mort

Or, la mort ne nous empêche même pas d’aller au cinéma.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 91.

David Farreny, 22 mars 2002
solution

Je suis ici, sur ce lit, comme un fainéant ; non point qu’il me déplaise d’être un terrible paresseux ; mais je hais de rester longtemps comme ça, quand notre époque est la plus favorable aux trafiquants et aux filous ; moi, à qui il suffit d’un air de violon pour me donner la rage de vivre ; moi qui pourrais me tuer de plaisir ; mourir d’amour pour toutes les femmes ; qui pleure toutes les villes, je suis là, parce que la vie n’a pas de solution.

Arthur Cravan, Maintenant, Seuil, p. 52.

David Farreny, 24 mars 2002
accaparer

Ce qui serait bien, c’est que nos jours, d’eux-mêmes, se rangent derrière nous, s’assagissent, s’estompent ainsi qu’un paysage traversé. On serait à l’heure toujours neuve qu’il est. On vivrait indéfiniment. Mais ce n’est pas pour ça que nous sommes faits. La preuve, c’est que l’avancée se complique des heures, des jours en nombre croissant qui nous restent présents, pesants, mémorables à proportion de ce qu’ils nous ont enlevé. Ils doivent finir, j’imagine, par nous accaparer. Quand cela se produit, qu’on est devenu tout entier du passé, notre terme est venu. On va s’en aller.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 142.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
coalescence

[…] un coupe-poils à pile sans fil en mousse absorbante avec sa ventouse, une caisse à outils pour tout casser comme sans les outils, un microfournil à ondes fulgurantes, une console en kit à monter sans peine en cinquante semaines pour te consoler de la vacuité des emplois du temps, un, deux, trois, ho ! hisse ! commande aux Trois Suisses, chasse tes doutes en écrivant à la Redoute, ouvre le courrier personnalisé de monsieur Leclerc qui t’envoie sympa la photo couleur de son rôti d’porc, arbore-toi, réveille-toi le teint, décore-toi le corps avec des machins succincts qui font super bien, existe, montre que tu résistes, sois le vrai groupie de toi le pianiste, le gai guitariste, le batteriste, mais en moins jazz triste, le Francis Lopez de la supérette où t’achètes ton steak en barquettes, ah ! maman, maman, les docteurs, ils m’ont dit, je devrais pas te le dire à toi, pourquoi j’ai des absences côté coalescence avec l’existence, effet de faille, tas de paille de peu de pathie, atonie, bout de chosité sans nervosité, préjudice de sensibilité, ralenti du libidiné, recroquevillé dans le trou de soi, que de dégâts, que de dégâts […]

Christian Prigent, Une phrase pour ma mère, P.O.L..

David Farreny, 24 fév. 2007
déjà

Vous savez, c’est le soir qui s’estompe comme vous l’aimez, les corneilles sur les halliers, les ailes royales, le velouté des guêpes, les tiges rameuses, les fleurs roses ou purpurines, les odeurs sucrées, piquantes, un peu amères, les pétales toniques et déjà les boissons rafraîchissantes à base de vin blanc.

Dominique de Roux, « lettre à Gabrielle de Lestapis (25 mai 1959) », Il faut partir, Fayard, p. 112.

David Farreny, 21 août 2008
lubrifier

Le souci des peintres hollandais, ce n’est pas de débarrasser l’objet de ses qualités pour libérer son essence, mais bien au contraire d’accumuler les vibrations secondes de l’apparence, car il faut incorporer à l’espace humain des couches d’air, des surfaces, et non des formes ou des idées. La seule issue logique d’une telle peinture, c’est de revêtir la matière d’une sorte de glacis le long de quoi l’homme puisse se mouvoir sans briser la valeur d’usage de l’objet. Des peintres de nature morte, comme Van de Velde ou Heda, n’ont eu de cesse d’approcher la qualité la plus superficielle de la matière : la luisance. Huîtres, pulpes de citrons, verres épais contenant un vin sombre, longues pipes en terre blanche, marrons brillants, faïences, coupes en métal bruni, trois grains de raisin, quelle peut être la justification d’un tel assemblage, sinon de lubrifier le regard de l’homme au milieu de son domaine, et de faire glisser sa course quotidienne le long d’objets dont l’énigme est dissoute et qui ne sont plus rien que des surfaces faciles ?

L’usage d’un objet ne peut qu’aider à dissiper sa forme capitale et surenchérir au contraire sur ses attributs. D’autres arts, d’autres époques ont pu poursuivre, sous le nom de style, la maigreur essentielle des choses ; ici, rien de tel, chaque objet est accompagné de ses adjectifs, la substance est enfouie sous ses mille et mille qualités, l’homme n’affronte jamais l’objet qui lui reste prudemment asservi par tout cela même qu’il est chargé de lui fournir. Qu’ai-je besoin de la forme principielle du citron ? Ce qu’il faut à mon humanité tout empirique, c’est un citron dressé pour l’usage, à demi pelé, à demi coupé, moitié citron, moitié fraîcheur, saisi au moment précieux où il échange le scandale de son ellipse parfaite et inutile contre la première de ses qualités économiques, l’astringence.

Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, pp. 284-285.

David Farreny, 12 sept. 2009
auget

Devant l’étagère à livres. Je m’en sortis un dont la couverture illuminait à peu près convenablement ma face ; dos de cuir vert foncé avec étiquette vert clair : “J.A.E. Schmidt, Manuel de la langue française, 1855”. Je l’ouvris au hasard page 33 : “Auget = petit canal de planche où l’on enferme le saucisson de poudre” – je me pinçai la cuisse pour m’assurer de mon existence : saucisson de poudre ? ? ! ! (et de toute ma vie, cet “auget” je ne l’oublierai plus ; c’est une punition que d’avoir une mémoire en acier trempé !).

Arno Schmidt, « Un météore en été », Histoires, Tristram, p. 84.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
fatigue

Or en ce temps-là, j’étais fatigué, d’une fatigue déjà ancienne, incarnée, que je croyais irrémédiable. Ce n’était pas la fatigue que nous connaissons tous, qui se dépose sur le bien-être et l’étreint comme une paralysie temporaire, c’était un manque définitif, une amputation. Je me sentais vidé, comme un fusil déchargé, et Valerio était comme moi, même s’il en avait moins conscience, et tous les autres aussi.

Primo Levi, « Capaneo », Lilith, Liana Levi, p. 12.

Cécile Carret, 21 mars 2010
félicité

La phrase de Chateaubriand : « Je serai heureux d’être parti avant qu’une telle félicité ne soit advenue » (l’égalité des temps futurs), nous nous la répétons, Hélène et moi, tous les jours.

Paul Morand, « 10 juin 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 72.

David Farreny, 7 août 2010
rien

Le rien défini comme pure absence de choses porte un autre nom, l’effroi ou le vertige. Le rien est donc plutôt le refus des choses après examen. Un examen succinct, dégoûté, un examen malgré tout, une estimation. Non, non, non et non, dit le rien, sans passion, sans colère, mais une fermeté que l’on n’attendrait pas d’une notion aussi lâche. Non, c’est non. Et il n’y a pas de mais.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 43.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
voyance

La seule voyance : le regard épanoui librement dans ce qu’il contemple. Arbres.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 181.

David Farreny, 2 avr. 2013

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