combinaison

Quoi qu’il en soit, ce fut une remarquable combinaison de la nature que d’accorder aux mêmes animaux le vol et le chant, car, ainsi, ceux qui ont à divertir les autres créatures avec la voix se rencontrent d’ordinaire dans les lieux élevés, d’où celle-ci peut se répandre plus largement à l’entour et toucher un plus grand nombre d’auditeurs ; et d’autre part, l’élément destiné au son, l’air, se trouve peuplé de créatures chantantes et musiciennes. C’est vraiment un grand réconfort et un grand plaisir que procure, autant, me semble-t-il, aux animaux qu’à nous-mêmes, le chant des oiseaux. Je crois que cela tient moins à la douceur des sons, à leur variété ou à leur harmonie, qu’à cette idée de joie qu’exprime naturellement le chant, en particulier celui-là, lequel est une sorte de rire que l’oiseau émet lorsqu’il est plongé dans le bien-être et le contentement.

Giacomo Leopardi, « Éloge des oiseaux », Petites œuvres morales, Allia, p. 169.

David Farreny, 9 nov. 2005
rêve

On a, sous les yeux, tracée de sa main, la carte en relief du lit de l’Atlantique, avec ses fosses descendant à plus de 6000 mètres, ses rampes vertigineuses, ses coteaux arides comme l’enfer qui eussent épouvanté le Dante, ses cirques d’effroi, ses Alpes inconnues, ses chaînes inimaginées et leurs contreforts, leurs crêtes, leurs pics, leurs croupes indomptées, leurs éperons, leurs falaises, leurs gorges terrifiques hantées par des monstres ignorés dont la seule vue ferait mourir ; enfin, çà et là, des pyramides ou de fabuleux piliers soutenant des îles enchantées pleines de lumière et de verdure, où des hommes joyeux ou privés de joie subsistent, sans se douter qu’ils sont, en réalité, sur l’extrême pointe d’une aiguille que la plus légère secousse plutonienne peut casser demain ; car les volcans se promènent en bas, dans les vallées immenses qui vont probablement d’un pôle à l’autre, sans parler des énormes dépressions transversales, méditerranéennes ou autres, mal connues encore.

Tout cela est, pour l’âme, l’occasion d’un trouble étrange. On se sent précaire et misérable infiniment. On voit que cette terre est un rêve, le rêve d’un rêve, et qu’il est absurde d’y compter.

Léon Bloy, Exégèse des lieux communs, Payot, pp. 394-395.

David Farreny, 29 oct. 2007
échappée

Puis le temps précipite son cours, brise les cercles où il tournait en rond bien plus qu’il ne passait — celui de la reproduction simple, de l’autarcie, des saisons. Il amorce l’échappée tangentielle, irrésistible qui se poursuit toujours.

Pierre Bergounioux, Les forges de Syam, Verdier, p. 38.

Élisabeth Mazeron, 3 fév. 2008
tard-venus

Mais justement, la vérité éventuelle de tout cela, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je ne m’intéresse à ces questions, comme Robbe-Grillet à la psychanalyse, qu’en tant qu’élément constitutif de notre paysage culturel, justement, et parce que c’est manié de toute part, partout et n’importe comment, sous couvert d’un pseudo-naturel. Prenons le rapport du récit à la castration, ou à l’œdipe. Ce sont des motifs essentiels d’Échange. Mais ils ne nous intéressent pas, Duparc et moi, pour leur éventuelle vérité. De leur vérité nous ne savons rien, et nous nous soucions peu. Je ne suis pas un intellectuel, moi. Ces choses-là ne m’intéressent qu’en tant qu’effets de sens, conventions flottantes, fond de l’air, et parce qu’elles acquièrent à l’usage une vérité fabriquée, une vérité elle-même de convention, une vérité d’usage, d’époque, de répétition. […] Mais oui, on peut très bien parler de cela, à condition que je n’aie pas l’air d’exposer là mon “dernier mot” sur la question — sur celle-là ou sur n’importe quelle autre, d’ailleurs. Je ne suis pas un type de “dernier mot”. Nous sommes des tard-venus du sens, Duparc et moi, des enfants de vieux. Nous arrivons après que tout a été dit. Je corrige, je rajoute, j’intercale, je ressasse, je change l’ordre des mots, l’ordre des lettres. J’espère ne pas être tout à fait pour rien le compatriote de Pascal : « La disposition des matières est nouvelle. » Les premiers mots de Passage étaient déjà : « Et de nouveau : »

Renaud Camus, « jeudi 18 novembre 1976 », Journal de « Travers » (2), Fayard, pp. 1261-1262.

David Farreny, 22 fév. 2008
travail

La réponse est peut-être dans l’emblème du Kampuchea démocratique : deux rails de chemin de fer traversent des rizières, symétriques comme des parcelles de ciment. Une usine ferme l’horizon, avec ses toits en crémaillère et ses cheminées. Nulle échappée possible. En fait, les rails n’en sont pas, même s’il est impossible de ne pas y penser. Ce sont deux murets qui mènent à une digue. Et cette perspective vers l’usine est un canal d’irrigation, guidé vers un barrage. Le Kampuchea démocratique, c’est l’irrigation et l’usine : les paysans et les ouvriers.

Bien sûr, il s’agit d’un emblème de combat, un signe noir et volontaire, dans la tradition des affiches soviétiques. Tout commence par le travail et rien ne vaut que par lui. Aucun être. Aucun visage. Aucune joie. Même les tresses de blé sont des lauriers inquiétants.

Je suis frappé par une évidence : les lignes droites ne disent pas : Nous rêvons d’atteindre cet horizon. C’est notre grand soir. Elles disent : Il n’y a qu’une voie, il n’y a qu’une destination : c’est un bâtiment industriel dont s’échappe la fumée. Comment ne pas penser à l’enfermement et à la destruction ? Pour moi, ce sceau signifie : il faudra sarcler, piquer, repiquer, tremper, sécher, battre, forger, usiner, fondre bien des hommes pour que ce monde advienne.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 104.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
répétition

La rêverie redonne aussi sa dignité à la notion, en général connotée négativement, de répétition – le sens de l’habitat, dont poètes et rêveurs sont les détenteurs privilégiés, ne se nourrit-il pas essentiellement, d’ailleurs, de rituels ? L’écrivain Serge Rezvani s’inscrit en faux : « Tout commence là où d’ordinaire on croit que cela s’arrête. » Habitant depuis plus de quarante ans la même petite maison nichée au creux d’un vallon enchanteur dans la forêt des Maures, aimant depuis plus de cinquante ans la même femme – la Danièle, ou « Lula », que ses livres célèbrent inlassablement –, il vante « les surprises de la répétition », écrivant : « Le cœur, les poumons, les viscères, la veille et le sommeil de notre cerveau, le désir et son assouvissement, la faim, la soif, ainsi que les rythmes de la marche… non, rien n’échappe à la répétition ! Et ce n’est que par la répétition et ses variations que nous pouvons juger de notre présence au réel. Même l’amitié se fortifie de la répétition et de ses jeux variés. Et bien sûr l’amour-passion dont le déploiement peut vous entraîner de surprise en surprise, ainsi qu’il est dit des “forêts enchantées” dont on ressort, après y avoir erré mille ans, sans avoir soi-même vieilli. »

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 34.

Cécile Carret, 1er mai 2012
obscurcit

Le rapport entre le mystère et l’ignorance : est-ce leur méconnaissance d’elles-mêmes qui obscurcit les choses ? Doivent-elles ignorer qu’elles sont mystérieuses ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 137.

David Farreny, 2 avr. 2013
ancêtre

Mais peut-être est-ce là aussi l’apparence – l’apparition : avec un ancêtre en moi, je ne suis plus au singulier ; je me tiens plus droit, j’ai une autre attitude ; je fais et j’évite, je dis et je tais ce qu’il faut faire et éviter, dire et taire en cas de danger.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 148.

Cécile Carret, 11 sept. 2013
oeil

L’œil creux, la lèvre mince, violacée, trois dents grises.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 110.

Cécile Carret, 24 fév. 2014
bougé

Les vaches n’ont pas l’air d’avoir tellement bougé, à moins qu’après avoir effectué dans notre dos un ballet frénétique, en nous voyant revenir elles aient sagement repris leur position initiale.

Jean Echenoz, « Caprice de la reine », Caprice de la reine, Minuit, p. 25.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
image

Je donnerais tout pour une image qui m’entraîne à sa suite dans un bruit de départ général.

Philippe Muray, « 20 août 1978 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 9.

David Farreny, 2 mars 2015
véritables

L’usage judicieux de l’euphémisme me semble être l’un des combles de l’élégance ; un petit bouclier gracieux, un signe de civilité, de douceur et d’ironie face à l’indicible qui plus qu’à son tour tente de nous saisir avec ses grandes pattes véritables.

Philippe Louche, « 20 février 2020 », Rien (ou presque). 🔗

David Farreny, 26 fév. 2024
morts

Combien de livres morts pour moi… Même parmi les plus grands, même ceux de nos chers auteurs, Balzac, je connais par cœur ta chanson, Hugo, je n’ai plus assez d’entrain pour te rejoindre au sommet de ton emphase, Kafka, mon âme ne saurait se tordre davantage, Proust, je suis fatigué de tes subtiles investigations, Céline, j’ai pour toi la camisole de ma lassitude… Les œuvres sont éternelles, mais le lecteur prend de l’âge. Car, évidemment, c’est bien moi plutôt qui suis déjà mort pour elles.

Éric Chevillard, « lundi 15 mai 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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