ce

Un Hindou adorerait un mur plutôt que de ne rien adorer du tout. Il le ferait. Ce lui est possible.

Henri Michaux, « Idoles », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 695.

David Farreny, 20 mars 2002
expérience

L’expérience, c’est se rendre compte que rien n’a changé.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 71.

David Farreny, 21 mars 2002
insistance

Je me répète, mais ce qui revient ne revient pas exactement au même niveau. C’est peut-être cela « une œuvre » (ce fantasme) : une insistance déplacée.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 181.

David Farreny, 4 mai 2002
souvenir

Il y a une nuit irrésistible au fond de l’homme. Chaque soir les femmes et les hommes s’endorment. Ils sombrent en elle comme si les ténèbres étaient un souvenir.

C’est un souvenir.

Les hommes croient parfois qu’ils s’approchent des femmes ; ils regardent l’expression de leur visage ; ils tendent leurs bras vers leurs épaules ; ils retournent vers leur corps chaque soir et ils se couchent contre leur flanc ; ils ne s’endorment pas davantage ; ils ne sont que les jouets de la nuit, menés en laisse par la scène invisible qui les a engendrés et qui porte son ombre partout et sur tout.

Pascal Quignard, Terrasse à Rome, Gallimard, p. 140.

Élisabeth Mazeron, 14 déc. 2003
ressuscités

Il était étrange de penser qu’avec les DVD et autres supports les générations suivantes connaîtraient tout de notre vie quotidienne la plus intime, nos gestes, la façon de manger, de parler et de faire l’amour, les meubles et les sous-vêtements. L’obscurité de siècles précédents, peu à peu repoussée de l’appareil sur trépied chez le photographe à la caméra numérique dans la chambre à coucher, allait disparaître pour toujours. Nous étions à l’avance ressuscités.

Annie Ernaux, Les années, Gallimard, p. 224.

Élisabeth Mazeron, 23 mai 2008
catimini

Ils cassent toutes les pierres, soi-disant pour voir comment fut fait le monde. On leur montre une majestueuse pyramide de rochers, et c’est au mieux un laccolithe : parle-t-on d’un glacier, ils deviennent pensifs et débattent sur la possibilité qu’il offre de contenir ou non des habitants d’un village lacustre avec leur loulou-des-tourbes (joli nom, ça).

À mi-chemin entre Dombas et Jerkin, un pauvre bloc de pierre sur lequel je m’étais assis excita ces messieurs au plus haut point ; je dus bel et bien me lever et laisser mon siège à leur voracité : tandis qu’ils le cassaient en morceaux, ma personne s’éclipsa en catimini ; semel in anno licet insanire.

Si donc j’évite si possible les géologues, il n’en demeure pas moins que j’aime leur science, surtout à la fin de l’automne. (Frau Doktor prêtait l’oreille derrière une nébuleuse d’Orion de fumée de cigarettes ; autrement non plus on n’aurait pu voir ses yeux, car bien sûr elle portait des lunettes.)

Arno Schmidt, « Histoire racontée sur le dos », Histoires, Tristram, p. 54.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
soustraction

Il me semble bien que j’étais, à la veille du jour où se produisit l’événement, ce que j’avais toujours été : un être effacé, à l’abri de ses propres désirs et à l’écart des conflits qui animent le monde. Je n’attendais rien. Je ne regrettais rien. Je m’accommodais, sans effort ni souffrance, d’une vie parfaitement plate, qui n’excluait pas les jouissances minimes de la pensée solitaire et de la chair plus seule encore. Je vivais pauvrement, obscurément mais, somme toute, à la mesure de mes besoins. Cependant, telle qu’alors je pouvais l’éprouver, la conscience de ma nullité était singulièrement superficielle. Je veux dire par là qu’elle se développait en moi comme par défaut, par soustraction, par une série d’opérations de retrait qui se référaient implicitement à une certaine évidence du social : je me voyais, sans complaisance et sans amertume, comme laissé-pour-compte par une vie qui s’agitait hors de moi, en une sphère d’altérité à laquelle je ne pouvais accéder, rejeté que j’étais par la surabondance des mouvements et par l’opacité des rites. À ce stade, ma nullité traduisait mon impuissance psychique à me lier et à entrer dans la danse. Je n’imaginais pas qu’elle pût, un jour, par un retournement de sens dont je ne serais, en aucun cas, le créateur mais seulement le terrain dont on dispose, que l’on travaille et qui consent, s’approfondir en une expérience spirituelle face à laquelle les attachements les plus élémentaires, qui m’avaient tenu jusque-là fixé au bonheur du jour et m’avaient servi de raison d’être, cesseraient entièrement de peser et d’intervenir.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 19-21.

Élisabeth Mazeron, 6 mars 2010
entrepreneurs

Ensuite, nous avons conversé plutôt librement, eux et moi, et en fait c’étaient des entrepreneurs, un couple d’entrepreneurs. Ils travaillaient dans le plomb. À les entendre, plus personne ne voulait de plomb, avec les nouvelles normes, et pourtant, m’a dit l’homme, qui allait nettement mieux, il en faut bien, du plomb, non ? J’ai dit si, en cherchant dans ma tête qui pouvait bien avoir besoin de plomb, aujourd’hui, à part les chasseurs, puis l’homme a dit que ce n’était pas si grave, en fait, que depuis quelques temps ils s’étaient spécialisés dans la fabrication de baguettes profilées à destination des verriers, pour les vitraux d’église.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 31.

Cécile Carret, 26 sept. 2011
zone

La mystérieuse zone du plafond qu’on désigne en levant le bras pour enfiler son manteau.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 106.

David Farreny, 29 mars 2013
opaques

Avec l’arrivée dans le roman de tous ceux qui écrivaient autrefois de « difficiles » essais, des poèmes épineux, d’opaques analyses, un grand dévoilement s’opère, une sorte d’apocalypse. On voit enfin ce qu’ils avaient dans le ventre. Rien que ça ! Ces banalités. Ces trois ou quatre vulgarités. Et c’est eux qui les révèlent ! Et personne ne les y obligeait ! Personne.

Philippe Muray, « 1er septembre 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 155.

David Farreny, 10 mars 2016

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