apéritifs

Prévenez-moi si la vie commence

je ne voudrais pas rater ça

les heures deviennent longues

entre les apéritifs

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 66.

David Farreny, 20 mars 2002
habitudes

Telles sont les aventures sur place de celui qui les voit venir, avant qu’elles ne se produisent, la nature étant lente comme on le sait, si lente, si engoncée dans ses habitudes qu’on croirait presque à des lois.

Henri Michaux, « En marge d’En rêvant à des peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 719.

David Farreny, 15 juin 2006
paresseuse

Ou bien on allait à la pêche, pour manger des haricots verts en salade dans de la vaisselle en aluminium, sous ces arbres encore plus beaux de s’appeler des charmes. Palpitante d’éclats, de reflets, d’obscurités, hâtive ou paresseuse, la Meurthe remuait doucement les feuillages comme une femme qui se déshabille. On voulait tout saisir. Les ablettes rejetées dans l’herbe y luisaient comme des clés vivantes, et un éboulement insensible et tendre nous emportait.

Jacques Réda, L’herbe des talus, Gallimard.

Cécile Carret, 20 mai 2007
rien

Quoique je ne fusse pas absolument convaincu, je me pliai à la suggestion de Kontcharski de laisser là la chaise, et nous nous en fûmes, la pensée me venant que notre voyage, pour s’effectuer sur l’eau, ne devait pas moins, à des fins de distraction, se dérouler à pied, d’un pont à un autre, et jusque dans les coins et recoins du navire, dont nous commençâmes à découvrir la cafétéria, donc, avec son bar et ses plateaux, ses tables entièrement occupées par des gens qui ne consommaient rien et qui, par les vitres ensalées, ne regardaient rien, ces gens, par conséquent, leur étalement dans un espace qu’ils se contentaient d’investir sans y rien regarder non plus, pas même leurs semblables, le relâchement de leur posture, leur indifférence à tout ce qui n’était pas le confort, illusoire, dont ils s’acharnaient à jouir jusqu’au bout, devenant pour nous un sujet d’affliction puis d’échange, c’est éprouvant, même, estima Marc, vous ne trouvez pas ? Et ils ont des enfants, enchaîna Kontcharski.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 89.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
rugueux

Le fameux «  je dis toujours ce que je pense  », qui, sous l’une ou l’autre de ses formes et variations («  je suis (trop) franc  », «  sois sincère  », «  sois simple  », «  c’est pourtant la vérité  », «  la seule chose qui compte pour moi, c’est la sincérité  », «  j’ai un gros défaut, il faut toujours que je dise ce que je pense  », etc.), constitue comme on sait le stéréotype des stéréotypes de la société petite-bourgeoise, la nôtre, et l’un des principaux instruments de sa barbarie quotidienne, eh bien, le piquant, c’est que la masse des gens qui en font usage, et Dieu sait qu’ils sont légion, ne s’en targuent pas seulement, chacun, comme d’un trait psychologique personnel, éminemment sympathique, il va sans dire, malgré l’éventuelle rudesse qu’il peut impliquer à première vue, à première ouïe, dans les rapports sociaux ; non, cette franchise et cette sincérité constamment autoproclamées, qui jour après jour, parmi nous, servent de nobles drapeaux à tant de brutalité, de vanité subreptice et de méchanceté pure, elles ne sont pas données uniquement, par ceux qui s’en drapent, comme le fond de leur âme et comme l’essentielle vérité de leur nature. Non, non, non, c’est plus drôle, c’est plus grave, c’est plus bête. S’ils disent : «  Moi j’dis tout haut c’que tout l’monde pense tout bas  », ils veulent que vous voyiez dans cette phrase, outre la preuve d’une noble qualité de leur caractère, une véritable fleur de civilisation, qui par chance aurait choisi d’éclore en eux, ou que leur intelligence, leur vertu, leurs réflexions morales, qui sait, leur auraient permis de cueillir pour s’en orner plus ou moins discrètement le revers. Et de fait, il semblerait fort, dans la plupart des cas, que la civilisation, l’intelligence, comme la morale et la culture, la générosité même, ce n’est pas exclu, la droiture, se réduisent bel et bien en eux, plus encore que ne l’impliquent leurs propos, à cet embarrassant ornement de boutonnière, dont ils sont si fiers : ils sont «  sincères  », et tout est dit, tout peut se dire, ils n’ont pas besoin d’autres principes pour faire honorable figure dans le monde…

La civilisation petite-bourgeoise, en effet, marquée par l’effondrement de la perception littéraire de l’univers sensible, ne connaît plus que des signes simples, au mieux bifrons, ordonnancés selon les seuls critères rugueux et plutôt pauvrets du mensonge et de la vérité. La littérature, c’est le relief du sens. Une société dans laquelle elle a cessé de servir d’école à sa gestion comme à son appréhension ne perçoit plus de significations qu’unidimensionnelles, mises en à-plat. Elle subit une simplification radicale, assez semblable à celle dont serait affligée la peinture, par exemple, si elle devait oublier toute son histoire pour revenir en amont de la perspective.

Renaud Camus, « Les sincères enchantés », Esthétique de la solitude, P.O.L., pp. 96-97.

David Farreny, 3 sept. 2009
défaut

Veuillez ne pas régler mon visage

Le défaut est en moi

Ma bouche est une forêt après l’incendie

Mon cœur un petit squelette de poisson

Elles sont belles ces cicatrices

C’est mon visage

La mort est le récit de la mort

La tête qui tombe de la guillotine pense

«  Ce n’est qu’un instant  »

L’animal blessé fuit et la mort court à ses côtés

Ensuite c’est la monotonie intense

Tel un disque rayé

rayé

rayé

Jerzy Skolimowski.

David Farreny, 15 fév. 2010
vacance

Je devrais détester le pavillon de Croisset, je ne puis. Il dresse le maigre vestige qu’il est au milieu des silos, des minoteries, des grues, des rails, des voies express des faubourgs portuaires de Rouen, en aval sur la Seine. Il faut avouer que ce paysage de catastrophe a une certaine beauté. Est-ce le cinéma qui nous a appris à l’aimer ? Ou bien les fleuves ont-ils toujours quelque chose pour nous plaire, quoi qu’il puisse leur arriver ? Tous ces grands édifices qu’on voit là donnent aussi le sentiment qu’ils ont un peu dépassé, eux aussi, leur âge de plus grande efficacité. Il n’est pas impossible même qu’ils aient déjà rejoint, comme la maison de Flaubert effacée, le camp des vaincus, des oubliés par le temps, des vestiges, des traces, des simples emplacements. D’eux aussi la vie se retire : la force, la puissance, l’agressivité, la barbarie. Ils sont en train d’aborder à ce site de toutes les indulgences, des tendresses et des émois lyriques : la vacance.

Renaud Camus, « Pavillon de Croisset, Canteleu, Seine-Maritime. Gustave Flaubert », Demeures de l’esprit. France II. Nord-Ouest, Fayard, pp. 436-437.

David Farreny, 26 fév. 2010
négative

Nous pouvons être d’avis qu’il y a de l’entendement dans le comportement des étoiles les unes par rapport aux autres ; mais elles relèvent de la répulsion morte. […] L’armée des étoiles est un monde formel, parce que seule cette détermination unilatérale dont il vient d’être question s’y fait valoir. […] On peut vénérer les étoiles en raison de leur calme, mais elles ne sont pas à mettre, quant à la dignité, au même rang que l’être individuel concret. Le remplissement de l’espace est l’éruption d’une multitude infinie de matières, mais c’est là seulement la première éruption à pouvoir divertir le regard. Cette éruption de lumière est aussi peu digne d’admiration qu’une éruption en l’homme ou que la multitude des mouches. Le calme de ces étoiles intéresse l’âme de plus près, les passions s’apaisent lorsqu’on intuitionne ce calme et cette simplicité. Mais ce monde n’a pas, quand on se tient au point de vue de la philosophie, l’intérêt qu’il a pour la sensation. Qu’un tel monde s’étende en tant que multitude dans des espaces incommensurables, cela ne signifie absolument rien pour la raison ; c’est ce qui est extérieur, vide, l’infinité négative.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 375.

David Farreny, 28 fév. 2011
lendemain

Les gens passaient leur temps à faire des préparatifs pour le lendemain. Moi je n’ai jamais cru à ça. Le lendemain ne faisait pas de préparatifs pour eux. Le lendemain ne savait même pas qu’ils existaient.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, p. 248.

David Farreny, 18 mai 2011
obscurcit

Le rapport entre le mystère et l’ignorance : est-ce leur méconnaissance d’elles-mêmes qui obscurcit les choses ? Doivent-elles ignorer qu’elles sont mystérieuses ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 137.

David Farreny, 2 avr. 2013
sage

Ne serait-il pas plus sage d’emprisonner plutôt tous ceux qui n’ont encore tué personne ?

Éric Chevillard, « jeudi 11 avril 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer