nabots

La musique corrompue par la théorie, la technique, d’où l’effondrement de la personnalité et un rapetissement si brutal des compositeurs qu’on ne saura bientôt plus quel nom donner à ces nabots.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 165.

David Farreny, 22 mars 2002
fondation

Je suis arrivé au tréfonds de mes convictions.

Et, de ce mur de fondation, on pourrait presque dire qu’il est supporté par toute la maison.

Ludwig Wittgenstein, De la certitude, Gallimard, p. 74.

Guillaume Colnot, 28 août 2003
meurt

Dans les galeries de ce terrier aérien, la bête insensée que nous sommes, meurt de s’unir à la bête future que nous enfermons, et que nous poursuivons, et que nous ajustons, dehors, aveuglément, avec une arme sans défaut qui ne peut abattre que nous.

Jacques Dupin, « L’embrasure », Le corps clairvoyant, Gallimard, p. 170.

David Farreny, 8 mai 2004
préciosité

Six heures… On a un continent en face de soi, pourtant, avec ses sommets, ses cités, ses routes et ses solitudes. Alentour, des pins, des parcs profonds, quelques balustrades, des terrasses. On s’assoit côte à côte à une branlante table de fer, devant le petit café qui jouxte la chapelle. On se tait, les mains se frôlent pour atteindre les verres ou se passer les jolies cartes postales anciennes qu’on vient d’acheter. On songe aux singularités du destin, à la fragilité des amours, à la tendresse des soirs, à la préciosité des moments, à des morts, à des disparus, à des oubliés, à des inoubliables qui vous oublient.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 247.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
méchanceté

Cela suffit. Cela n’est rien ; une invitation à laquelle on n’a pas répondu, et l’instant passe ; la peine d’avoir fait de la peine à quelqu’un qu’on n’aime pas ; l’intelligence qui voudrait pouvoir accepter davantage ; la vanité qui reparaît sous un nouveau masque ; le geste déjà fait, les paroles déjà dites ; la vieille pitié pour le sot qui affirme, qui réclame conte l’ordre établi, et qui se fâche ; les yeux de l’amour qui vous ont regardé un moment à travers les yeux de quelqu’un, et déjà ce visage se détourne ; le silence des pauvres qui meurent tous les jours pour nous ; le murmure des gens qui prient pour nous dans les couvents… Ah ! ce n’est rien que la petite méchanceté de vivre…

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 247.

Élisabeth Mazeron, 14 juin 2006
théophaniques

Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ou ne vaut rien ? Est-ce que ce sont nos yeux, qui sont les mêmes, ceux de Vincent, du facteur et les miens ? Est-ce que ce sont nos cœurs qu’un rien séduit, qu’un rien éloigne ? Est-ce toi, jeune homme qui es assis chez Antoine Vollard, qui as posé à côté de toi ton chapeau et avec feu entretiens de très jolies femmes à propos de la peinture ? Ou vous, toiles perchées dans Manhattan, marchandises qui dans vos lubies théophaniques réjouissez les dollars et ce faisant sans doute approchez un peu de Dieu, aussi ? Est-ce toi, browning ? C’est toi peut-être, Vieux Capitaine coiffé d’azur qui regardes un petit tas bleu de Prusse tombé sur un chemin ; c’est vous bêtes blanches, savantes et muettes, dont loin d’ici rue des Récollettes on touche le volume exact, qui connaissez ce qu’exactement valent trois francs ; c’est vous, corbeaux là-dessus volant que nul ne saurait acheter, dont on n’a pas l’usage, qui ne parlez pas et n’êtes mangés que dans les pires disettes, dont Fouquier même ne voudrait pas à son chapeau, chers corbeaux à qui le Seigneur a donné des ailes d’un noir mat, un cri qui casse, un vol de pierre, et par la bouche de Linné Son serviteur le nom impérial de Corvus corax. C’est vous, chemins. Ifs qui mourez comme des hommes. Et toi soleil.

Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin, Verdier, p. 72.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2007
modulations

Aller un peu mieux, un peu moins bien, ce ne sont que les modulations d’une universelle condition, qui consiste à être, et dont on ne sait pas quoi dire d’autre. Je suis, voilà ce que tu entendais ta mère déclarer au téléphone, je suis, avec incertitude, hésitation, parce qu’on n’en est jamais tout à fait certain. Que répondre à cela ? Et puis, tu ne le sais pas encore tout à fait, mais cela viendra, on le sait en toi, et pour toi, il n’y a rien à dire de ce qui est.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 303.

David Farreny, 2 déc. 2009
tendance

Entre la mémoire aux aguets et le culte des exceptions, allez vous y retrouver pour être, à tout coup, tendance ! Un jour vigilant, le lendemain politiquement incorrect, passant sans crier gare de l’antifascisme ombrageux au dandysme dédaigneux, le pouvoir spirituel de notre temps semble décidément bien frivole et versatile. il y a pourtant une continuité dans cette inconséquence : celle du Tribunal qu’il incarne et des procès qu’il ne cesse d’intenter en s’abreuvant à ces deux sources intarissables de la persécution : l’amour de l’humanité et le mépris des gens.

Alain Finkielkraut, « Tendance », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 262-263.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
bâillante

Dieu sait quel désir avait à ce point levé la terre et les arbres sur la terre et le ciel parfait au-dessus des arbres. L’homme qui croyait savoir, d’expérience et de réflexion, l’essentiel de la vie, n’en revenait pas de la densité de joie qui fixait le temps aux marges infimes de l’éternité. De hautes fleurs bleues balançaient leurs clochettes. Il aurait fallu respirer sans bouger et que, dans les veines, le sang courût sans mouvements. Alors peut-être, proie toute pure de sa ferveur, l’homme eût-il atteint ce qu’il était venu chercher : un souvenir aboli, un mot oublié, un désir inconnu — la vérité dont son être était le fruit égaré, la plénitude de ce qui n’avait guère été jusqu’à présent, chez lui, que le vide, le creux, la vallée bâillante et sans foi.

Claude Louis-Combet, « La tombe à son plus haut point », Rapt et ravissement, Deyrolle, p. 38.

Élisabeth Mazeron, 29 mars 2010
décrire

Ces édifices, dont on ne peut percevoir que des fragments, sont en effet à peine visibles dans la végétation sur laquelle nous allons revenir. Nous devrons en effet y revenir quoique nous aurions peut-être pu, peut-être dû commencer par elle, nous ne savons pas.

Nous ne le savons pas, pour tant qu’il est difficile dans une description ou dans un récit, comme le fait observer Joseph Conrad dans sa nouvelle intitulée « Un sourire de la fortune », de mettre chaque chose à sa place exacte. C’est qu’on ne peut pas tout dire ni décrire en même temps, n’est-ce pas, il faut bien établir un ordre, instituer des priorités, ce qui ne va sans risque de brouiller le propos : il faudra donc revenir sur la végétation, sur la nature, cadre non moins important que les objets culturels – équipements, bâtiments –, que nous essayons d’abord de recenser.

Jean Echenoz, « Caprice de la reine », Caprice de la reine, Minuit, p. 21.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
torréfiée

Il reste à dire sur le pin après le remarquable et aigu Carnet du bois de pins de Francis Ponge (il restera toujours). Sa relation vitale avec le sol sableux qu’il natte, feutre, stérilise et désherbe, afin que rien ne se perde dès le collet, de la grâce exotique et japonaise qu’a parfois la torsion capricieuse du tronc. Comment il utilise la jonchée sans couture autour de lui de ses aiguilles : à la manière d’un miroir qui renverrait et répercuterait non son image, mais sa chaleur et son odeur torréfiée ; ainsi le sol lustré, cuirassé par lui est pour son essence résineuse et odorante ce qu’est à une plante aquatique le miroir d’eau qui exalte sa verticalité.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, p. 47.

David Farreny, 18 oct. 2014
ensuite

52 ans aujourd’hui. J’ai donc survécu à Molière, Balzac, Rilke, Proust et Artaud. C’est intéressant car ainsi nous allons savoir ce qu’ils auraient donné ensuite.

Éric Chevillard, « samedi 18 juin 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 juin 2016

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