intérieur

Toute relation, tout commerce, crée un tiers, un lieu, dans l’espace clos duquel s’établissent, s’organisent, se jouent, les rapports. Deux hommes qui parlent ne devraient pas se regarder, mais obliquement, observer le point de jonction que leurs propos, leurs échanges, leur silence, provoquent. En amour, le lieu est à l’intérieur. Les deux corps pensants recherchent l’union dans un rapprochement, une pénétration l’un dans l’autre, de plus en plus aigus. La femme s’offre pour que l’homme trouve. Le phallus est comme une pioche, une vrille, un chercheur qui doit, devrait trouver son point de saturation. Le « trou » féminin donne d’ailleurs l’impression d’être travaillé en spirale, comme une vis, et en fait, l’homme ne devrait pouvoir pénétrer qu’en tournant sur lui-même, comme les suppliciés de la roue.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 139.

David Farreny, 22 mars 2002
sinon

Mais voici le plus atroce : l’art de la vie consiste à cacher aux personnes les plus chères la joie que l’on a à être avec elles, sinon on les perd.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 69.

David Farreny, 24 mai 2003
noire

Il faut aimer une eau noire.

Il faut aimer une eau si noire que le bleu du ciel bleu, lorsque malgré tout il s’y mire, à travers les branches, et le blanc des nuages boursouflés que chahute l’autan, voient leur azur et leur candeur — sans s’altérer, bien au contraire, sans rien déchoir de leur franchise et de leur élévation — se ranger en courant, en se tendant, en se creusant, entre les avatars, et parmi les plus noirs, de la noirceur.

Noirs sont les bruns, noirs sont les verts, noire l’heure, noir son reflet.

Tout n’est que reflet, sous ces couverts ruisselants : la terre trop grasse, les générations de feuilles mortes, ces phrases, le sous-bois tout entier. Reflet cette lumière de mystère policier, de jardins sous la pluie, de découverte archéologique et de plaisirs de serre. Reflet le fond même de la mare, tel qu’on arrive à le distinguer parfois, si l’on sait écarter en esprit les vapeurs qui le sillonnent, dans leur course distraite vers l’Albret, vers l’Armagnac et l’océan. Et reflet ce reflet, bien sûr, de nos attendrissements usés, de nos mélancolies, de nos lectures anciennes et de nos espérances. En le miroir laqué que trouent les continents torturés des morènes, l’image des choses est plus près de leur essence, celle de l’arbre, du soir, de la promenade et de la solitude, que ne le seront jamais ces troncs penchés eux-mêmes, ces bambous trop serrés, cette eau sourde faite terre et qui geint sous le pas, à moins qu’elle ne menace. Le bâton détrempé que nous jetons pour faire clapoter la forêt, onduler la clairière, le silence sortir un instant de ses retranchements broussailleux, il noue quand il retombe, malheureux bout de bois, tous les pans captieux du décor : aussitôt ils sont le drame, au lieu de n’être que son lieu.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., p. 11.

Élisabeth Mazeron, 12 déc. 2003
suspects

Je commence à trouver suspects bon nombre de nos jeunes.

Emil Cioran, « Les limites de la mobilité intérieure », Solitude et destin, Gallimard, p. 241.

David Farreny, 24 juin 2005
chevron

Le monde serait une chambre si nous étions faits pour goûter un durable et plénifiant repos. Or, il n’est point tel. Il existe. Nous aussi, et ceci n’est sans doute pas sans rapport avec cela. Nous sommes avides d’aller, de connaître et les choses sont là pour répondre à cette inclination qu’il y a en nous. Ce doit être, sauf accident, la règle. Or, l’accident, on y était impliqué avant d’avoir pu deviner la règle. C’était le chevron et l’expérience corrélative, originaire, la rebuffade et le dépit.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 9.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
balnéaire

Mardi – Un ciel blanc de chaleur, déjà, des jointures que l’on serre. Dans le virage qui mène à Stalingrad un store enrouleur me fait de l’œil (c’est possible). Je prends ce vélo suspendu au balcon du cinquième et hop, à la mer. J’emporte la gare et les rails au cas où et cette cheminée de nickel. La superposition des façades opposées dans un reflet de vitre est encore balnéaire.

Vendredi – Une vitre réfléchie assène son velouté au mur du dessous, qui traîne sa lèpre le long du quai. Je suis belle et je t’emmerde, dit-elle. J’ai des locataires d’Atlantique, toi tu attires les rats. Rien à dire.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 14.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
rincée

Puis, dans toute son extension, la mer parut, le bateau gronda et prit de la vitesse. L’eau, très basse au-dessous de nous, que l’étrave ouvrait en éventail, chassant l’un après l’autre ses plis, qui s’écroulaient et se dissolvaient comme une lessive rincée, prenait au loin un aspect lisse, avec des friselis épars, dont l’éclat ne durait que quelques secondes, répercutés en chaîne, naissant et mourant dans le clignement de nos yeux, que nous ne tardâmes pas à protéger.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 88.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
tordre

Il lui arrivait maintenant de pousser de petits rires, de se tordre littéralement ou bien de frapper dans le bois du lit et de répondre « entrez » sur des tons différents pendant des heures, sans jamais se lasser. De temps en temps il descendait de son lit, montait sur l’armoire et se mettait à ranger les vieilleries pleines de rouille et de poussière.

Bruno Schulz, « La visitation », Les boutiques de canelle, Denoël, p. 55.

Cécile Carret, 6 déc. 2009
frime

Quand on a écrit La Comédie humaine, on sait que ce n’était rien, la littérature : seulement cette frime nocturne, ces larmes qu’on s’arrache, ce putsch de l’incipit et ce vouloir qui vous tire en avant, vers la fin, ce corps qu’on troue de caféine, cette espérance mortelle.

Pierre Michon, « Le temps est un grand maigre », Trois auteurs, Verdier, p. 30.

Élisabeth Mazeron, 2 juil. 2010
m’

Mon intelligence des choses progresse plus vite que moi ; je m’époumonne les mains en cornet à lui crier de m’attendre. Elle se moque de moi et me détruit. Vingt ans de vie passionnée, parfois heureuse, et consciente, m’ont juste permis d’inviter chez moi ceux qui – ou plutôt ce qui – m’égorge.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 141.

Cécile Carret, 28 juin 2012
triomphe

L’Arc révèle le vide de tout Triomphe.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 195.

David Farreny, 2 avr. 2013

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