grand

Je me suis levé de grand matin, comme à la pire époque.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 263.

David Farreny, 21 mars 2002
toujours

Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu’ils nous disent plus vrai qu’aux autres.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 77.

David Farreny, 22 oct. 2004
limites

Se demander devant un autre : par quelle voie apaise-t-il en lui le désir d’être tout ? sacrifice, conformisme, tricherie, poésie, morale, snobisme, héroïsme, religion, révolte, vanité, argent ? ou plusieurs voies ensembles ? ou toutes ensembles ? Un clin d’œil où brille une malice, un sourire mélancolique, une grimace de fatigue décèlent la souffrance dissimulée que nous donne l’étonnement de n’être pas tout, d’avoir même de courtes limites. Une souffrance si peu avouable mène à l’hypocrisie intérieure, à des exigences lointaines, solennelles (telle la morale de Kant).

À l’encontre. Ne plus se vouloir tout est tout mettre en cause. N’importe qui, sournoisement, voulant éviter de souffrir se confond avec le tout de l’univers, juge de chaque chose comme s’il l’était, de la même façon qu’il imagine, au fond, ne jamais mourir. Ces illusions nuageuses, nous les recevons avec la vie comme un narcotique nécessaire à la supporter. Mais qu’en est-il de nous quand, désintoxiqués, nous apprenons ce que nous sommes ? perdus entre les bavards, dans une nuit où nous ne pouvons que haïr l’apparence de lumière qui vient des bavardages. La souffrance s’avouant du désintoxiqué est l’objet de ce livre.

Georges Bataille, L’expérience intérieure, Gallimard, p. 10.

Guillaume Colnot, 16 janv. 2005
peu

La religion des Mazanites déplaît aux Hulabures et les révolte. Ils se sentent couler dans une vaste infection, quand ils y songent.

Pourtant les Mazanites trouvent leur religion, le chemin évident vers la sainteté et le déploiement naturel de ce qui élève l’homme et compte véritablement en lui. Ils ont d’ailleurs trois cultes. Mais les Hulabures n’en voient qu’un. Un qu’ils détestent.

Les Hulabures font donc la guerre aux Mazanites et souvent avec succès.

Les Hulabures attachent leurs prisonniers de guerre avec un crochet à la langue, un crochet au nez, un crochet à la lèvre supérieure et deux autres petits crochets aux oreilles.

Quand ils ont pu employer de la sorte une trentaine d’hameçons, ils sont fiers et en paix avec eux-mêmes ; la noblesse éclate sur leurs visages. Ils font ça pour Dieu… je veux dire pour Celui de leur nation, pour l’honneur du pays, enfin, peu importe, entraînés par un sentiment élevé, austère et de sacrifice de soi.

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 41.

David Farreny, 4 mars 2008
locataire

Un père m’eût lesté de quelques obstinations durables ; faisant de ses humeurs mes principes, de son ignorance mon savoir, de ses rancœurs mon orgueil, de ses manies ma loi, il m’eût habité ; ce respectable locataire m’eût donné du respect pour moi-même. Sur le respect j’eusse fondé mon droit de vivre. Mon géniteur eût décidé de mon avenir : polytechnicien de naissance, j’eusse été rassuré pour toujours. Mais si jamais Jean-Baptiste Sartre avait connu ma destination, il en avait emporté le secret ; ma mère se rappelait seulement qu’il avait dit : « Mon fils n’entrera pas dans la Marine. » Faute de renseignements plus précis, personne, à commencer par moi, ne savait ce que j’étais venu foutre sur terre.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, p. 75.

David Farreny, 31 déc. 2008
horizon

Au reste, mon horizon ne se borne pas à la littérature. Une confidence : j’écris pour gagner ma vie. Mais mes vraies passions secrètes sont l’immobilier, la bourse et l’import-export.

Éric Chevillard, Du hérisson, Minuit, p. 27.

David Farreny, 18 mai 2009
hors

Elle semble bien comprendre ma question, une question d’homme, celle qui se pose aux lecteurs de La Princesse de Clèves, au moment où l’héroïne, lorsqu’elle se trouve enfin libre de répondre au désir du duc de Nemours, qui l’a si fort troublée, choisit plutôt « le repos ». Il y a une paix de l’intimité solitaire, hors d’atteinte de l’intrusion masculine et en général de l’intrusion, me dit-elle : être chez soi, travailler ou ne rien faire, écouter de la musique, et dont elle évoque un exemple. Ou plutôt une sensation qu’elle éprouve fréquemment, et dont elle essaie de me donner une idée : quand elle va faire des longueurs à la piscine, et que les cheveux et les oreilles étroitement enserrés dans un bonnet, elle-même contenue par l’eau qui l’enveloppe étroitement et l’isole, seule avec le tout d’elle-même, sans dérangement au moins pendant ce temps-là. L’exemple est énigmatique, et suggestif.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 77.

Cécile Carret, 13 mars 2011
essai

En somme je ne sais rien de lui — rien de cette vie qui fut ce que sont les vies, un coup de dés, un essai pour une autre fois, une partie d’écarté. Combien parviennent à trouver, pour s’en revêtir, quelque chose qui ressemble à une forme, à une construction délibérée de la volonté, à une structure ordonnée où soit aboli le hasard, sous l’instance de la lettre, qui sait, des correspondances, de l’ailleurs en toute occurrence lové entre les arcanes de l’ici, celui-ci fût-il un tombeau ?

Renaud Camus, « 2-2-12-03-19-14-1-1-1-7 », Vaisseaux brûlés.

David Farreny, 5 mai 2012
mobilisation

Il est connu qu’une mobilisation générale soulage les hommes, qui ne sont heureux de se retrouver, de vivre ensemble, qu’en état de guerre, que si l’absurde les concerne tous. La paix n’est jamais supportable.

Georges Perros, « Tête à tête », « Les cahiers du chemin », numéro 5, Gallimard, p. 58.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013
sexe

Attraction, pulsions, frictions, érections, tout cela se passait dans la nuit du corps, et sans trop qu’on y prît part.

Comment ces chairs frisées, roses ou rouges, toutes baignées d’huile, ces peaux grenues ou fripées, ces béances, ces chaos, ces organisations qui évoquaient dans leur consistance et dans leurs couleurs une classe de mollusques, la sixième, qui eût échappé à la curiosité du capitaine Nemo, dans leur texture et dans leur symétrie, remontant peu à peu le cours des espèces, huîtres, coquillages, méduses, jusqu’aux espèces les plus anciennes, « littorines, turitelles, janthines, ovules, volutes… », et qui finalement proposaient à la caresse de la main, toujours surprenante, cette boule de poils soyeux comme un sporran qui semblait provenir, lui, d’un autre embranchement du règne animal, des mammifères sans doute, les plus récents dans l’évolution, comme née du devoir différé de dissimuler toutes ces peaux primitives et mal cousues, ou bien de la nécessité de protéger la masse viscérale et molle du sexe, comme une coquille protège un mollusque — si bien que les expressions populaires et même assez vulgaire de « moule » et de « chatte » résumaient assez bien le début et le terme de la phylogénèse de cet étrange organe, d’un côté le crustacé, le bivalve, l’huître en cela qu’elle perlait elle aussi, qu’elle sécrétait des perles d’eau, qu’elle en conservait même une, polie, nacrée, élastique et cachée sous la jointure des lèvres supérieures — de l’autre le petit félin domestique —, comment donc, pour couper court à ma rêverie mais surtout pour mettre fin à ma dévoration visuelle, à chercher jusqu’au fond du conduit couleur sang, capitonné, ondulant et annelé, l’origine de la vie —, je remontais jusqu’à vouloir discerner la cellule primitive, à la façon dont, à l’autre bout de l’échelle, l’astronome repère, au fond de l’infini, le point zéro du temps —, pouvaient-ils donc avoir été, tous ces ressorts physiologiques, simplement et mystérieusement physiologiques, depuis toujours, le fondement même de notre vie, de notre histoire et le foyer de ce feu formateur d’industries ingénieuses, de tout ce qu’on osait appeler, non sans orgueil, notre culture ?

Jean Clair, Les derniers jours, Gallimard, pp. 315-316.

Guillaume Colnot, 20 juin 2016

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