demander

Je n’ai rien demandé d’autre à la vie que de ne rien me demander à moi.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 157.

Guillaume Colnot, 18 juil. 2003
personne

Un homme à qui personne ne plaît est bien plus malheureux que celui qui ne plaît à personne.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 106.

David Farreny, 22 oct. 2004
solution

Étrange mois d’août que celui qui s’achève. Le premier, depuis sept ans, que je n’aurai pas passé à écrire, et, de ce fait, reposant, pacifique, malgré le labeur d’esclave qui l’a rempli, sans l’ébranlement, les poisons mortels du travail de plume. Il y avait infiniment à faire mais c’étaient des choses précises, successives, qui ne réclamaient que du temps, les outils adéquats, une quantité déterminée d’énergie et pour lesquelles il existait a priori une solution.

Pierre Bergounioux, « mardi 29 août 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 828.

David Farreny, 20 avr. 2006
saturation

Va, tant qu’il est possible, jusqu’au bout de tes défaites, jusqu’à en être écœuré. Alors, la magie partie, les restes — il doit y en avoir — ne t’abîmeront plus. Voilà comment en sortir, si tu veux en sortir. Si tu y tiens vraiment. Saturation. Avant, tu ne peux rien de définitif, ni par la contemplation ni par la critique. Et après, quasiment plus de problème.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1068.

David Farreny, 7 août 2006
orgueil

Oui, il est toujours là. Tant pis ; accommodons-nous de sa présence et tâchons de le rendre de plus en plus subtil (il a déjà maigri de moitié depuis que je le taquine). Éducation de l’orgueil, quel programme ! Cela consisterait à lui donner carrière, à le satisfaire, à le pousser toujours plus avant jusqu’au point où il devient l’humilité et l’intelligence totale. Quand j’aurai le temps, j’essaierai.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 119.

David Farreny, 24 avr. 2007
autrefois

Les vieillards d’autrefois étaient moins malheureux et moins isolés que ceux d’aujourd’hui : si, en demeurant sur la terre, ils avaient perdu leurs amis, peu de chose du reste avait changé autour d’eux ; étrangers à la jeunesse, ils ne l’étaient pas à la société. Maintenant, un traînard dans ce monde a non seulement vu mourir les hommes, mais il a vu mourir les idées : principes, mœurs, goûts, plaisirs, peines, sentiments, rien ne ressemble à ce qu’il a connu. Il est d’une race différente de l’espèce humaine au milieu de laquelle il achève ses jours.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 235.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
otage

La querelle entre l’arbre et l’eau ne les empêche pas de conspirer ensemble à notre détriment. Celle-ci ne cherche qu’à investir la place qu’on occupe. Elle dénature ce qu’on lui confie, nous transperce du froid qui est le sien et s’applique à nous rendre aussi méconnaissables que les biens qu’on lui arrache. Les bois procèdent au rebours mais tendent au même résultat. Ils ne s’efforcent pas de nous rentrer dedans. Ils cherchent à nous tirer dehors, à épuiser nos forces, à nous priver d’haleine et de vouloir. L’eau enlace, triture, absorbe ; le bois pique et fouaille, repousse, harasse. La résistance innombrable des perches prolonge, en surface, celle, sourde, cachée, des pentes rocheuses. Ils sont un obstacle sur l’obstacle, un comble lorsque, prenant pied sur le sommet, on découvre qu’on n’est pas plus avancé que l’instant d’avant, mais, toujours, la victime des branches, l’otage des fourrés.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 34.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
ruine

Et même la façon du serveur lui aussi pour le soleil de se tenir en avant de la porte, qu’on s’est dit au revoir quand probablement on ne se reverra pas. Rien d’effrayant, rien.

Ce qui menace vraiment reste invisible. On cherche les signes de la ruine : rien d’autre que nous-même, qui traversons.

François Bon, « Dimanche après-midi, un instant », Tumulte, Fayard, p. 182.

David Farreny, 1er mai 2008
colorées

Parce qu’il y a plein de choses partout, colorées, curieuses, intéressantes et qu’il est, qu’il serait plaisant de faire partager à quelqu’un au sort de qui l’on s’intéresse l’intérêt qu’on leur trouve. C’est mieux si l’agrément qui s’attache au temps qui passe, à ce qui arrive est partagé. De même qu’on supportera mieux le froid, le chagrin s’il y a un tiers qui trouve que ce n’est pas à rien qu’ils s’appliquent. À sa manière, il contribuera à supporter ce qui est lourd, cruel et ce le sera beaucoup moins.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 135.

Élisabeth Mazeron, 17 juin 2010
occasion

K. restait toujours dans sa neige ; il n’était pas tenté d’en retirer ses pieds qu’il eût fallu y replonger un peu plus loin ; le maître tanneur et son compagnon, satisfaits de l’avoir définitivement expédié, rentrèrent lentement dans la maison par la porte entrouverte en retournant fréquemment la tête pour jeter un regard sur lui, et K. resta seul au milieu de la neige qui l’enveloppait. « Ce serait l’occasion, se dit-il, de me livrer à un petit désespoir, si je me trouvais là par l’effet d’un hasard et non de par ma volonté. »

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 506.

David Farreny, 22 oct. 2011
momifier

L’expression est d’Albert Cohen, qui, dans Belle du Seigneur, pousse jusqu’à son terme la logique d’un amour « chimiquement pur ». Ses héros, Ariane et Solal, connaissent le même destin que des rêveurs qui voudraient ne faire que rêver. Après s’être enfuis ensemble, croyant prolonger l’éblouissement des débuts, ils se vouent à un tête-à-tête perpétuel. Ils ne parviennent qu’à momifier leur passion, en une lente descente aux enfers. Enfermés dans leur chambre d’hôtel, ils ne sont plus que des amants, jour et nuit ; ils renoncent à toutes leurs autres dimensions. Confite en clichés romantiques à la manière d’une Bovary des années trente – les points communs entre les deux héroïnes sont nombreux –, Ariane, qui a d’abord cru que c’était la vie dont elle rêvait, se met vite à étouffer, mais refuse de se l’avouer. Solal, au contraire, suit lucidement la progression de l’« avitaminose » ou du « scorbut » qui ronge leur amour. Il en constate les dégâts sur elle, sa « folle et géniale » d’autrefois : « Cette vie en vase clos l’abêtissait. » Dans le « noble marais » où ils dépérissent, à l’écart du flot de la vie, il envie désespérément ceux du dehors : « Oh, être un facteur et lui raconter sa tournée ! Oh, être un gendarme et lui raconter un passage à tabac ! » On assiste alors à de troublantes interférences entre les registres de l’intimité et de la sociabilité. Une nuit, du simple fait qu’elle a été invitée à une partie de tennis pour le lendemain par une autre pensionnaire de l’hôtel, Ariane redevient dans les bras de Solal aussi passionnée qu’au début de leur histoire. Et lui, un après-midi, en la rejoignant dans la chambre où elle l’attend (« entrée du paon, se dit-il »), en vient à penser : « Allons, au travail. » Chassé par la porte, l’animus est revenu par la fenêtre.

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 40.

Cécile Carret, 1er mai 2012
aimer

Hier après-midi, j’eus d’abord de la peine à supporter Valli, mais une fois que je lui eus prêté Die Missgeschickten et que, ayant lu depuis un bon moment déjà, elle m’a semblé devoir se trouver convenablement sous l’influence de l’histoire, je me suis mis à l’aimer à cause de cette influence et je lui ai fait une caresse.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 136.

David Farreny, 13 oct. 2012
oubli

Je tombe peu à peu dans l’oubli. Presque plus personne déjà ne se souvient de mon enfance.

Éric Chevillard, « mercredi 9 mars 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 9 mars 2016

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