geste

Lorsqu’on réalise que tout est vain, mais que, absurdement, on continue à aimer la vie, il faut se résoudre à faire un geste, une action. Car il vaut mieux se détruire dans la frénésie que dans la neutralité.

Emil Cioran, « La nécessité du radicalisme », Solitude et destin, Gallimard, p. 347.

David Farreny, 24 juin 2005
règne

Voilà en quoi me semble tenir la différence entre ce siècle et les autres ; autrefois, comme de nos jours, la grandeur était fort rare ; mais alors, c’était la médiocrité qui régnait, tandis qu’aujourd’hui, c’est partout le règne de la nullité.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Tristan et d’un ami », Petites œuvres morales, Allia, p. 239.

David Farreny, 9 nov. 2005
hiver

Recensement ininterrompu

reprenons

le toit l’arbre

le ciel le toit

l’arbre le ciel

tous mes possibles

rentrez vite

la vie vous mangerait

j’attends la neige

qui prouve le miracle

mais l’été est bref

comme un coït

et l’hiver ne chatoie

que dans un très vieux

livre imprimé

chez Mame

Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 25.

David Farreny, 20 août 2006
courage

Pour exprimer la vie, il ne faut pas seulement renoncer à beaucoup de choses, mais avoir le courage de taire ce renoncement.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 228.

David Farreny, 3 mars 2008
inconnus

La simple présence proche suffit amplement.

Étant gravement atteint de crise d’étouffement, j’en louai moi-même une sur les indications de mon conseiller. Son épaule et la naissance de sa poitrine exquise, voilà la zone touchée qui me fit le plus grand bien, et le plus prompt.

Cette fille simple et d’un charme qui allait loin ne fit durant le traitement que lacer et délacer une jambière, mais très modestement.

Elle me regardait de temps à autre, puis sa jambe, ne disant rien, et ses sentiments me demeurèrent inconnus.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 95.

David Farreny, 4 mars 2008
sorte

Je te parle et tu ne m’entends pas. Tu penses à moi, précise, et je ne sais rien. L’opacité est énorme toujours et ces gestes liés pour d’autres et fanés. Tu connais la pierre de mélancolie de Dürer. J’y vois tes traits pensifs quand tout devient transparence, des heures entières la nuit à fouiller les espaces jusqu’à ce qu’une sorte de toi me creuse.

Dominique de Roux, « lettre à Christiane Mallet (18 décembre 1972) », Il faut partir, Fayard, p. 290.

David Farreny, 21 août 2008
styles

À Leukerbad, la maison Wolfgang Loretau. Plafonds bas. Murs extérieurs à écailles de bois, avec inscriptions gothiques blanches. Portes extérieures style Renaissance Sion ; dans ces vallées arriérées, les styles retardent de deux siècles (de même mon bahut breton (1603) avec des figures de la fin du XVe ; et à Vevey, mon armoire (1707) aussi avec architecture du XVIe). Planches bosselées de gros nœuds du bois. Poêle en pierre ollaire gris à armoiries noires. Poutres et refend à inscriptions XVIIe en latin. Les éviers de pierre. Les poutraisons au brou de noix. Sur crépi épais crémeux. Chopes d’étain, tête en bas, couvercles ouverts, comme ne le font jamais les collectionneurs, mais les paysans qui s’en servent chaque jour.

Paul Morand, « 13 juin 1968 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 13.

David Farreny, 25 mai 2009
mystère

Comme les étoiles, les beaux textes naissent dans des nurseries de phrases où, sortant du disque d’accrétion et par contraction gravitationnelle, des agrégats de matière — rythmes, sonorités, idées encore indifférenciées, ou plutôt rythmes d’idées, idées de sonorités, sonorités de rythmes mêlés au point qu’on ne distingue plus les uns des autres — se condensent, se figent et se refroidissent. Écrire — et le faire toute la sainte journée, sans autre but ni désir —, c’est attendre le moment où l’on peut approcher de la forge sans se brûler (bien sûr, le génie, qui n’écrit pas mais crée, va directement se baigner dans la lave). On ramasse alors du mâchefer, des scories, des escarbilles qu’on n’a plus qu’à emballer dans du vieux papier, comme des harengs. Voilà pour le mystère de la littérature.

Thierry Laget, « Ne pas déranger », « Théodore Balmoral » n° 59-60, printemps-été 2009, p. 6.

David Farreny, 17 nov. 2009
épisodes

Jusqu’à quand se poserait-il la question, « c’est quoi les autres ? ». Des agités-isolés, des médecins, des choses avec un débit, un début, une fin, des épisodes.

Dominique de Roux, La jeune fille au ballon rouge, Le Rocher, p. 46.

David Farreny, 13 fév. 2011
culs

toi t’aimes bien les bons petits culs, t’aimes bien ça voir les petits culs tout bons, t’aimes bien voir un bon petit cul passer, un bon petit cul papoter ou passer, hein ouais t’aimes bien voir ça, le bon petit cul qui demande pas son reste et passe, qui passe et qui rapasse, mais le bon petit cul ne demande pas mieux que de rester, le cul petit tout bon qui demande pas son reste mais reste tout de même, t’aimes bien ça hein, t’aimes bien que le petit cul tout bon reste sur place, pour ça t’aimes bien que ça t’écoute un bon petit tout cul, que ça se tende bien de par le cul le petit cul tout bon, que cul tendu te soit tout ouïe, qu’il soit tout oui le tout bon petit cul tout ouïe, qu’un petit tout bon cul comme ça c’est bon pour n’être qu’un petit cul après tout, pourquoi ce n’est pas qu’un tout bon petit cul qui passe et qui rebondit quand on l’appelle, quand on le retient pour qu’il fasse un gros oui le tout petit bon cul tout ouïe à toi, car c’est à toi qu’il est le petit bon tout cul n’est-ce pas, et ça t’aimes bien, t’aimes bien avoir ton tout bon petit cul et qu’il te dise que oui, que ça dise oui à tout, à tout bout de champ le tout bon cul petit qui passe et qui rebondit, c’est ça que t’aimes au fond, au fond du fond t’aimes bien les tout bons petits culs qui passent, qui passent et qui rapassent, les bons petits tout culs qui ne restent pas en place

Charles Pennequin, « Les petits culs », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 92-93.

David Farreny, 11 fév. 2014
techniques

Elles ont songé à écrire un livre sur les techniques de rencontre : Julie avait parlé à un type devant la balance des fruits et légumes dans un Sainsbury’s. Elle cherchait l’icône des carottes. Un type l’avait aidée ; tout de suite, ça avait été des galanteries. La scène n’avait pas duré, cependant elle gardait l’idée de rencontrer un type à la balance, de faire semblant de chercher l’image d’un fruit.

Elles auraient classé les rencontres par lieux. Que faire dans tel lieu ? Par âges. Par saisons.

Évidemment, Julie avait raconté sa pratique du croche-patte.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 289.

Cécile Carret, 19 mars 2014
rustique

Les voitures que l’on entend de loin avant d’être ébloui par l’éclat du soleil sur leur pare-brise grimpent la côte, puis redescendent. La rumeur, les reprises, la grimace des moteurs, la vitesse et le vent qu’elles déplacent rendent le silence qui les suit plus rustique.

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 5.

David Farreny, 20 juil. 2014
épilogues

À vrai dire, ma vie était criblée d’amis et de femmes perdus de vue. Certains avaient, sans doute, des choses réelles à me reprocher. D’autres s’étaient éloignés, tout simplement, sans même y penser, comme une planète s’éloigne d’une autre, emportée par d’imperceptibles gravitations. Dans la plupart des cas, ce n’est pas tant le manque de tel ou telle qui me troublait que tous ces vécus dévalués par leurs épilogues. J’aurais souhaité, dans mes relations, plus d’invariants. Certes, l’amitié et l’amour impliquent, je le sais, un échange entre deux êtres. Mais l’idée d’échanger a quelque chose de décevant. C’est une idée qui s’apparente trop à l’économie, pas assez à la foi. J’aurais sincèrement aimé connaître des liens sous un mode désintéressé et unilatéral. Mais la vie en société m’apparaissait rétrospectivement sous un jour atrocement contractuel.

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, pp. 65-66.

David Farreny, 20 fév. 2015

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