paroi

Aucune nouvelle. Il est trop tard, maintenant. L’amour que j’étais sur le point d’avoir pour lui est déjà mêlé, avant même d’être né, de trop d’amertume pour sa bonne santé. Pas de nom, pas d’état, pas de signe : on ne peut faire que glisser, dans de telles conditions, sur la paroi du sentiment, puisqu’on ne peut se raccrocher à rien.

Renaud Camus, « mardi 12 octobre 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 132.

Élisabeth Mazeron, 15 août 2003
geste

Lorsqu’on réalise que tout est vain, mais que, absurdement, on continue à aimer la vie, il faut se résoudre à faire un geste, une action. Car il vaut mieux se détruire dans la frénésie que dans la neutralité.

Emil Cioran, « La nécessité du radicalisme », Solitude et destin, Gallimard, p. 347.

David Farreny, 24 juin 2005
coûteux

Retour dans l’obscurité brumeuse. Nous parlons de la rupture opérée par l’exil, les études, entre nos vies antérieures et celle, tendue, toute pensive, que nous tentons d’inventer, au loin. Derrière nous, une sorte d’éternité, l’obscur repos en soi-même dans le cercle étroit des collines, devant, l’espoir coûteux d’y voir plus clair, le soin épuisant de vivre à la hauteur d’un présent que notre petite patrie, fermée, retardataire, n’a jamais soupçonné.

Pierre Bergounioux, « vendredi 30 décembre 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 271-272.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
défaut

Veuillez ne pas régler mon visage

Le défaut est en moi

Ma bouche est une forêt après l’incendie

Mon cœur un petit squelette de poisson

Elles sont belles ces cicatrices

C’est mon visage

La mort est le récit de la mort

La tête qui tombe de la guillotine pense

«  Ce n’est qu’un instant  »

L’animal blessé fuit et la mort court à ses côtés

Ensuite c’est la monotonie intense

Tel un disque rayé

rayé

rayé

Jerzy Skolimowski.

David Farreny, 15 fév. 2010
véritablement

Le développement attribué à la Terre n’a pas l’être plénier et sûr d’un présent : les membres de l’individu géologique universel n’offrent pas empiriquement un processus de production et reproduction de celui-ci, comme c’est le cas chez l’individu biologique singulier.

Le processus que le concept affirme de la Terre, comme identité organisée de ses différences, n’est, en effet, nécessaire que comme conceptuel, non pas comme empiriquement réel, et, donc, temporel. […] La géognosie lit ainsi dans la disposition actuelle des roches « les terribles vestiges d’une effroyable cassure et destruction », l’effet de « révolutions majeures » ayant frappé autrefois le globe, ce qui fait dire que « l’histoire a affecté la Terre dans les premiers âges ». […] Ce qui importe, s’il y a une telle histoire passée des révolutions du globe, c’est qu’elle n’est plus, car seul est vraiment ce qui est présent ; ce qui n’est qu’à avoir été n’a jamais été véritablement […] : « L’histoire a affecté la Terre dans les premiers âges, mais, maintenant, elle est parvenue au repos : c’est là une vie qui, en fermentation au-dedans d’elle-même, avait, en elle-même, le temps, — l’esprit de la Terre qui n’était pas encore parvenu à l’opposition, — le mouvement et les rêves d’un être endormi, jusqu’à ce qu’il soit éveillé et ait obtenu sa conscience dans l’homme, et qu’il soit ainsi venu se faire face à lui-même comme une paisible configuration ».

Bernard Bourgeois, « Le concept du développement de la nature », Présentation de la «  Philosophie de la nature  » de Hegel, Vrin, pp. 39-40.

David Farreny, 24 janv. 2011
expression

Clément était si bien. Quelle vie ! Quelle journée ! Quel beau temps ! La journée de plus en plus belle. Il était si bien. Il n’était pas hanté par l’expression.

Dominique de Roux, La jeune fille au ballon rouge, Le Rocher, p. 165.

David Farreny, 13 fév. 2011
saurait

Il avait eu très peur, mais sa peur essentielle avait été et était encore d’avoir pu tuer un homme. Il montrait d’une âme égale ses nombreuses blessures, au tibia, à la cuisse, à l’épaule – ne sortant de ses gonds que lorsqu’on en venait, inévitablement, à cet Italien qu’il avait, sur ordre, mis en joue. « J’ai visé au-dessus de sa tête, disait mon père, mais quand j’ai tiré il a sauté en l’air, comme ça, les bras en croix, et ensuite je ne l’ai plus vu. » C’était le seul moment qu’il racontait encore et toujours les yeux écarquillés ; car l’autre continuait toujours, trente, quarante, cinquante après, à sauter en l’air, et jamais on ne saurait avec certitude s’il se laissait retomber ensuite dans sa tranchée ou s’il y était précipité la tête la première.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 63.

Cécile Carret, 4 août 2013
éteinte

Comme si le précieux secret enfoui dans l’obscur pouvait être autre chose qu’une lampe éteinte.

Éric Chevillard, « mardi 28 mars 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
avance

« Toute grande passion débouche sur l’infini », écrit quelque part Michel Houellebecq. C’est ce que je ressens le plus souvent en écoutant Jean-Sébastien Bach. Il y a tant de passion (à tous les sens de ce terme) dans sa musique, mais c’est une passion délivrée de l’hystérie et de la vanité ! Le contrepoint, porté à cette hauteur, avec cette exigence, c’est une irrésistible avancée dans la connaissance. Chacune des voix de la fugue semble nous dire : avance, avance encore, avance toujours, et tu sauras. Les voix d’une fugue sont autant des voix qui parlent que des voix qui écoutent, qui écoutent jusqu’à l’infini. Les mains se meuvent à peine, il n’y a aucune de ces extravagances de la musique romantique, pas de virtuosité au sens d’acrobatie, de saut, de déplacement, les bras restent sagement près du corps, le son provient d’une corde à peine frappée, les notes durent exactement ce qu’il faut, le piano se fait chanteur, ou plutôt souffles, il énonce, pas à pas, note après note, et il s’efface autant qu’il peut devant la nécessité et la continuité du chant, il tient la « corde de récitation ». Ça crée de l’harmonie, des harmonies ? Elle est presque superfétatoire, elles sont presque de trop.

Jérôme Vallet, « À l'aube », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 19 mars 2024

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