dictionnaire

Le Mot est ici encyclopédique, il contient simultanément toutes les acceptions parmi lesquelles un discours relationnel lui aurait imposé de choisir. Il accomplit donc un état qui n’est possible que dans le dictionnaire ou dans la poésie, là où le nom peut vivre privé de son article, amené à une sorte d’état zéro, gros à la fois de toutes les spécifications passées et futures.

Roland Barthes, « Le degré zéro de l’écriture », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 200.

David Farreny, 31 oct. 2004
sincérité

Ce que j’ai fait de bien pire encore, dans ces années-là, c’est d’appeler fils de pute un camarade de classe dont la mère était notoirement entretenue. Par la suite, et chaque fois qu’il était à proximité, je traitais quiconque se trouvait là de fils de pute, pour le convaincre que ces mots n’avaient dans ma bouche aucune signification. On voit par ce récit ce qu’a de vain toute sincérité.

Renaud Camus, « lundi 28 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 96.

David Farreny, 30 juil. 2005
douleur

Mais ce qui rendait l’éventualité d’une attaque inadmissible à mes yeux, c’était la nature même du bruit, des cris que nous avions entendus. Ils n’avaient pas le caractère farouche qui présage une immédiate intention hostile. Si inattendus, sauvages et violents qu’ils eussent été, ils m’avaient donné une impression irrésistible de douleur. L’apparition du vapeur avait pour je ne sais quelle raison rempli ces sauvages d’une peine infinie. Le danger, s’il y en avait un, expliquai-je, résultait plutôt de la proximité où nous étions d’une grande passion déchaînée. L’extrême douleur elle-même peut finir par se résoudre en violence : mais plus généralement elle se traduit par de l’apathie.

Joseph Conrad, Le cœur des ténèbres, Gallimard, pp. 173-174.

David Farreny, 2 oct. 2008
tremblé

Je viens à bout du chapitre huit au prix d’une page et couvre à peu de chose près la première du suivant. L’approche de la fin me remplit d’une impatience funeste. Je choisirais très volontiers la ligne droite et le terrain plat, m’en tiendrais à la trame, prendrais la corde si j’écoutais le gros paresseux qui ne dort que d’un œil, dans son coin. Il faut me reprendre fermement en main pour chercher la juste couleur des choses, leur coefficient d’adversité, leur tremblé quand on est aux prises avec elles et qu’elles pourraient bien l’emporter. C’est de tout cela que le paresseux, le sagouin, l’éternel enfant ferait litière pour s’épargner la peine de vivre.

Pierre Bergounioux, « mercredi 14 octobre 1987 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 639-640.

Élisabeth Mazeron, 11 nov. 2008
veux

Je descends de la lande, j’ai vu les digues de dessus et la mer au-delà des digues. J’ai vu en haut de la rue Monte-à-regret les crânes bien farcis de terre, sans le moindre souvenir d’amour, sans le moindre désir de mer. J’ai cru mourir dans la côte, mon corps était un puits où mes yeux voulaient se jeter. Je descends lentement, très lentement, que chaque fleur exhale sa bonté. Les collations sont douces au fond des cafés, je ne comprends rien à rien, je sais qu’on ne peut se faire à la puanteur des images mortes dans l’œil de mouton, je sais aussi que le malheur même est fragile. Je descends vers la ville, je vois l’octroi, je veux aimer.

Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine.

David Farreny, 28 déc. 2008
repentir

Pourquoi se corriger, se repentir ? La nature s’en charge.

Paul Morand, « 25 juin 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 408.

David Farreny, 25 mai 2009
attente

Seul le chien porte l’attente au niveau de la mystique.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 63.

David Farreny, 27 juin 2010
mainates

Nous nous embrassâmes. Sophie Gironde avait grossi. Elle avait l’air triste. Elle vint se frotter avec impudeur contre moi pendant plusieurs minutes, comme si nous étions seuls au monde ; elle me soufflait sur le visage une haleine capiteuse de chamane fatale, elle me touchait les omoplates et les hanches, et nous restâmes ainsi, suspendus dans la lumière imprécise, incapables de prononcer la moindre syllabe et même de formuler une pensée nostalgique ou constructive, seulement conscients de notre absence de passion et conscients qu’autour de nous les secondes s’égrenaient et que des corbeaux atterrissaient sur le bitume et s’assommaient, des vautours moines, des hornbills, des mainates, des pigeons. Après un moment, Patricia Yashree se joignit à nous et déploya sur nous un châle noir qu’elle avait porté jusque là sur les épaules, et elle nous enlaça. Avec une tendresse incrédule, nous nous balancions tous les trois sur le trottoir, échangeant de confus messages charnels, désolés de ne pas être plus émus car, pour tout dire, nous ne réussissions pas à savourer pleinement l’instant.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 194.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
directions

Nous voulons savoir si notre avènement était inéluctable ou si l’homme s’est relevé en se frottant les reins de tous les tonneaux et roulés-boulés effectués par la créature animale idiote sur la pente de l’évolution, qui s’est reçue ainsi, donc, sur ses deux pieds et la tête en l’air, mais aurait pu aussi bien grandir et pencher dans d’autres directions et se retrouver belette molle ou pou du poulpe sans plus de nécessité.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 65.

Cécile Carret, 10 fév. 2014
noir

Étaient-ce les champignons séchés dont il mordait encore un morceau ou non : toujours est-il, il eut pendant la nuit deux rêves qui se déroulèrent sans lui, par-delà sa personne. Dans l’un, des successions de salles souterraines bordaient la petite cave de la maison, une salle donnant sur l’autre, somptueusement arrangées, solennellement éclairées, et toutes vides, comme en attente, prêtes pour un événement merveilleux, peut-être terrible aussi, et cela non depuis peu mais depuis des temps immémoriaux.

Dans le second rêve, il n’y avait plus, tout à coup, les haies des propriétés voisines, arrachées de force ou tout simplement disparues, on voyait les jardins des uns et des autres et les terrasses, et pas seulement le dessus mais jusqu’au moindre recoin à l’intérieur des maisons, soudain mises à nu, de même un voisin voyait l’autre, aux premiers instants à son extrême honte, à sa réciproque opprobre et puis peu à peu avec une sorte de soulagement, oui presque de joie. (À remarquer que toutes ces maisons dépourvues de haies se révélèrent être montées sur pilotis, chacune avec une barque amarrée en bas.)

Après cela, était-ce encore un rêve ? du noir, et puis plus rien que ce noir, rien ne se déroulait, il n’y avait pas de film, mais la fin du film, la fin même de tout « suis », « es », « est », « sommes » et « êtes ». Un noir qui refoulait tellement toute étendue que cela tira le pharmacien de son sommeil, à l’instant — mais ne s’atténua pas, resta.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, pp. 54-55.

David Farreny, 19 fév. 2014
raisons

Les raisons de vivre commençaient à manquer. Il se confia à son meilleur ami qui lui démontra avec flamme que les deux ou trois auxquelles il s’accrochait encore étaient de purs sophismes.

Éric Chevillard, « lundi 7 juin 2021 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024

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