empalés

Ces bouffons lamentables et ces polichinelles humanitaires (il paraît qu’avant même d’expédier Kouchner au Kosovo, on a envoyé des clowns dans les camps de réfugiés ; et ce qui est invraisemblable c’est qu’ils n’aient pas été empalés dès leur arrivée) envahissent comme de juste l’espace malade du nouveau monde, seul et dernier théâtre où ils ont encore une petite chance, avec leurs gaudrioles morbides, de déchaîner le rire jaune des têtes de mort ; et de voir des squelettes se tenir les côtes. Si tu ne viens pas aux rigolos, les rigolos viendront à toi ; même sous perfusion.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, p. 448.

David Farreny, 20 mars 2002
bâtiment

À mesure que vous approchez de la vérité, votre solitude augmente. Le bâtiment est splendide, mais désert. Vous marchez dans des salles vides, qui vous renvoient l’écho de vos pas. L’atmosphère est limpide et invariable ; les objets semblent statufiés. Parfois vous vous mettez à pleurer, tant la netteté de la vision est cruelle. Vous aimeriez retourner en arrière, dans les brumes de l’inconnaissance ; mais au fond vous savez qu’il est déjà trop tard.

Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 44.

David Farreny, 18 sept. 2006
remerciait

À l’origine il y eut une découverte ou plutôt une réminiscence — car j’en avais eu deux ans plus tôt le pressentiment : les grands auteurs s’apparentent aux chevaliers errants en ceci que les uns et les autres suscitent des marques passionnées de gratitude. Pour Pardaillan, la preuve n’était plus à faire : les larmes d’orphelines reconnaissantes avaient raviné le dos de sa main. Mais, à croire le Grand Larousse et les notices nécrologiques que je lisais dans les journaux, l’écrivain n’était pas moins favorisé : pour peu qu’il vécût longtemps, il finissait invariablement par recevoir une lettre d’un inconnu qui le remerciait […]. Je m’appliquais à surprendre, au fond de moi-même, cette universelle attente, ma source vive et ma raison d’être ; je me croyais quelquefois sur le point d’y réussir et puis, au bout d’un moment, je laissais tout aller. N’importe : ces fausses illuminations me suffisaient. Rassuré, je regardais au-dehors : peut-être en certains lieux manquais-je déjà. Mais non : c’était trop tôt. Bel objet d’un désir qui s’ignorait encore, j’acceptais joyeusement de garder pour quelque temps l’incognito.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, pp. 142-145.

David Farreny, 4 janv. 2009
intérêt

Elle dit : « Ma vie est sans intérêt. » Il rectifie : « La vie est sans intérêt. » Puis la journée se passe, sans intérêt.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 15.

David Farreny, 5 juil. 2009
érotisme

ÉROTISME. Érotisme était un mot parfaitement bienvenu et on ne peut plus utile pour désigner ce qui concerne l’amour et spécialement l’amour physique, l’activité sexuelle, le plaisir, le désir, le sexe.

Il lui est arrivé le grand malheur, hélas, d’être enlevé et détourné par une camarilla d’anciens séminaristes torturés, qui l’ont chargé et surchargé de sens superfétatoires, lesquels ne reflètent que leurs angoisses personnelles, leurs troubles religieux, leurs vices éventuellement ou leur peine à parvenir à la jouissance.

Il n’est en aucune façon dans la nature étymologique d’érotisme d’avoir partie liée à la “transgression”, au sacrilège, au sadomasochisme, à tout un bric-à-brac conceptuel et quincaillier de chaînes, de jeux de pouvoir, de talons aiguilles, d’épreuves, de martinets et autres éléments de matos qui n’avaient aucune espèce de droit à encombrer tout son espace et tout son rayonnement sémantique.

Et comme si n’était pas suffisant ce parasitage en règle, érotisme a dû subir, sur un autre front, mais de la part des mêmes envahisseurs, souvent, d’autres assauts de sens, qui l’ont paré des plus fausses élégances. L’érotisme n’était plus seulement ce qui concernait le plaisir amoureux et la volupté, il était, par opposition à la pornographie, ce qui en traitait avec art, avec dignité, raffinement et goût. Le goût était plutôt grossier, en général, et l’art le plus souvent au-dessous du médiocre. Quant à la dignité, le désir et le plaisir en avaient bien suffisamment par eux-mêmes, et de liens immédiats avec la poésie la plus haute, pour qu’ils eussent besoins de suspectes garanties de respectabilité, délivrées par des marchands d’art, des éditeurs de livres à tirage numéroté, des femmes du monde et de vieux messieurs libidineux.

La tentation est grande d’abandonner le pauvre érotisme à son malheureux destin, tant l’ont gravement compromis les fréquentations frelatées où il s’est vu contraint. Mais d’une part c’est très injuste à son égard, et d’autre part c’est nous punir nous-mêmes, car nous avons de lui grand besoin, pour lui faire dire ce qu’il veut dire, et rien de plus.

Renaud Camus, Répertoire des délicatesses du français contemporain, P.O.L., pp. 186-187.

Élisabeth Mazeron, 1er avr. 2010
chantez

La foudre fût tombée subitement sur tous ces messieurs que leur stupeur eût été certainement plus considérable, mais, tout de même, ils furent bien étonnés de cette déclaration.

— Qu’est-ce que vous nous chantez là, Fléchard ?

— Je ne chante pas, messieurs… j’avoue, car dans cette ténébreuse affaire Blaireau, le vrai coupable, je viens d’avoir l’honneur et le plaisir de le déclarer à Mlle Arabella de Chaville, c’est votre serviteur.

Alphonse Allais, L’Affaire Blaireau, FeedBooks.

Cécile Carret, 11 nov. 2011
labour

Retour, rebouffe, petit cognac et foncé dans le tas. Parlé dix minutes devant deux cents personnes, puis film. Dix bouquins vendus à l’entracte – dédicacés. Les noms, les noms bizarres qui existent qu’on ne supposerait jamais. De grosses demoiselles les yeux baissés, des types en blouson. Des médecins. Ce qui plaît le plus c’est la steppe. Tout ce public confiant comme des bœufs de labour. Je me couche.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 57.

Cécile Carret, 18 juin 2012
portiques

Et si ce n’est ce chant, je vous le demande, qui témoignera en faveur de la Mer — la Mer sans stèles ni portiques, sans Alyscamps ni Propylées ; la Mer sans dignitaires de pierre à ses terrasses circulaires, ni rang de bêtes bâtées d’ailes à l’aplomb des chaussées ?

Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 264.

Guillaume Colnot, 3 avr. 2013
ressentent

Dans les magasins, j’aime bien quand les gens dans un rayon me glissent : c’est une bonne confiture ; je leur prête une oreille sincère. J’achète le pot, j’aime bien goûter, pour ressentir ce qu’ils ressentent. C’est le grand mystère, cette impossible lecture directe de ce que sentent les autres, comment ils ressentent. Ce qu’ils pensent.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 117.

Cécile Carret, 26 sept. 2013
sûr

Les enfants sont là pour empêcher qu’arrive un événement sexuel. Les femmes les font pour mettre fin à la série de corvées d’événements sexuels auxquels les obligent les hommes. Grandissant, les enfants interdisent peu à peu le rêve lui-même de l’événement sexuel. S’ils sont présents, c’est la possibilité même, flottante, de l’événement sexuel qui est arrêtée. L’enfant vient boucher les virtualités. L’enfant est décidé pour que le monde soit sûr.

Philippe Muray, « 5 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 132.

David Farreny, 4 mars 2016
ressassée

Le visage des célébrités m’accable comme une information ressassée. C’est bon, c’est bon, on a compris. Ta gueule !

Éric Chevillard, « mercredi 10 juin 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024
abstraite

Aucune brise, et le mystère semble plus vaste. J’ai des nausées de pensée abstraite.

Fernando Pessoa, « 140 », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.

David Farreny, 10 mai 2024

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