achever

Nous avons beau veiller, tout est impossible à achever, minés que nous sommes par nos exigences de rupture.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 206.

David Farreny, 5 janv. 2006
confirme

Jadis en Argentine, il m’est arrivé de naviguer sur le haut Parana — fleuve aux méandres largement étalés — accueillant en moi avec un sentiment de tension atroce des paysages que chaque tournant du cours d’eau renouvelait — comme s’ils avaient pu m’affaiblir ou me rendre plus puissant, et ce n’est pas autrement que, durant les longues années de mon travail littéraire, je scrutais du regard le monde, cherchant à savoir si mon Temps me confirme ou au contraire m’abolit.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 519.

David Farreny, 3 mars 2008
ennui

L’ennui est, pour ainsi dire, le désir du bonheur laissé à l’état pur.

Giacomo Leopardi, « feuillet 3715 », Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 4 mars 2008
vieillir

Vieillir n’y fait rien ; même si on est plus faible, on ne s’habitue pas davantage aux choses. Simplement on ne les découvre plus, on s’y attend avec une sorte de résignation à chaque fois balayée par un sursaut de « non ». Encore plus âgé, peut-être qu’on finit par se taire et marmonner un « c’est comme c’est » vaseux.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 15.

Cécile Carret, 4 mars 2010
colorées

Parce qu’il y a plein de choses partout, colorées, curieuses, intéressantes et qu’il est, qu’il serait plaisant de faire partager à quelqu’un au sort de qui l’on s’intéresse l’intérêt qu’on leur trouve. C’est mieux si l’agrément qui s’attache au temps qui passe, à ce qui arrive est partagé. De même qu’on supportera mieux le froid, le chagrin s’il y a un tiers qui trouve que ce n’est pas à rien qu’ils s’appliquent. À sa manière, il contribuera à supporter ce qui est lourd, cruel et ce le sera beaucoup moins.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 135.

Élisabeth Mazeron, 17 juin 2010
tour

En sortant de voiture, je me suis avancé tout de suite entre les arbres. J’avais emporté avec moi une petite bouteille d’eau de source locale, que je tenais à la main faute d’avoir songé à acheter un sac à bandoulière, voire un sac à dos, et, tout en marchant, je projetais à quelques centimètres de haut ma petite bouteille, en la faisant pivoter en l’air, puis je la rattrapais quand elle avait fait un tour sur elle-même. J’ai modestement jonglé comme ça cinq minutes, après quoi je me suis concentré sur ma promenade.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 39.

Cécile Carret, 27 sept. 2011
courriers

On les a placés devant cette alternative : devenir des rois ou les courriers des rois. À la manière des enfants, ils voulurent tous être courriers. C’est pourquoi il n’y a que des courriers, ils courent le monde et comme il n’y a pas de rois, se crient les uns aux autres des nouvelles devenues absurdes. Ils mettraient volontiers fin à leur misérable existence, mais ils ne l’osent pas, à cause du serment de fidélité.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 454.

David Farreny, 8 nov. 2012
assez

Vers onze heures des gens commencent à sortir, avec des enfants et des chiens. J’oblique dans la direction opposée.

À l’extrémité de la plage des Sables-d’Olonne, dans le prolongement de la jetée qui ferme le port, il y a quelques vieilles maisons et une église romane. Rien de bien spectaculaire : ce sont des constructions en pierres robustes, grossières, faites pour résister aux tempêtes, et qui résistent aux tempêtes, depuis des centaines d’années. On imagine très bien l’ancienne vie des pêcheurs sablais, avec les messes du dimanche dans la petite église, la communion des fidèles, quand le vent souffle au-dehors et que l’océan s’écrase contre les rochers de la côte. C’était une vie sans distractions et sans histoires, dominée par un labeur difficile et dangereux. Une vie simple et rustique, avec beaucoup de noblesse. Une vie assez stupide, également.

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, p. 122.

David Farreny, 26 fév. 2013
lacune

                            Oui, pirates, baleiniers,

navigateurs tenaces du sensible,

n’ayant d’aucun destin à témoigner,

ont traversé ces mers accoutumées

dans l’anonyme flux des horizons,

traçant partout leurs routes — de fumées.

À peine un fin sillage de leur court

périple.

              Noms sur une pierre

                                                 encres

séchées sur un registre.

                                   Bref discours :

nés à…

              morts à…

                            perdus en mer…

                                                        Et une

date en regard de ces événements

fragiles feux follets d’une lacune,

pas même attestés par des témoins

de bonne foi, présents à ce scandale

d’apparitions et de disparitions

mystérieuses…

Benjamin Fondane, Le mal des fantômes, Verdier, p. 79.

David Farreny, 21 juin 2013
mobilisation

Il est connu qu’une mobilisation générale soulage les hommes, qui ne sont heureux de se retrouver, de vivre ensemble, qu’en état de guerre, que si l’absurde les concerne tous. La paix n’est jamais supportable.

Georges Perros, « Tête à tête », « Les cahiers du chemin », numéro 5, Gallimard, p. 58.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013
antiquité

L’hymne est adapté d’une chanson napolitaine. Dans tous les villages de l’Österland, du Götaland, on entonne Sankta Lucia avec la ferveur d’un Caruso glorifiant le Pausilippe. La lueur des bougies se répand dans les rues, tremble sur les neiges, comme la lave qui coule du Vésuve fait scintiller la mer. Le suédois, remplaçant l’italien, lui emprunte un peu de soleil et de catholicité, troublant au fond de l’âme ces sentiments qui tressaillent au chant grégorien. Est-il possible d’obtenir plus d’effets avec moins d’apprêts ? On ne peut entendre ces accords sans avoir la gorge nouée — et si l’on devait se joindre au chœur, l’auditeur percevrait des sanglots dans nos voix. On ignore ce qu’il faut admirer le plus : la modestie de la mise en scène, sa naïveté, sa familiarité, sa beauté, son mystère, son antiquité, sa longévité. On sait simplement que, pour nous, quelque chose s’est perdu qui ne se retrouvera jamais — la jeunesse, la foi, l’étincelle ?

Il est aussi des mots trop froids qui fondent dès que notre langue les touche. De ceux que le suédois a cristallisés autour de la racine snösnöblandad, neige fondue, snöblind, aveuglé par la neige, snöbollskrig, bataille de boules de neige, snöglopp, neige mouillée —, le plus fragile et le plus beau est sans doute snölykta, qui désigne la lanterne de neige, une pyramide de boules à l’intérieur de laquelle on glisse un lumignon, et que l’on place au débouché d’une allée, au pied d’un perron, partout où elle peut égayer la nuit. Comme les couronnes de bougies de Sankta Lucia, la flamme brille au cœur de la neige, rougeoie, chancelle, chatoie, tente l’impossible union de la glace et du feu : c’est le printemps qui se débat dans l’hiver.

Thierry Laget, « Discours de Stockholm », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, pp. 48-49.

David Farreny, 7 juil. 2014
gens

Les gens ne fument plus ; ils ne se demandent plus de feu. Les gens ont tous une horloge et un GPS sur leur téléphone ; ils ne se demandent plus l’heure ni le chemin. Cette fois, je crois bien que nous n’avons plus rien à nous dire.

Éric Chevillard, « vendredi 26 avril 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 mai 2024

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