Averse nocturne
il pleut sous le réverbère
mille gouttes rebondissent
touche ton radiateur
hmm sens comme il est chaud
puisque tu donnes ta vie
pour n’être pas
sous le réverbère
Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 71.
Il suffit d’une pierre
Pour y penser.
Que c’est si vieux,
Que l’eau croupit contre la vase,
Que le feu s’époumone
À bouillir le métal.
Le temps, le temps
A pu faire d’une flamme
Une pierre qui dort debout.
— Mais ton sein pointe dru
Contre le jour qui traîne.
Eugène Guillevic, Terraqué, Gallimard, p. 23.
Étrange, ce gauchissement de toute formule sitôt qu’elle est confrontée avec la vie. Si grande soit-elle, une philosophie, plus elle est proche de la vie, plus son ridicule — par une sorte de feinte, de cabriole démoniaque — s’affirme considérable : on met alors droit dans le mille et il a nom « bêtise ». C’est avec effroi qu’on s’aperçoit que plus c’est sérieux, moins c’est sérieux.
Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, pp. 400-401.
Je reste seul, roi de carton de ce peuple aux hanches étroites, drapées serré dans leur sarong, qui parcourt mes rues à petits pas comptés, d’énormes fruits cuirassés en équilibre sur la tête. Anciens figurants ? machinistes ? La grève doit durer depuis si longtemps qu’on en a perdu la mémoire. Mon balcon s’égoutte ; je rêve. C’est juste un peu d’Europe et de jeunesse qui passent.
Ne compter en tout cas plus sur moi pour vous fournir un scénario. Tout ce qu’on introduit dans ce décor s’y dégrade à une allure alarmante. Une fermentation continuelle décompose les formes pour en fabriquer d’autres encore plus fugaces et compliquées, et les idées connaissent forcément le même sort. Comment tenir son cap à travers ces métamorphoses ?
Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 99.
Mais j’ai peu de preuves à présenter au tribunal qui siège en moi et me somme, le soir, d’expliquer, si je peux, ce que j’ai fait de ma journée.
Pierre Bergounioux, « mercredi 31 août 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 241.
À Fabre-Luce, à Jacques de Lacratelle, en les quittant, du fond du cœur, et du fond de ma ruine, j’ai dit, en les quittant si heureux encore, si entouré : « Je vous souhaite le statu quo. »
Paul Morand, « 19 août 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 594.
Alors que les pigeons, parfois, se montrent absurdement rétifs quand Gregor les recueille de tout son cœur, se rebiffant bec et ongles au point de le blesser, alors qu’ils se débattent comme une vieille dame qu’on veut aider à traverser la rue quand elle ne vous a rien demandé, il n’a aucune peine à s’emparer de celui-ci.
Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 153.
Dans les rues, cette manie de courir, importée d’Amérique. Pour rester en forme, prétend-on. Mais il n’y a que les enfants qui courent naturellement. Ou les voleurs que l’on poursuit. Un adulte qui court, court après son enfance, ou, pire encore, se sent poursuivi par elle.
Jean Clair, Lait noir de l’aube, Gallimard, p. 97.
Moins je mens, plus je rougis.
Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard.
Je n’ose imaginer ce qui me serait arrivé si je n’avais pas été là pour prendre la fuite !
Éric Chevillard, « jeudi 13 juin 2019 », L’autofictif. 🔗
Quelle que soit la cause du choc violent qu’il a enduré, le mélancolique souffre d’un ralentissement de son être, infirmité handicapante pour participer pleinement au manège social, sans doute, mais propice à en contempler avec clarté et distinction les rouages, les péripéties, les ridicules, le tragique, et, parfois, à le décrire. Le joyeux, dont la conscience s’oublie dans le présent, ne peut mettre la réalité à distance de son regard alors qu’elle s’offre aux yeux du mélancolique, en proie aux instants qui s’éternisent, comme un spectacle étrange et, néanmoins, jamais surprenant.
Frédéric Schiffter, « préface », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.