Occident

Mais — la rareté du ciel lorsqu’il blanchit, les rues identiques les unes aux autres, le dimanche soir en Occident…

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 163.

David Farreny, 15 nov. 2002
clos

Il traduit aussi le Monde, celui qui voulait s’en échapper. Qui pourrait échapper ? Le vase est clos.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 3.

David Farreny, 2 avr. 2007
contredire

Un spectre hante la société actuelle : celui d’une critique à laquelle elle n’aurait pas pensé. Dans le but de se protéger de cette menace, elle ne cesse de sécréter ses propres contestataires et les pousse en avant : objecteurs de substitution, rebelles de remplacement, succédanés de perturbateurs, ersatz de subversifs, séditieux de synthèse, agitateurs honoraires, émeutiers postiches, vociférateurs de rechange, révoltés semi-officiels, provocateurs modérantistes, leveurs de tabou institutionnels, insurgés du juste milieu, fauteurs de troubles gouvernementaux, émancipateurs subventionnés, frondeurs bien tempérés, énergumènes ministériels. C’est avec ces supplétifs que l’époque qui commence a entrepris de mener la guerre contre la liberté.

D’une façon plus générale, la civilisation qui se développe sous nos yeux ne parvient à une parfaite maîtrise et un contrôle total qu’à condition d’inclure en elle l’ensemble de ce qui paraît la contredire. C’est elle, et elle seule désormais, qui encadre les levées de boucliers et les tollés de protestation. Elle s’est attribué le négatif, qu’elle fabrique en grande série, comme le reste, et dont elle sature le marché, mais c’est afin d’en interdire l’usage en dehors d’elle. L’ « anticonformisme », la « déviance », la « transgression », l’ « exil du dedans » et la « marginalité » ne sont plus depuis belle lurette que des produits domestiqués. Et les pires « mauvaises pensées » sont élevées comme du bétail dans la vaste zone de stabulation bétonnée de la Correction et du Consensus. Ainsi toute pensée véritable se retrouve-t-elle bannie par ses duplicatas.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, pp. 13-14.

David Farreny, 19 janv. 2008
journée

La pluie, qui amincit le jour, n’est pas soumise à un horaire administratif. Bien avant l’aube, elle crible un rêve inexplicable où la chair de l’autre est comme sa propre chair. Une fusion jusqu’alors inconnue.

Les premiers gestes de vivre resteront baignés de cet impossible ; oripeaux jetés pêle-mêle sur le vif ; yeux, front, vitre, ciel, tout collés les uns aux autres, journée qui s’amorce qu’une bête déclinerait.

Jean-Pierre Georges, « Rideau », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 60.

David Farreny, 31 mars 2008
été

L’été n’avait pas volé sa rime avec éternité, quand j’avais cinq ans, dix ans, quinze ans encore. Aujourd’hui c’est avec rapidité, fragilité, rapacité, férocité qu’il consonne de plus en plus étroitement. Nous n’aurons pas vu les îles grecques, nous n’aurons pas vu les Hébrides, nous n’aurons pas contemplé les plus tardifs couchers de soleil de l’année face aux Summer Isles ; nous n’aurons pas fait le tour de la Baltique comme nous nous sommes un moment amusés à en caresser le projet. Nous ne dînerons pas sur les tables sans nappe et de bois sombre de quelque White Hart ou Devonshire Arms, au profond de la campagne anglaise. Nous n’aurons pas d’entretiens avec des canards auprès de petits étangs bordés d’ajoncs en tentant de nous approcher de Hardwick Hall après l’heure de la fermeture. Notre été ne sera pas triste, notre été ne sera pas laid, notre été ne sera pas malheureux, mais je crains qu’il ne soit fini avant d’avoir commencé, et que nous ne le trouvions peu de chose, si nous n’y prenons pas garde.

Ce matin la pluie était délicieuse, à travers les fenêtres ouvertes.

Renaud Camus, « lundi 1er août 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, p. 405.

David Farreny, 20 janv. 2009
bruire

Une fois, l’autre m’a dit, parlant de nous : « une relation de qualité » ; ce mot m’a été déplaisant : il venait brusquement du dehors, aplatissant la spécialité du rapport sous une forme conformiste.

Bien souvent, c’est par le langage que l’autre s’altère ; il dit un mot différent, et j’entends bruire d’une façon menaçante tout un autre monde, qui est le monde de l’autre. […] Le mot est une substance chimique ténue qui opère les plus violentes altérations : l’autre, maintenu longtemps dans le cocon de mon propre discours, fait entendre, par un mot qui lui échappe, les langages qu’il peut emprunter, et que par conséquent d’autres lui prêtent.

Roland Barthes, « Altération », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, pp. 34-35.

Élisabeth Mazeron, 7 déc. 2009
sorties

Idée de suicide ; idée de séparation ; idée de retraite ; idée de voyage ; idée d’oblation, etc. ; je puis imaginer plusieurs solutions à la crise amoureuse et je ne cesse de le faire. Cependant, quelque aliéné que je sois, il ne m’est pas difficile de saisir, à travers ces idées récurrentes, une figure unique, vide, qui est seulement celle de l’issue ; ce avec quoi je vis, complaisamment, c’est le fantasme d’un autre rôle : le rôle de quelqu’un qui s’en sort.

Ainsi se dévoile, une fois de plus, la nature langagière du sentiment amoureux : toute solution est impitoyablement renvoyée à sa seule idée — c’est-à-dire à un être verbal ; en sorte que finalement, étant langage, l’idée d’issue vient s’ajuster à la forclusion de toute issue : le discours amoureux est en quelque sorte un huit clos de Sorties.

Roland Barthes, « Idées de solution », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 169.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2009
Elseneur

Ainsi, c’était en vain que les châteaux fameux s’échelonnaient sur la route, que l’histoire et la poésie s’associaient pour me retenir ; je suis partie ! J’ai opposé à toutes ces séductions la brutale vigueur de mes chevaux ; j’ai couru avec la rapidité barbare d’un commis voyageur en retard, d’un banqueroutier poursuivi ou d’un farfadet en mission ; enfin, j’ai touché la frontière : j’étais à Elseneur !

Léonie d'Aunet, « Lettre II. Christiania », Voyage d’une femme au Spitzberg, Hachette, p. 57.

David Farreny, 8 sept. 2011
inaugure

Le repas s’est poursuivi dans une ambiance moyenne, qu’alourdissait vaguement le silence des Jordan. De mon côté, je filais un mauvais coton avec Agnès. La vérité est que je me révélais sensible à son regard mouillé, à sa tristesse et à la manière dont, apparemment, y compris dans les moments difficiles, elle persistait à mettre en valeur ses seins comme s’il s’était agi d’une ligne de front en deçà de quoi elle s’interdisait de reculer quelles que soient les circonstances. Ou bien, ai-je songé, les chemisiers qu’elle porte, dont le boutonnage s’inaugure très bas, sont chez elle une vieille habitude vestimentaire et elle n’y pense même pas, mais cette absence à soi m’excitait tout autant. Il faut que j’en tienne compte, me suis-je dit, et j’ai cru que, pour la première fois depuis mon départ, je me sentais vivre.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 148.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
applaudit

On applaudit quand ça s’arrête.

Éric Chevillard, « dimanche 8 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016

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