moi

Cauchemar de l’escalier. — De l’entresol au cinquième, tout entier, devenu une bête, l’escalier se recroqueville, et moi qui au deuxième fumais une « Abdullah ».

Henri Michaux, « Mes rêves d’enfant », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 63.

David Farreny, 11 mars 2008
profit

La confession doit être grave. Il étudie son mal avec un grand scrupule, comme s’il s’agissait d’une infection inconnue qu’il y aurait grand profit à connaître.

Louis-René des Forêts, Scolies à propos du « Bavard ».

David Farreny, 10 nov. 2009
extirper

– Mais quelque chose n’allait pas ! Mon visage se contracta : ? : Ah ! là !

Tout doucement – on ne le remarquait qu’au clignotement différent – le gros point brillant tourna dans la serrure de la porte. Tourna : et disparut !

Or je suis toujours long à la détente. En général je suis enfoncé jusqu’à la poitrine dans la jungle des pensées et dois d’abord m’en extirper, me hisser sur la paume des mains – : la clé était partie !

Arno Schmidt, « Échange de clés », Histoires, Tristram, p. 70.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
concomitance

Ils se grattèrent le front à la naissance des cheveux au même moment mais sans concertation ; un soudain et commun besoin de montrer qu’ils réfléchissaient. La concomitance du geste suggérait un acte chorégraphique qui sapa l’idée même d’une réflexion, fit d’eux des singes devant une conque.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 111.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
aboutissement

L’histoire est un long chemin broussailleux qui mène jusqu’à nous. L’homme des droits de l’homme se regarde, émerveillé, comme l’aboutissement de l’homme. Et il le fait savoir. Fier, à s’en tambouriner la poitrine, d’avoir vaincu le principe hiérarchique, imbu de sa ferveur antidiscriminatoire, ivre de sa tolérance aux différences, il instruit le procès pour intolérance de toutes les formes de vie et de pensée qui diffèrent des siennes. Sûr que rien d’humain ne lui est étranger, et qu’il est seul dans ce cas, il devient étranger à tout ce qui est humain.

Alain Finkielkraut, « Un présent qui se préfère », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 121-122.

David Farreny, 25 janv. 2010
attente

Seul le chien porte l’attente au niveau de la mystique.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 63.

David Farreny, 27 juin 2010
savait

On souhaite, avec son esprit, mourir et, avec son corps, vivre ; le corps est idiot ; on le savait.

Paul Morand, « 28 juillet 1974 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 298.

David Farreny, 26 août 2010
décision

Chaque soir, depuis une semaine, mon voisin de chambre vient lutter avec moi. Je ne le connaissais pas et, d’ailleurs, je ne lui ai pas encore parlé jusqu’à présent. Nous n’échangeons que quelques exclamations qu’on ne peut pas appeler « paroles ». C’est « Allons-y » qui ouvre le combat, « Canaille » gémit parfois l’un de nous sous l’étreinte de l’autre, « Ça y est » accompagne un coup inattendu, « Cessez » signifie la fin, mais on continue un petit moment à se battre. Le plus souvent, il fait même encore un bond de la porte dans la chambre, et me donne un tel coup que je tombe. Puis il me souhaite le bonsoir de chez lui, à travers la cloison. Si je voulais renoncer définitivement à mes rapports avec lui, il me faudrait donner congé, car fermer la porte ne sert à rien. Un jour que j’avais fermé la porte parce que j’avais envie de lire, mon voisin l’a fendue à la hache, et comme il abandonne difficilement une décision prise, la hache devenait même un danger pour moi.

Je sais m’adapter. Comme il vient toujours à heure fixe, j’entreprends un travail facile que je puis interrompre sur-le-champ si c’est nécessaire. Par exemple, je range une armoire, ou bien j’écris quelque chose, ou bien je lis un livre sans intérêt. Je suis bien obligé de m’arranger de cette façon puisque, dès qu’il se montre à la porte, il me faut tout laisser là, fermer sans délai l’armoire, laisser tomber le porte-plume, jeter le livre, il veut uniquement se battre, rien que cela.

Franz Kafka, « Chaque soir, depuis une semaine… », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 269.

David Farreny, 3 déc. 2011
heure

Ô heure merveilleuse, sérénité parfaite, jardin sauvage. Tu tournes le coin de la maison et, dans l’allée, la déesse du bonheur se hâte à ta rencontre.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 432.

David Farreny, 8 nov. 2012
sache

« Je t’aime, est-ce que ces mots ne sont pas les plus absurdes qu’on puisse dire ? Cette déclaration de guerre, cette assignation à résidence, ce langage pénal… »

Il avait désamorcé cette parole, un peu plus tard. C’était avec une petite amie nommée Laurence, ils avaient déjeuné ensemble avant de remonter chez lui, et là, alors qu’il se donnait en elle, s’acharnait en elle avec délices, il l’avait regardée dans les yeux et lui avait dit : « Finalement on peut dire je t’aime, dans la seconde où c’est vrai, et pour les raisons précises et concrètes qui font que c’est vrai. Là, je t’aime. » Il appuyait ces mots d’un mouvement plus fort des reins, plus appuyé — là, je t’aime. C’était comme dilapider ce mot, le « claquer », le gaspiller exprès, à cause du ventre, des cuisses, de ce corps nu sous le sien dans la sueur, la salive et ce jour-là un peu de sang. C’était se venger de ce mot, le réduire enfin à la vérité incontestable et circonscrite du désir, afin qu’une fois, au moins une fois, on sache ce qu’il voulait dire.

François Taillandier, Time to turn, Stock, p. 190.

David Farreny, 30 août 2013
losanges

Entre deux inspections de cet empire, il revenait volontiers profiter du confort de son trône : un panier installé au bout de ce vestibule carrelé qu’il n’abordait pourtant jamais sans une espèce de méfiance, marquant au seuil un temps d’arrêt, comme s’il n’avait pas tout de suite reconnu le cœur même de son domaine, et s’assurait qu’aucune mauvaise surprise ne l’y attendait.

C’était que malgré son habitude de la conformation du carrelage, et à cause d’elle sans doute, il restait à chaque fois décontenancé par l’instabilité paradoxale qu’elle offrait à ses yeux comme aux miens.

L’assemblage régulier de losanges de trois teintes différentes composait en effet une sorte de kaléidoscope fixe d’où, vues en perspective et en relief, sortaient presque simultanément ou s’engendrant les unes les autres, les faces antérieures de trois cubes distincts, bien propres à susciter la prudence d’un chat.

[…]

Ainsi ai-je mieux compris la perplexité des chats au seuil du vestibule : il leur fallait d’abord prendre la mesure de l’illusion que le carrelage systématique leur présentait, eux qui s’accommodent si souplement d’une succession de vrais creux et de vraies bosses.

Pour moi, je m’arrêtais souvent devant ces cubes durant de longues minutes, hypnotisé par cette transformation d’une forme fondamentale abstraite, presque absente, en volumes théoriques surgis de leur immobilité.

Car sous l’alternance des cubes, j’observais le jeu d’une loi qui veut que tout ce qui apparaît simultanément disparaisse pour réapparaître aussitôt ou, pour mieux dire, tire son apparition de sa disparition concomitante.

Le chat pendant ce temps ronronnait.

Jacques Réda, « Autres écarts expérimentaux », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, pp. 66-67.

David Farreny, 30 juin 2014
unisson

Il fait beau et je ne suis pas à l’unisson.

Pierre Bergounioux, « mardi 3 mai 2016 », Carnet de notes (2016-2020), Verdier, p. 90.

David Farreny, 6 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer