devenus

Ce qui me paraissait incroyable, plus exactement, ce n’était pas que Pollux et moi soyons intimes — tous les couples ou presque partagent la même intimité —, c’était plutôt que nous soyons devenus intimes (comme tout le monde).

Philippe Jaenada, Le chameau sauvage, Julliard, p. 271.

David Farreny, 20 mars 2002
et

Mon bonheur serait parfait, n’était la fugitive angoisse d’en fouiller le secret pour le retrouver demain et toujours.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 83.

David Farreny, 24 mai 2003
délasser

Fade matinée. Je dépêche les paquets de copies qui s’accumulaient. Jean vient couler un œil sur la besogne. Il en conçoit une haute idée parce que je suis en train de juger ses semblables. La corvée expédiée, je passe à la dernière livraison des Actes de la recherche, lis l’article de L. Pinto sur l’enseignement de la philosophie puis, pour me délasser de cette analyse rigoureuse, un peu austère, la Géologie des gîtes minéraux de Raguin.

Pierre Bergounioux, « mercredi 8 juin 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 212.

David Farreny, 14 mars 2006
retrouver

Peut-être faut-il se sentir pauvre pour retrouver cette âme en soi, celle qui n’aime pas le vide.

Dominique de Roux, « lettre à Robert Vallery-Radot (22 novembre 1969) », Il faut partir, Fayard, p. 247.

David Farreny, 21 août 2008
courtines

L’ombre des chouettes sur courtines du lit par lune à Combourg.

Paul Morand, « 8 septembre 1968 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 48.

David Farreny, 25 mai 2009
phantasmes

Dino Egger n’est pas un de ces phantasmes, sa pomme d’Adam rougit sous le feu du rasoir, ses cheveux ne tiennent qu’à un fil sur son crâne, il est sujet à des maladies triviales et humiliantes, à des abcès dentaires, à des accès de rage ou d’impatience. Il vivra un temps de petits larcins, d’expédients inavouables. Un marron sur son chemin, il donnera un coup de pied dedans. Il se masturbera sur des images. Il aura peur des chiens, des araignées et des chauve-souris. Il n’est pas beau, et je suis poli. Un jour, il avale une limace minuscule avec sa feuille de salade. Parfois, il pousse une porte qu’il fallait tirer pour ouvrir, et parfois, le contraire lui arrive aussi, tire quand il faudrait pousser. Sa prodigieuse intelligence se forge dans les épreuves, contre ce corps vulnérable, débile, malhabile, qu’il désavoue, où il se trouve logé comme une famille dans une cave et qu’il ne fait pas sien, ne passant vraiment dedans que ses nuits, hors de lui tout le long du jour, dans le nuage de craie de ses calculs, dans le songe de ses pensées.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 34.

Cécile Carret, 27 janv. 2011
arpenteur

Finalement il dit à K. :

« Comme vous avez pu le remarquer, monsieur l’Arpenteur, j’ai bien eu connaissance de toute cette affaire. Si je n’ai encore rien fait, c’est d’abord à cause de ma maladie, puis parce que, ne vous ayant pas encore vu, je pensais que vous aviez renoncé à la chose. Mais, puisque vous avez l’amabilité de venir me voir personnellement, il faut bien que je vous dise toute la vérité, la désagréable vérité. Vous êtes engagé comme arpenteur, ainsi que vous le dites, mais malheureusement nous n’avons pas besoin d’arpenteur. Il n’y aurait pas pour vous le moindre travail ici. Les limites de mes petits domaines sont toutes tracées, tout est cadastré fort régulièrement. Il ne se produit guère de changement de propriétaire ; quant à mes petites disputes au sujet des limites, nous les liquidons en famille. Que ferions-nous dans ces conditions d’un arpenteur ? »

Bien qu’il n’y eût encore jamais réfléchi, K. se trouvait convaincu dans son for intérieur qu’il s’était toujours attendu à une déclaration de ce genre.

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 552-553.

David Farreny, 22 oct. 2011
beauté

Mon amie avait toujours qualifié les autres de beaux – c’était le premier être à qui, intérieurement, j’appliquais ce mot. Je n’échangeais jamais avec lui d’autres mots que ceux des saluts, des commandes et des remerciements ; il ne parlait pas aux clients, ne disait que le strict nécessaire. Sa beauté venait d’ailleurs moins de son aspect que d’une attention constante, d’une vigilance aimable. Jamais on n’avait besoin de l’appeler ni même de lever le bras : debout dans le coin le plus reculé de la salle ou du jardin, où il s’installait quand il avait un moment de liberté, et rêvant apparemment à quelque lointain, il embrassait tout le secteur du regard et suivait la moindre mimique, la prévenait même, incarnant l’image de la « prévenance » d’une autre manière que le ferait l’idéal d’un manuel de savoir-vivre. […] Curieux aussi le soin avec lequel il traitait les objets les plus ordinaires ou les plus détériorés (il n’avait pratiquement que de ceux-là à l’auberge) : la façon dont il vérifiait le parallélisme des couverts de fer-blanc, dont il essuyait le bouchon en plastique du flacon de condiment. Une fois, il se tenait debout, en fin d’après-midi, dans la pièce nue et vide, regardant, immobile, devant soi, puis il se dirigea vers une niche éloignée et eut pour la carafe qui s’y trouvait un geste tendre qui emplit d’hospitalité la maison tout entière.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 177.

Cécile Carret, 21 sept. 2013
mécano

Le réel, le monde tangible. Le décor pratique, celui qui fait la toile de fond de notre présence au monde.

Celui que les enfants ne gouvernent pas et que leur organisent les adultes ; leur frénésie de tuteurs affairés et pressés, souvent irascibles au moment des transitions vers d’autres univers. Leur mécano du quotidien, qui a souvent pour public la distraction des petits.

La noria des gestes refaits chaque jour.

Les gestes opiniâtres et répétitifs, le corset de nos jours. La Maison. L’école.

Et puis le reste, ce qui ne se voit pas dans le décor. Les pensées, les envies, les rêves, les cauchemars, les détestations : la lune.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 99.

Cécile Carret, 25 sept. 2013
période

Mon corps, depuis quelques années déjà, est entré dans une période néo-expressionniste.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 37.

David Farreny, 8 oct. 2014

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