sosie

En amour, tout s’annule au fur et à mesure. Tout est à refaire à chaque instant. Deux amants sont hors du temps. Suspension de l’horaire. La mort ne retrouvera nulle part ces heures qui lui furent signalées. Elle déménagera tout, mais en vain cherchera le temps d’amour, qui est son sosie.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 31.

David Farreny, 24 mars 2002
petit

D’un côté l’écrivain donne son âme, son cœur, son art, sa peine, sa souffrance, mais de l’autre le lecteur n’en veut pas, ou s’il veut bien, ce sera machinalement, en passant, jusqu’au prochain coup de téléphone. Les petites réalités de la vie nous détruisent. Vous êtes dans la situation d’un homme qui a provoqué un dragon mais qui tremble devant un petit chien d’appartement.

Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 106.

Cécile Carret, 13 mai 2007
constructions

Dans le visage un œil qui n’existe plus, comme bu par un buvard. Il en reste le pli. Œil qui a renoncé à être, ne trouvant au-dehors rien à sa convenance.

L’autre, fermé par une large et pesante paupière semble bien déterminé à ne pas se relever.

Un être a baissé ses volets.

Douloureuse, la bouche amère exprime assez que ce n’est pas pour rêver à des fleurs ou à des charmes que l’œil a été refermé si décisivement, ni pour contempler d’intéressantes constructions du subconscient, mais pour seulement rester cantonné en sa misère, à l’abri dans sa misère, où il y a annulation de tout, mélancolie exceptée.

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1173.

David Farreny, 3 mars 2008
euh

De temps à autre, l’un ou l’autre de nos camarades s’évapore de la sorte ; alors, enfonçant la tête entre les épaules, nous disons : — Euh… (que peut-on dire d’autre) ; et une légère consternation flotte dans l’air. Pourtant, dans notre belle majorité, nous tous, employés, sommes déjà en train de mourir. Nous qui avons passé la quarantaine, chaque année plus vieux d’une année. Au cimetière, […] chacun de nous se supportait lui-même tel un sac rempli de décès.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 89.

David Farreny, 4 mars 2008
immobile

On dirait bien là des occupations de vieux, de retraité. Or, jamais je n’ai eu conscience comme maintenant de ma jeunesse ; je suis intact. Plus je reste immobile, plus je retranche d’actions dans mes journées, mieux je sens ma force et ma liberté. Je dois vraiment être un employé modèle, car le strict accomplissement de la tâche fait partie des moyens par lesquels je m’assure la sérénité.

Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 127.

David Farreny, 4 mars 2008
caquet

Quel moraliste a dit : « Dans la société tout me rapetisse ; dans la solitude tout me grandit » ? Faux. Il lui semble qu’il en est ainsi, mais c’est parce que dans la solitude il n’y a personne pour rabattre l’impudent caquet de sa vanité.

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 693.

Élisabeth Mazeron, 1er avr. 2008
secousse

J’aimerais, une fois dans ma vie, une secousse paroxysmique.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 67.

David Farreny, 5 juil. 2009
superfétation

Je pensais très peu. Peut-être les mots avaient-ils sombré dans le blanc comme il arrive dans l’excès de l’insomnie et que l’aube soudain vous regarde qui ne regardez rien. Quelquefois seulement, je me disais : j’attends. Mais c’était moins une phrase consciente qu’une intuition du corps et comme en marge du verbe. J’attendais simplement parce que j’étais là, parce que je me tenais debout — sans raideur, les bras ballants, les mains ouvertes, les jambes un peu écartées, comme un marcheur brusquement saisi dans sa marche et désormais en arrêt pour la fin des temps. J’attendais parce que tout autre raison d’être avait définitivement failli : tous les accommodements du désir et du réel, tout le système péremptoire des certitudes, toute la dynamique des projets et des ambitions — toute la superfétation, autrement dit, qui se cache derrière l’adhésion à la vie, avait cessé de fonctionner.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 76-77.

Élisabeth Mazeron, 25 mars 2010
face

Le profil de l’ouvrier est assez plat, comme une grande claque de face à la naissance. Ses cheveux noirs sont gris de poussière blanche, comme un shampooing sec. Les pores de sa peau sont bouchés, comme des points noirs mais blancs.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 4 mars 2012
épistolomanie

Voilà comment j’ai contracté cette étrange maladie qu’on pourrait appeler épistolomanie. C’était il y a deux ans, quand la vodka suscitait de longues et soudaines files d’attente, et qu’on nous rendait la monnaie en timbres-poste. […] Que pouvait bien faire un homme vivant à l’écart des autres, loin de tous, avec des timbres ? Ces petits rectangles dentelés et collants destinés à ceux qui communiquent, rapprochent leurs cœurs, se collent les uns contre les autres. J’avais accumulé une bonne quantité de timbres. Ils étaient mis de côté, à l’écart, au bout de la table. Et ils voulaient travailler, être compris. Je ne sais trop comment – j’étais à moitié saoul – j’ai séparé leurs dentelures et j’ai décidé (nous autres, les ivrognes, nous ne sommes pas de mauvaises gens) de faire plaisir à un timbre.

Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 14.

Cécile Carret, 6 mai 2024

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