suspendu

En fait, le tableau, aujourd’hui la propriété d’un musée de Sheffield, en Grande-Bretagne, ne représente pas l’exécution mais les suites immédiates de celle-ci. Au pied d’un mur aveugle qui devait borner le jardin du restaurant de la Chartreuse, le supplicié est étendu face contre terre, drapé dans un manteau noir, son chapeau, également noir, ayant roulé à quelques pas. Au-dessus du mur, et à distance, la silhouette du dôme du Val-de-Grâce se détache en gris sombre sur un ciel brunâtre. Tant les habits du mort, civils et assez chic, que l’ambiance de petit jour blafard, l’absence de décorum ou la proximité d’un restaurant à la mode, évoquent plutôt les circonstances d’un duel, et seule la présence, sur la gauche du tableau, d’un groupe de soldats en marche, vus de dos, l’arme à la bretelle, en train de se retirer et sur le point de sortir du champ, suggère que l’État est à l’origine de cet homicide et qu’il s’agit par conséquent d’une exécution capitale.

Les transformations opérées depuis 1815 dans le quartier de l’Observatoire rendent aléatoire, aujourd’hui, la recherche du lieu précis de l’exécution. Il est vraisemblable que ce lieu a disparu, ou du moins qu’il a perdu tout support matériel, et qu’il est désormais suspendu dans les airs au-dessus des quais à ciel ouvert de la station Port-Royal, sur la ligne B du RER.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 20.

Guillaume Colnot, 13 avr. 2002
préciosité

Six heures… On a un continent en face de soi, pourtant, avec ses sommets, ses cités, ses routes et ses solitudes. Alentour, des pins, des parcs profonds, quelques balustrades, des terrasses. On s’assoit côte à côte à une branlante table de fer, devant le petit café qui jouxte la chapelle. On se tait, les mains se frôlent pour atteindre les verres ou se passer les jolies cartes postales anciennes qu’on vient d’acheter. On songe aux singularités du destin, à la fragilité des amours, à la tendresse des soirs, à la préciosité des moments, à des morts, à des disparus, à des oubliés, à des inoubliables qui vous oublient.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 247.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
attendre

Que faire ? Rien. Attendre. Ne pas mentir. Ne pas trop parler non plus, quand on ne nous demande rien. Pas de cachotteries, pas d’exhibitionnisme.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 253.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
sabliers

Dès l’apparition du froid inuit, la dilatation déchire la pierre. Ce qui semblait inatteignable, imputrescible, inaccessible aux effets du temps subit, comme le reste, l’entropie et le travail de la négativité. Même les pierres meurent. Elles éclatent, se démembrent, se délitent, bientôt elles deviendront sable, poudre destinée aux sabliers compagnons de l’angoisse des hommes. Avant-hier, la masse impénétrable, le bloc infracassable ; hier la fraction, les fragments, les morceaux, les blocs ; demain les poussières, semblables à celles des corps nettoyés par la mort et disséqués par le travail d’un temps auxiliaire.

Michel Onfray, Esthétique du pôle Nord, Grasset, p. 19.

Élisabeth Mazeron, 1er mai 2007
réalité

On vise la réalité, et puis finalement on tire n’importe où.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 65.

David Farreny, 5 juil. 2009
obstacle

Aller à la fenêtre. (Ne pas presser le front contre la vitre ; ça se fait à la rigueur dans ces romans de pacotille où l’on s’agite beaucoup ; en vérité le radiateur y fait obstacle, ou aussi la longue et étroite tablette carrelée ; et d’ailleurs la susdite partie de votre anatomie rougit sous la pression et se salit, c’est tout ce qu’on obtient).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
par-dessus

Plus que des colères. Plus que des rancœurs. Plus que des haines. Plus que des amertumes. Le silence froid de l’indifférence l’accable, l’accompagne.

Le vaste ciel par-dessus venu des campagnes. Plein d’exubérance. À tort et à travers. Juvénile et neuf. Éclatant de fraîcheur. Car c’est la saison. Le calendrier tourne la page de l’hiver. Il fait ses affaires de calendrier.

Hélène Bessette, La tour, Léo Scheer, p. 180.

Cécile Carret, 10 oct. 2010
fonce

Merde, le con, il est là, dit-il.

En effet, presque en haut, au moment où le plan de son regard rejoint le plan du quai, au ras du sol, il le voit qui est là, bleu et rouge, immobile, avec ses portes grandes ouvertes, ses fenêtres avec ces gens tranquillement assis qui regardent ailleurs, qui attendant, il les voit en même temps qu’il entend le signal :

Laaaaaaaaa.

Tu peux l’avoir, se dit-il. Non. Je te dis que tu peux l’avoir. Je te dis que non. Et moi je te dis que si. Allez, cavale, cavale, t’as le temps. Non. Je te dis que t’as le temps. Et moi je te dis merde. Pauvre con. Vas-y, nom de dieu, tu peux y arriver. Essaie, au moins, une fois dans ta vie, ne laisse pas tomber, tu laisses toujours tomber, défends-toi, bon dieu, allez, vas-y, fonce, fonce, alors il fonce.

Plus que dix mètres à courir.

Laaaaaaaaa.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 49.

Cécile Carret, 4 mars 2012
opprime

Durant l’enfance, quand aucune impression ni émotion n’est encore devenue ordinaire, l’été, avec les déplacements qu’il amène, les profonds changements dans les habitudes de la journée, les fréquentes solitudes et les isolements qu’il impose, avec, à pic au-dessus de la maison, les hauts silences écrasants ou dehors, dans la campagne, ce bourdonnement infini et ce lointain bruissement, suscite dans le cœur un égarement pareil à une blessure. L’enfant sent qu’est en train de passer sur la terre quelque chose d’énorme, d’impérieux et de vague qui, dans les hommes, les animaux et les plantes, opprime et charme la vie.

Mario Luzi, « Été, enfance », Trames, Verdier, p. 27.

David Farreny, 26 fév. 2013
filiation

Les vieux amis de monsieur Songe sont célibataires et comme lui toute leur vie n’ont parlé que de leurs neveux. Dans l’esprit de monsieur Songe c’est la seule filiation. Au point qu’il n’imagine même pas que les neveux de ses amis et leurs petits-neveux puissent être mariés. Il se dit donc mais alors il n’y aura pas de dames ? Il nous en faut. Où les trouver ?

Monsieur Songe note trouver dames.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 90.

Cécile Carret, 8 déc. 2013
naît

On nous naît, déjà pas mal, maintenant

« accouche de toi-même mais en silence ! »

Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 17.

David Farreny, 28 fév. 2016

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