcs profonds, quelques balustrades, des terrasses. On s’assoit côte à côte à une branlante table de fer, devant le petit café qui jouxte la chapelle. On se tait, les mains se frôlent pour atteindre les verres ou se passer les jolies cartes postales anciennes qu’on vient d’acheter. On songe aux singularités du destin, à la fragilité des amours, à la tendresse des soirs, à la préciosité des moments, à des morts, à des disparus, à des oubliés, à des inoubliables qui vous oublient.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 247.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
déplie

Et depuis, chaque jour, ou presque, je me suis découvert de nouveaux sens. Ma vie m’intéresse prodigieusement. Je me relève, je me déplie, je m’étends dans beaucoup de directions. On a été si longtemps assis sur moi…

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 204.

Élisabeth Mazeron, 14 juin 2006
Parthénope

Oh vite ! les rues au bout les unes des autres, vides, luisantes, fraîches, avec des amoncellements de fleurs, déjà, aux tournants et sous les porches. Surprise ainsi, à cette heure où elle dort encore, Naples n’est plus la ville que connaissent les touristes ; c’est la Parthénope éternelle, celle de l’avenir plutôt que celle du passé, décor permanent pour les scènes de plusieurs siècles ; longues perspectives de façades jaunes, blanches, roses et gris-bleu quadrillées de vert par les volets et les persiennes, de terrasses, de cirques où la lumière est toute seule au centre de sa conquête, de colonnades, de portiques, de statues. Heure vide et comme hors du temps, heure où les palais jouissent en paix de leur ombre, qui tourne lentement à leurs pieds majestueux. Pour la ville, réduite, en cet instant, à sa réalité essentielle, ce jour n’est pas plus le 7 avril 1903 que le 7 avril 1803 ou le 7 avril 2003. Dans un moment ses passants, ses figurants d’un jour, en paraissant dans ses rues et ses places, marqueront la date exacte, l’instant qui est à eux ; mais la ville gardera, au-dessus d’eux, comme un secret, la garantie de durée qu’elle porte dans ses pierres, l’avenir qui est dans son ciment et dans ses pierres, et l’effrayante science de ses ruines futures, peut-être au fond de la mer, ou sous les flots durcis de lave, ou sous ce même ciel…

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, pp. 661-662.

Élisabeth Mazeron, 1er avr. 2008
calao

On est parce qu’on porte un brin de paille. Quelqu’un nous l’a laissé quand ce fut l’heure de le porter. Et la réciproque est vraie : on porte un brin de paille, un étui pénien, l’ordre du grand calao parce qu’on est.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 7 juin 2010
su

Peut-être que tout ce que j’écris, tout le monde l’a toujours su, et sagement jugé qu’il était inutile de le dire parce que ça n’empêcherait pas que ça soit. Sûrement. Mais est-ce que la Littérature ne consiste pas à décrire l’intolérable, c’est-à-dire ce qui va de soi ?

Philippe Muray, « 5 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 131.

David Farreny, 4 mars 2016
religiosité

Religiosité contemporaine monstrueuse. Pourquoi ? Parce que plus personne, à moins d’être fou à lier, ne croit plus à la résurrection des corps ou à la vie éternelle. L’ennui, c’est que ce soit la seule croyance qui ait disparu. Tout le reste est intact, toute la religion est intacte. Or, c’était la seule croyance qui, parce qu’elle était réellement folle, justifiait la folie religieuse.

Philippe Muray, « 13 janvier 1991 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 409.

David Farreny, 23 fév. 2024

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