intérieur

Il avait meublé son deux pièces — au prix, inévitablement, de certaines choses essentielles — avec un certain luxe, quoique approximatif. Il apportait un soin tout particulier aux sièges — des fauteuils profonds et moelleux —, aux rideaux et aux tapis. Il assurait avoir ainsi créé un intérieur « qui garantisse la dignité de son ennui ». Dans une pièce de style moderne l’ennui devient inconfort, souffrance physique.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 36.

Guillaume Colnot, 16 mai 2002
temps

J’oscillais dans l’immense main. Il a dû s’écouler du temps puisque j’oscillais, mais c’était un temps différent, interstitiel, sans image, sans terme ultérieur pour lui donner la pente, même légère, la vibration, le volettement insaisissables à quoi l’on reconnaît le temps.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 121.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
jeu

Nous nous sommes regardés un certain nombre de fois, par petits coups, ce que j’appelais alors des regards en point d’interrogation. Je jouais volontiers à ce jeu-là. Cela marche ou cela ne marche pas.

Cela a marché. Après quelques minutes, elle n’a pu s’empêcher de rire.

— Vous êtes drôle. Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Je ne sais pas encore.

Georges Simenon, L’homme au petit chien, Presses de la Cité.

Cécile Carret, 11 mars 2007
conversation

Voilà une occasion de médire de ces petits précis à l’usage des touristes ; au cours de ce voyage, j’en ai possédé plusieurs, également inutilisables, mais aucun n’approchait le Manuel de conversation franco-serbe du professeur Magnasco, Gênes, 1907. Tout en anachronismes à donner le vertige, en dialogues badins, de ceux qu’imagine un auteur qui aurait rêvé la vie d’hôtel sans quitter sa cuisine. Ce n’étaient que bottines à tiges, pourboires infimes, redingotes et propos superflus. La première fois que j’y recourus — chez un coiffeur du quai de la Save, parmi les crânes tondus et les ouvriers en salopettes — je tombai sur :

Imam, li vam navostiti brk ? — dois-je cirer vos moustaches ? — question à laquelle il convenait de répondre aussitôt :

Za volju Bozyu nemojte pustam tu modu kikosima — à Dieu ne plaise ! je laisse cette mode aux damoiseaux.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 34.

Cécile Carret, 30 août 2007
biais

Ce n’est pas tant Antoine que j’ai aimé que l’amour, que moi l’aimant. Rien de très surprenant dès lors à ce qu’il ne m’ait rien renvoyé. Il ne recevait de moi qu’un désir un peu agressif muré dans le silence. Je ne l’ai jamais aimé plus que moi-même. Je le voulais à mes côtés comme un défi au temps, au lieu et aux hommes. Je touchais là, je suppose, les limites de ma connaissance, j’envisageais le monde de biais.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 101.

Élisabeth Mazeron, 7 nov. 2007
minima

[Les deux chambres], m’avisai-je en y pénétrant, communiquaient a minima par une étroite fenêtre qu’occultait un rideau, disposition dont j’interrogeai pour moi-même la finalité et qui peut-être, songeai-je, témoignait, chez le couple Pradal, d’une conception — abandonnée — de la chambre à part, avec possibilité d’échange dans les moments où l’indépendance du mari, par exemple, se colorait du fugitif besoin de sa femme, ou pour toute autre raison d’ordre pratique, encore que, me dis-je, pour garder cet exemple, le mari, en ouvrant vers sa femme, pour autant que la poignée se fût trouvée de son côté, une fenêtre par laquelle il ne lui était loisible que d’user de la parole, s’interdît tout comportement gestuel autre qu’un tendre signe de la main pour dire bonsoir, le moindre baiser changé dans l’espace de cette mince ouverture paraissant, par ailleurs, sinon menacé d’inconfort, du moins exposé au ridicule.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 68.

Cécile Carret, 14 sept. 2008
évite

L’amour est une invention des histoires d’amour. Un personnage des contes, comme les sorcières et les dragons. Tout ça est infantile. L’idée de s’aimer à travers un autre me répugne. J’évite.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 230.

David Farreny, 2 déc. 2009
malentendus

Plus je vais, plus le monde entre dans ma vie jusqu’à la faire éclater. Pour la raconter, il me faudrait douze portées ; et une pédale pour tenir les sentiments — mélancolie, joie, dégoût — qui en ont coloré des périodes entières, à travers les intermittences du cœur. Dans chaque moment se reflètent mon passé, mon corps, mes relations à autrui, mes entreprises, la société, toute la terre ; liées entre elles, et indépendantes, ces réalités parfois se renforcent et s’harmonisent, parfois interfèrent, se contrarient ou se neutralisent. Si la totalité ne demeure pas toujours présente, je ne dis rien d’exact. Même si je surmonte cette difficulté, j’achoppe à d’autres : une vie, c’est un drôle d’objet, d’instant en instant translucide et tout entier opaque, que je fabrique moi-même et qui m’est imposé, dont le monde me fournit la substance et qu’il me vole, pulvérisé par les événements, dispersé, brisé, hachuré et qui pourtant garde son unité ; ça pèse lourd et c’est inconsistant ; cette contradiction favorise les malentendus.

Simone de Beauvoir, La force des choses (I), Gallimard, pp. 374-375.

Élisabeth Mazeron, 27 déc. 2009
adresse

Aucune illumination pour moi, enchaîné par moi-même, c’est-à-dire par la seule force qui puisse me libérer. Alors comment faire ? Se détruire en laissant une adresse où se retrouver. Quelle adresse ? Qui a mon adresse ? Qui saura tout ce que j’ai su ?

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 140.

Cécile Carret, 28 juin 2012
preuves

Il se sent prisonnier sur cette terre, il est à l’étroit, la tristesse, la faiblesse, les maladies, les idées délirantes du prisonnier éclatent chez lui, aucune consolation ne peut le consoler, justement parce que ce n’est que consolation, douce consolation qui fait souffrir la tête en face du fait brutal de la captivité. Mais si on lui demande ce qu’il voudrait vraiment, il ne peut pas répondre, car — c’est là l’une de ses plus fortes preuves — il n’a aucune idée de la liberté.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 493.

David Farreny, 9 nov. 2012
impossible

Mes chers, je n’ai pas besoin du veilleur de nuit, n’en suis-je pas un moi-même quant à la somnolence, aux déambulations nocturnes et au tempérament frileux ? Vous chauffez-vous convenablement au soleil ? Cherchez-moi s’il vous plaît pour l’été ou l’automne un endroit où on vit à la mode végétarienne, où on est continuellement bien portant, où même seul on ne se sent pas abandonné, où même une bûche comprend l’italien, etc., bref, un bel endroit impossible. Adieu. On pense beaucoup à vous.

Franz Kafka, « lettre à Elsa et Max Brod (4 février 1913) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 706.

David Farreny, 1er mai 2014
apparaître

Cela doit apparaître tout autrement aux barbus.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 192.

David Farreny, 11 déc. 2014

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