porte

Ce fut une épopée de géants. Nous la vécûmes en fourmis. Nous triomphâmes ainsi. Succès par la porte basse.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 190.

David Farreny, 14 avr. 2002
viendra

L’avenir viendra d’une longue douleur et d’un long silence.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 38.

David Farreny, 24 mai 2003
prétexte

La flottaison colossale du massif cristallin a froissé les lisières de la plaine. Des grands cataclysmes des temps géologiques, il est resté la houle figée, profonde, où nous nous sommes découverts naufragés. Si l’intuition de l’espace est inséparable de l’ancrage corporel, alors il était inévitable que nous ayons perçu le monde, la réalité, dans le détail et dans les grandes masses, comme opposition, contrariété. La terre, sur cent kilomètres de profondeur, est oblique, renfrognée. On est continuellement à gravir ou à dévaler des pentes. On ne voit jamais loin. Toujours quelque versant, le même, dirait-on, revient barrer la perspective. Un démiurge bâcleur a déversé en tas les matériaux — les pierres, les arbres, les animaux — puis délaissé le chantier, sous un prétexte. Il n’est toujours pas rentré.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 9.

David Farreny, 6 août 2003
droit

Un homme qui est né dans un monde déjà occupé, s’il ne lui est pas possible d’obtenir de ses parents les subsistances qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a nul besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la moindre part de nourriture et, en réalité, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert disponible pour lui ; elle lui ordonne de s’en aller, et elle ne tardera pas elle-même à mettre son ordre à exécution, s’il ne peut recourir à la compassion de quelques convives du banquet. Si ceux-ci se serrent pour lui faire face, d’autres intrus se présentent aussitôt, réclamant les mêmes faveurs. La nouvelle qu’il y a des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux postulants. L’ordre et l’harmonie du festin sont troublés, l’abondance qui régnait précédemment se change en disette, et la joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère et de la pénurie qui sévissent dans toutes les parties de la salle, et par les clameurs importunées de ceux qui sont, à juste titre, furieux de ne pas trouver les aliments qu’on leur avait fait espérer.

Thomas Malthus, « Apologue du banquet », Essai sur le principe de population.

David Farreny, 27 mars 2007
clos

Il traduit aussi le Monde, celui qui voulait s’en échapper. Qui pourrait échapper ? Le vase est clos.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 3.

David Farreny, 2 avr. 2007
épaississement

Morale de la médiocrité. Être médiocre. L’homme moyen. D’abord l’homme-moyen comme on dit l’homme-fusée. Il est au niveau des moyens. Il se perd exprès dans l’infini des moyens pour ne pas regarder la fin en face. La fin est sous-entendue. En outre il est victime de la solidification des moyens qui deviennent eux-mêmes fins. En sorte que la tragédie de la poursuite de l’être se transforme en comédie. Épaississement du moyen.

Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 25.

David Farreny, 20 nov. 2008
livre

En revanche, il offre beaucoup à lire. C’est à se demander s’il ne convient pas de ranger parmi les indices de la grande déculturation en cours ces musées qui mettent un point d’honneur à relever, sur le mode plus ou moins ludique — force tiroirs à explorer, en l’occurrence —, et dûment spatialisée, la fonction désertée du livre. Quand personne ne fréquentera plus les millions de volumes des bibliothèques, on ira au musée pour lire : la lecture sera devenue une activité rare, curieuse et protégée, qui se pratiquera uniquement dans des conservatoires des activités culturelles, dans des zones réservées aux traditions savantes ; et, tout s’étant décalé d’un ou de plusieurs crans, on se rendra à Las Vegas ou dans des parcs d’attractions pour y contempler les œuvres d’art.

Renaud Camus, « 29, rue Descartes, Descartes, Indre-et-Loire. René Descartes », Demeures de l’esprit. France II. Nord-Ouest, Fayard, p. 191.

David Farreny, 26 fév. 2010
ciment

Dans les maisons sans sous-sol, malgré carreaux et tapis, les jambes sentent qu’elles s’appuient sur la terre, l’humidité traverse tout, les jambes se soudent aux genoux, ennui du ciment.

Paul Morand, « 18 mars 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 38.

David Farreny, 7 août 2010
scissiparité

Quand je repense à cette dizaine de mois pendant lesquels j’ai correspondu avec vous, moi qui ne vivais plus depuis près de dix ans, cette expression s’est imposée grâce à vous, j’ai eu accès à une forme de vie.

Ces mots évoquent en principe l’existence élémentaire des amibes et des protozoaires. Pour la plupart des gens, il n’y a là qu’un grouillement un peu dégoûtant. Pour moi qui ai connu le néant, c’est déjà de la vie et cela m’impose le respect. J’ai aimé cette forme de vie et j’en ai la nostalgie. L’échange des lettres fonctionnait comme une scissiparité : je vous envoyais une infime particule d’existence, votre lecture la doublait, votre réponse la multipliait, et ainsi de suite. Grâce à vous, mon néant se peuplait d’un petit bouillon de culture. Je marinais dans un jus de mots partagés. Il y a une jouissance que rien n’égale : l’illusion d’avoir du sens. Que cette signification naisse du mensonge n’enlève rien à cette volupté.

Amélie Nothomb, Une forme de vie, Albin Michel, pp. 156-157.

Élisabeth Mazeron, 27 sept. 2010
impossible

Être l’amant d’une fille de ferme, d’une petite serveuse de café, d’une ouvrière, qui rentre le soir vannée. On lui a préparé son repas. On la caresse doucement. On l’aime. Est-ce impossible ?

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 58.

David Farreny, 24 mars 2012
s’éternise

Il faut aimer les livres, ainsi que je le fais, naïvement, pour imaginer que l’âme s’éternise parmi nous grâce aux mots ; elle n’a jamais été que là, en eux, et quand ils se taisent, la voilà qui meurt à jamais.

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 41.

David Farreny, 20 juil. 2014

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