presque

Tu attends, tu espères. Les chiens se sont attachés à toi, et aussi les serveuses, les garçons de café, les ouvreuses, les caissières des cinémas, les marchands de journaux, les receveurs d’autobus, les invalides qui veillent sur les salles désertées des musées. Tu peux parler sans crainte, ils te répondront chaque fois d’une voix égale. Leurs visages maintenant te sont familiers. Ils t’identifient, ils te reconnaissent. Ils ne savent pas que ces simples saluts, ces seuls sourires, ces signes de tête indifférents sont tout ce qui chaque jour te sauve, toi qui, toute la journée, les a attendus, comme s’ils étaient la récompense d’un fait glorieux dont tu ne pourrais parler, mais qu’ils devineraient presque.

Georges Perec, Un homme qui dort, Denoël, p. 119.

David Farreny, 4 oct. 2005
solution

Solution provisoire : se coucher.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 33.

David Farreny, 19 nov. 2006
fragment

Dans le Grand Nord, l’espace absorbe le temps et la matérialise en étendues sublimes. La vastitude transfigure l’être humain en fragment, en tout petit morceau installé dans un temps limité, mais évoluant dans l’éternité d’une perspective à perte de vue. Le romantisme menace dès l’installation solitaire face à l’immensité démesurée des montagnes, des falaises, des torrents, des cours d’eau, des icebergs, des fjords, des glaciers, des neiges éternelles. La matière étirée, compactée, contrainte puis lissée et développée d’une manière musicale, à la façon des variations sur un même thème — toujours celui de la rareté —, voilà le mode d’apparition immédiatement visible du temps polaire.

Michel Onfray, Esthétique du pôle Nord, Grasset, p. 44.

Élisabeth Mazeron, 1er mai 2007
vache

C’est d’autre chose qu’il s’agit. De la vache. Comment se comporter face à une vache ?

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 519.

David Farreny, 12 mars 2008
moral

Il faut profiter, pour respirer une dernière fois, du jeu entre les nations, de la maladresse des administrations, pour lesquelles des frontières existent encore. Bientôt, ce sera le règne des ordinateurs interchangeables, un immense réseau moral d’interpolices.

Paul Morand, « 24 janvier 1969 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 137.

David Farreny, 25 mai 2009
rit

Son rire eût arraché comme une trombe les perruques poudrées des philosophes qui cherchent Dieu ou le big-bang dans un nuage de talc – volent aussi les feuillets de Descartes, noircis à la fumée des chandelles, ses méditations cachetées à la cire, Dino Egger rit. Son rire profite de la résonance des gouffres où il se forme pour retentir partout sous la voûte du ciel, jusque dans les provinces administrées par le bon sens populaire.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 46.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
pornographie

Les avions sont mes seules occasions de vie communautaire, de participation à l’obscénité fondamentale, celle de leurs nuits… Atroce. La façon dont ils se couchent (mettent leur masque noir, se réveillent, se remaquillent, se parlent, etc. S’emboîtent. Les couples sans paroles…)

On n’est partis que depuis deux heures à peine. Dans cinq ou six, la pornographie des intimités (reposant sur l’idée qu’étant tous pareils, on n’a rien à se cacher) aura atteint son comble.

Ça commence : un type fait de la gymnastique dans le couloir.

Philippe Muray, « 17 mars 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 262.

David Farreny, 27 mai 2015
jeune

Elle est jeune comme ne peut l’être qu’un très vieux souvenir.

Éric Chevillard, « mardi 19 mars 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 3 mars 2024
sociale

Tolérer jusqu’aux idées stupides peut être une vertu sociale ; mais une vertu qui tôt ou tard reçoit son châtiment.

Nicolás Gómez Dávila.

David Farreny, 22 mars 2024

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