sache

Je ne sache pas qu’il y ait un sens à la vie.

Pierre Bergounioux, La casse, Fata Morgana, p. 9.

David Farreny, 23 mars 2002
fixations

On se découvre alors des fixations farouches. Des choses ridicules — mes lunettes de lecture, un mouchoir, un certain instrument pour écrire — polarisèrent ma possessivité démente. Égarer provisoirement l’un d’eux me remplissait d’un désarroi frénétique, chacun de ces objets étant le rappel tactile d’un monde voué à bientôt s’effacer.

William Styron, Face aux ténèbres. Chronique d’une folie, Gallimard, p. 91.

Guillaume Colnot, 15 mai 2002
jamais

Le répit n’est jamais qu’un instant de la trépidation.

Éric Chevillard, Commentaire autorisé sur l’état de squelette, Fata Morgana, p. 70.

David Farreny, 30 déc. 2007
balnéaire

Mardi – Un ciel blanc de chaleur, déjà, des jointures que l’on serre. Dans le virage qui mène à Stalingrad un store enrouleur me fait de l’œil (c’est possible). Je prends ce vélo suspendu au balcon du cinquième et hop, à la mer. J’emporte la gare et les rails au cas où et cette cheminée de nickel. La superposition des façades opposées dans un reflet de vitre est encore balnéaire.

Vendredi – Une vitre réfléchie assène son velouté au mur du dessous, qui traîne sa lèpre le long du quai. Je suis belle et je t’emmerde, dit-elle. J’ai des locataires d’Atlantique, toi tu attires les rats. Rien à dire.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 14.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
nécessité

Au demeurant, on n’eschappe pas à la philosophie, pour faire valoir outre mesure l’aspreté des douleurs et l’humaine foiblesse. Car on la contraint de se rejetter à ces invincibles repliques : s’il est mauvais de vivre en nécessité, au moins de vivre en nécessité, il n’est aucune nécessité.

Nul n’est mal long temps qu’à sa faute.

Qui n’a le cœur de souffrir ny la mort ny la vie, qui ne veut ny resister ny fuir, que luy feroit-on ?

Michel de Montaigne, « Que le goust des biens et des maux dépend en bonne partie de l’opinion que nous en avons », Essais (I), P.U.F., p. 67.

David Farreny, 1er oct. 2009
meublaient

Ils avaient toujours adoré organiser des réunions, avec ou sans Cayel. Il y avait un début, on s’y mettait, les participants arrivaient au compte-gouttes, meublaient. On parlait d’autre chose en attendant les retardataires. Les rôles s’inversant de la connaissance spécifique qu’on avait de l’angle d’une affaire, chacun pouvait prendre la parole. Certains brillaient d’une éloquence inattendue, leur sujet les motivant. D’autres s’écoutaient parler, une fesse au bord du bureau, allant même jusqu’à marcher de long en large. Il y avait parfois débat. Quelqu’un cochait un bloc à mesure que les obstacles d’un problème se levaient. Le bureau s’animait de l’impression de maîtriser des problèmes. Des discussions pouvaient traîner jusqu’au déjeuner, pris ensemble. Car la faim venait en même temps, preuve d’une collaboration sinon d’une concordance. Quelqu’un disait : « Bon, allons déjeuner » ou mieux « Et si on allait déjeuner » ou mieux encore « Et si on allait en parler à table », des phrases qu’ils attendaient, qui faisaient plaisir, et la sensation d’avoir avancé, de connaître un appétit sain, de se nourrir pour une bonne cause. Pour ces réunions où jamais ils ne furent plus de quatre, ils détachaient les chaises des bureaux, les disposaient devant un tableau de papier et là, se suivant, alternant, ils prenaient la parole, le gros feutre, exposaient, concrétisaient noir sur blanc les grandes lignes de ce que serait le travail des prochains jours, des plans avec des configurations inintelligibles pour qui arriverait maintenant, des flèches aussi, ils aimaient bien, et des schémas, des sigles, des chiffres qu’ils totalisaient. Veste ôtée, en bras de chemise, l’été.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 167.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
important

Chaque fois que je la remarque chez un confrère, j’en suis éberluée : comment peut-on s’abolir au profit de son personnage ? Il y a de l’étourderie, je l’ai appris, à en méconnaître la réalité ; ce qu’on représente pour autrui, il faut l’assumer ; d’autre part, si on a des capacités, il est bon de les utiliser, il est légitime, le cas échéant, de s’en prévaloir ; la vérité d’un homme enveloppe son existence objective et son passé ; mais elle ne se réduit pas à ces pétrifications. Reniant en leur nom l’incessante nouveauté de la vie, l’important incarne à ses propres yeux l’Autorité contre laquelle tout jugement se brise ; aux questions toujours inédites qui se posent à lui, au lieu de chercher honnêtement des réponses, il les puise dans cet Évangile : son œuvre ; ou bien il se donne en exemple, tel qu’autrefois il fut ; par ces ressassements, quel que soit l’éclat de ses réussites, il prend du retard sur le monde, il devient un objet de musée. Cette sclérose ne va pas sans mauvaise foi ; si on s’accorde un peu de crédit, pourquoi se retrancher derrière son nom, sa réputation, ses hauts faits ? L’important ou bien feint de mépriser les gens ou prétend à leur vénération ; c’est qu’il n’ose pas les aborder sur un pied d’égalité ; il abdique sa liberté parce qu’il en redoute les dangers.

Simone de Beauvoir, La force des choses (I), Gallimard, pp. 167-168.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2009
œuvre

Pur esprit, non tout à fait cependant, mais dédiant aussi toutes les sèves du corps et l’électricité de ses muscles à l’élaboration de sa grande œuvre, sacrifiant ce corps sans regrets, et s’il faut broyer dans le mortier un cartilage d’oreille pour obtenir le liant désiré qui fera de son tableau un épisode marquant de notre histoire, n’hésitant pas à trancher la sienne au plus ras aussi naturellement que s’il saisissait sur la table la brosse ou le tampon.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 34.

Cécile Carret, 27 janv. 2011
su

Peut-être que tout ce que j’écris, tout le monde l’a toujours su, et sagement jugé qu’il était inutile de le dire parce que ça n’empêcherait pas que ça soit. Sûrement. Mais est-ce que la Littérature ne consiste pas à décrire l’intolérable, c’est-à-dire ce qui va de soi ?

Philippe Muray, « 5 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 131.

David Farreny, 4 mars 2016

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