appuyais

Ainsi, à l’insuffisante clarté d’une lampe d’un modèle ancien, découpant un grêle cône de lumière au sein d’une masse d’ombre de plus en plus compacte au fur et à mesure que l’heure tourne, ainsi m’appuyais-je la lecture de l’œuvre inachevée du général Bonnal : trois volumes in-quarto publiés à la veille de la Première Guerre mondiale et consacrés à La Vie militaire du maréchal Ney, duc d’Elchingen, prince de la Moskova.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 14.

Guillaume Colnot, 13 avr. 2002
déconner

Il dévorait des yeux la belle fouteuse, et il tira ainsi trois coups sans déconner.

Anonyme du XVIIIe siècle, Le Tartuffe libertin ou le triomphe du vice, Séguier, p. 33.

Hubert Troupel, 27 août 2002
rien

Le chef ne fait que dire le chantier. Rien d’autre.

Si on l’écoute : où est le monde ? qu’est-ce qu’on fait ?

Comment savoir ?

On parle de rien ici.

C’est comme ça tous les jours.

Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, Gallimard, p. 42.

David Farreny, 5 sept. 2004
pardi

Que ferait-on si l’on ne devait

exister qu’à ses propres yeux

rien pardi

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 35.

David Farreny, 16 juin 2006
courrier

Au courrier : un magazine mutualiste.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 35.

David Farreny, 19 nov. 2006
alors

Je me tiens toujours à l’orée

des tournants définitifs

je suis insoucieux du large

et des étoiles des séismes et des holocaustes

j’affronte mon corps en combat singulier

pour des questions de préséance

je ne touche pas aux longues chevelures

je dis « je » pour faire l’Homme

je suis informe alors comme tout le monde

je m’habille.

Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 90.

David Farreny, 11 juin 2008
rire

Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, oh, Yélé ! Le feu l’a grillé, le gros Ézuzum, le feu l’a tué, le gros Ézuzum, le feu l’a mangé, le gros Ézuzum. Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, ho ! Yélé ho ! Le feu l’a mangé, kri kri kri, celui qui voulait nous manger ! Où est son grand couteau, l’eau et la marmite. Ah ! Ah ! Ah ! Nous allons rire. Merci Ngemanduma. Nous allons rire.

Christophe Tarkos, « Processe », Écrits poétiques, P.O.L., p. 113.

David Farreny, 21 mai 2009
linéaires

Houellebecq hocha la tête, écartant les bras comme s’il entrait dans une transe tantrique — il était, plus probablement, ivre, et tentait d’assurer son équilibre sur le tabouret de cuisine où il s’était accroupi. Lorsqu’il reprit la parole sa voix était douce, profonde, emplie d’une émotion naïve. « Dans ma vie de consommateur », dit-il, « j’aurai connu trois produits parfaits : les chaussures Paraboot Marche, le combiné ordinateur portable-imprimante Canon Libris, la parka Camel Legend. Ces produits je les aimés, passionnément, j’aurais passé ma vie en leur présence, rachetant régulièrement, à mesure de l’usure naturelle, des produits identiques. Une relation parfaite et fidèle s’était établie, faisant de moi un consommateur heureux. Je n’étais pas absolument heureux, à tous points de vue, dans la vie, mais au moins j’avais cela : je pouvais, à intervalles réguliers, racheter une paire de mes chaussures préférées. C’est peu mais c’est beaucoup, surtout quand on a une vie intime assez pauvre. Eh bien cette joie, cette joie simple, ne m’a pas été laissée. Mes produits favoris, au bout de quelques années, ont disparu des rayonnages, leur fabrication a purement et simplement été stoppée — et dans le cas de ma pauvre parka Camel Legend, sans doute la plus belle parka jamais fabriquée, elle n’aura vécu qu’une seule saison… » Il se mit à pleurer, lentement, à grosses gouttes, se resservit un verre de vin. « C’est brutal, vous savez, c’est terriblement brutal. Alors que les espèces animales les plus insignifiantes mettent des milliers, parfois des millions d’années à disparaître, les produits manufacturés sont rayés de la surface du globe en quelques jours, il ne leur est jamais accordé de seconde chance, ils ne peuvent que subir, impuissants, le diktat irresponsable et fasciste des responsables des lignes de produits qui savent naturellement mieux que tout autre ce que veut le consommateur, qui prétendent capter une attente de nouveauté chez le consommateur, qui ne font en réalité que transformer sa vie en une quête épuisante et désespérée, une errance sans fin entre des linéaires éternellement modifiés.

— Je comprends ce que vous voulez dire », intervint Jed, « je sais que beaucoup de gens ont eu le cœur brisé lors de l’arrêt de la fabrication du Rolleiflex double objectif. Mais peut-être alors… Peut-être faudrait-il réserver sa confiance et son amour aux produits extrêmement onéreux, bénéficiant d’un statut mythique. Je ne m’imagine pas, par exemple, Rolex arrêtant la production de l’Oyster Perpetual Day-Date.

— Vous êtes jeune… Vous êtes terriblement jeune… Rolex fera comme tous les autres. » Il se saisit de trois rondelles de chorizo, les disposa sur un bout de pain, engloutit l’ensemble, puis se resservit un verre de vin.

Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion, pp. 170-171.

David Farreny, 12 sept. 2010
fais

— Tu travailles ?

— Tu le vois bien.

— Je vois que tu ne fais rien.

— Tu ne peux pas comprendre.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 168.

Cécile Carret, 22 juin 2013
détours

Puis la femme cria à l’adresse des enfants qui se tenaient détournés l’un de l’autre comme devenus ennemis – le gros garçon plutôt triste : « Hé, les enfants, faites la paix ! »

Le gros garçon sourit, délivré, et tous deux, tête baissée, il est vrai, se dirigèrent par des détours, l’un vers l’autre.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 75.

Cécile Carret, 30 juin 2013
stewart

À peine levé, le soleil a replongé dans la poix. Soleil noir de la putréfaction : il réapparaît quelques instants plus tard, la partie basse de son disque maculée d’un goudron dont il se dégage avec peine et ne retrouve de sa superbe qu’au moment où l’avion dégringole vers Roissy. On s’agite, on s’habille, on se lève. Le culte est fini, on va regagner la terre. À la sortie, le stewart, en habit bleu chamarré d’or, donnera à chacun sa bénédiction.

Jean Clair, Lait noir de l’aube, Gallimard, p. 148.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013
sûr

Les enfants sont là pour empêcher qu’arrive un événement sexuel. Les femmes les font pour mettre fin à la série de corvées d’événements sexuels auxquels les obligent les hommes. Grandissant, les enfants interdisent peu à peu le rêve lui-même de l’événement sexuel. S’ils sont présents, c’est la possibilité même, flottante, de l’événement sexuel qui est arrêtée. L’enfant vient boucher les virtualités. L’enfant est décidé pour que le monde soit sûr.

Philippe Muray, « 5 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 132.

David Farreny, 4 mars 2016

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