veut

La reconnaissance c’est une belle chose, mais l’appétit est autre chose. Le rêve est une belle chose, mais les cuisses disent autre chose. Le respect est une belle chose mais il faut savoir ce qu’on veut.

Henri Michaux, « Braakadbar », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 260.

David Farreny, 24 mars 2002
stabilisatrice

Je comprends qu’adoptant une bonne mienne habitude, renverse-monde, mais très stabilisatrice, vous passez la moitié de votre vie au lit.

Henri Michaux, « lettre à Claude Cahun (avril 1952) », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. XXIX.

David Farreny, 14 avr. 2002
inquiétude

Il faut que l’inquiétude subsiste.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 507.

David Farreny, 30 juin 2002
maquignonnons

Tout est prétexte à sortilèges, les possédés tournent sur eux-mêmes l’écume aux lèvres en ronflant comme des toupies, toutes nos nuits sont traversées par le son des tambours et chacun consacre un peu d’énergie ou d’argent à se prémunir contre les manigances réelles ou supposées de ses voisins. L’honnêteté oblige cependant à reconnaître qu’à force de mitonner dans le chaudron de ma ville, nos démons ont eux aussi un peu fondu. Ils participent à l’enflure, au laisser-aller, à la léthargie générale et l’aubergiste qui est un homme avisé m’assure qu’ils sont en outre d’intarissables bavards. De leur côté, nos exorcistes ne brillent pas par leur vertu. Ce sont des fainéants assurés de leur bol de riz et qui n’observent aucune des abstinences qui les rendraient vraiment efficaces. De part et d’autre, le tranchant s’est émoussé. Nous maquignonnons avec nos ombres, nous ergotons avec nos fantômes et la plupart du temps on s’arrange à l’amiable.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 74-75.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
souffrance

Ici, en plein soleil, sur ce lieu non identifiable d’un parcours touristique, sans doute aucune pensée en elle au-delà de la bulle familiale qu’ils promènent de paradors en bars à tapas et sites historiques trois étoiles du guide, dans la 305 Peugeot dont ils ont peur de retrouver les pneus crevés par l’ETA. Dans ce huis clos à l’air libre, momentanément débarrassée du souci multiforme dont son agenda porte les traces elliptiques — changer draps, commander rôti, conseil de classe, etc. — et de ce fait livrée à une conscience exacerbée, elle n’arrive pas, depuis qu’ils sont partis de la région parisienne sous une pluie battante, à se déprendre de sa douleur conjugale, boule d’impuissance, de ressentiment et de délaissement. Une douleur qui filtre son rapport au monde. Elle n’accorde aux paysages qu’une attention lointaine, se bornant à constater, devant les zones industrielles à l’entrée des villes, la silhouette du Mammouth commercial hissée dans la plaine et la disparition des bourricots, que l’Espagne a changé depuis la mort de Franco. Aux terrasses des cafés, elle ne voit que les femmes à qui elle donne entre trente-cinq et cinquante ans, cherchant sur leurs visages les signes du bonheur ou du malheur, « comment font-elles ? ». Mais, parfois, assise au fond d’un bar, regardant ses enfants plus loin en train de jouer avec leur père aux jeux électroniques, elle est déchirée par l’idée d’introduire, en divorçant, la souffrance dans un univers si tranquille.

Annie Ernaux, Les années, Gallimard, pp. 140-141.

Élisabeth Mazeron, 23 mai 2008
balnéaire

Mardi – Un ciel blanc de chaleur, déjà, des jointures que l’on serre. Dans le virage qui mène à Stalingrad un store enrouleur me fait de l’œil (c’est possible). Je prends ce vélo suspendu au balcon du cinquième et hop, à la mer. J’emporte la gare et les rails au cas où et cette cheminée de nickel. La superposition des façades opposées dans un reflet de vitre est encore balnéaire.

Vendredi – Une vitre réfléchie assène son velouté au mur du dessous, qui traîne sa lèpre le long du quai. Je suis belle et je t’emmerde, dit-elle. J’ai des locataires d’Atlantique, toi tu attires les rats. Rien à dire.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 14.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
pièces

Vostre mort est une des pieces de l’ordre de l’univers.

Michel de Montaigne, « Que philosopher c’est apprendre à mourir », Essais (I), P.U.F., p. 92.

David Farreny, 7 août 2010
confusion

Je ne savais plus si j’étais Will Scheidmann ou Maria Clementi, je disais je au hasard, j’ignorais qui parlait en moi et quelles intelligences m’avaient conçue ou m’examinaient. Je ne savais pas si j’étais mort ou si j’étais morte ou si j’allais mourir. Je pensais à tous les animaux décédés avant moi et aux humains disparus et je me demandais devant qui je pourrais un jour réciter Des anges mineurs. Pour ajouter à la confusion, je ne voyais pas ce qui s’ouvrirait derrière le titre : un romånce étrange ou simplement une liasse de quarante-neuf narrats étranges.

Et soudain, j’étais comme les vieilles, ahurie par l’interminable. Je ne savais pas comment mourir et, au lieu de parler, je bougeais les doigts dans les ténèbres. Je n’entendais plus rien. Et j’écoutais.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 201.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
nom

Fermes si bien enfouies dans la neige qu’on les dirait inhabitées, n’était un filet de fumée montant d’une cheminée ou un chien juché sur un tas de bois et aboyant en silence.

Äksi kihelkond, à 23 kilomètres de Tartu, au sein d’un étincellement blanc. Ce nom résume le paysage : inhabitable, car imprononçable, du moins non mémorisable pour moi (ou alors au prix de tels efforts que j’aurais l’impression de cheminer dans la neige).

C’est pourquoi je le note.

Richard Millet, Eesti. Notes sur l’Estonie, Gallimard, p. 53.

David Farreny, 4 sept. 2012
vallée

Si je n’ai pas gardé la couverture, j’écris près de la petite table dont j’aime l’élégante robustesse et la couleur acajou : elle supporte un crucifix sur pied que je ne regarde guère sans penser à cette femme dont le visage, la voix, la vie sont retournés au néant, et qu’aucun récit ne sauvera, sinon ce prénom fané qui dit un monde disparu et, peut-être, ce que le temps fait de nous alors même que nous ne sommes pas nés, nous appelant à lui sous le masque de l’amour et de la nécessité pour nous abandonner bientôt dans une vallée dont nous ne sortirons plus.

Richard Millet, Petit éloge d’un solitaire, Gallimard, p. 24.

David Farreny, 25 août 2013
élan

Excuse-moi de ne pas venir aujourd’hui, j’avais dimanche quelque chose à faire et je ne l’ai pas fait, car le dimanche est court. Le matin, on dort ; l’après-midi, on se lave les cheveux et au crépuscule, on va se promener comme si on était un paresseux. J’emploie toujours le dimanche à prendre mon élan vers des plaisirs, c’est assez ridicule.

Franz Kafka, « lettre à Max Brod (21 octobre 1907) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 605.

David Farreny, 20 avr. 2014
devenir

Faire croire à des gens d’esprit que nous sommes ce que nous ne sommes point est plus difficile, dans la plupart des cas, que de devenir vraiment ce que l’on veut paraître.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 283.

David Farreny, 13 janv. 2015

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