poussée

Parfois je me dis ça. Je me dis que je veux vivre. Je suis vivant. On a parfois la forte sensation d’être en vie. Parfois on se dit qu’on veut vivre. C’est ça qu’on veut. On sent que la vie nous pousse à le dire. À dire qu’on est vivant. Car on sent la poussée de la vie dans la phrase.

Charles Pennequin, Bibi, P.O.L., p. 40.

David Farreny, 28 déc. 2005
létal

Est-ce le destin des rêves de dépouiller leurs vertus et leur charme lorsqu’ils s’accomplissent ? Enferment-ils un germe létal qui les détruit lorsqu’ils quittent la chambre où ils naquirent pour l’espace non protégé du dehors ? L’utopie semble vouée à nourrir l’utopie, le possible à engendrer du possible, tout réel à se nier. À peine les idéaux se sont-ils composé un visage qu’on y voit apparaître les stigmates inéluctables, dirait-on, de la tyrannique réalité.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, p. 31.

David Farreny, 17 oct. 2006
sus

Il est cinq heures vingt-cinq, on voit encore un morceau de soleil reflété sur l’hôtel d’en face, j’ai les yeux rouges d’avoir tant pleuré, je suis toujours malade de cette grippe étrange, sans fièvre, qui dure maintenant depuis deux semaines. Me voici restitué à ma rive natale. Exténué, ayant perdu tout espoir dans le seul domaine qui m’importait vraiment, je me sens comme un condamné à mort inexplicablement gracié, dont la vie désormais est en sus de la vie : un temps luxueux, inespéré, gratuit, dont il n’aurait pas la responsabilité.

Renaud Camus, « samedi 12 mars 1977 », Journal de « Travers » (2), Fayard, p. 1550.

David Farreny, 1er mars 2008
printemps

Printemps difficile : je ne fais pas ma montée de sève.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 55.

David Farreny, 11 mars 2008
compliquée

Le gouvernement romain devenait tous les jours plus odieux à ses sujets accablés, et moins redoutable à ses ennemis. Les taxes se multipliaient avec les malheurs publics ; l’économie était plus négligée à mesure qu’elle devenait plus nécessaire ; l’injustice des riches faisait retomber sur le peuple tout le poids d’un fardeau inégalement partagé, et détournait à leur profit tout l’avantage des décharges qui auraient pu quelquefois soulager sa misère. L’inquisition sévère qui confisquait leurs biens et exposait souvent leurs personnes aux tortures décidait les sujets de Valentinien à préférer la tyrannie moins compliquée des Barbares, à se réfugier dans les bois et dans les montagnes, ou à embrasser l’état avilissant de la domesticité mercenaire. Ils rejetaient avec horreur le nom de citoyen romain, autrefois l’objet de l’ambition générale.

Edward Gibbon, Histoire du déclin et de la chute de l’empire romain d’Occident, Seuil, p. 212.

David Farreny, 13 sept. 2008
satisfaction

J’ai étendu aux insectes, qui mènent une vie mystérieuse et braillante, sous l’écorce, la nuit, l’attention passionnée, atavique, sans doute, que m’inspiraient les hôtes écailleux de l’humide élément. Telle serait ma contribution affirmative au pays natal. Elle en garde le pli. Ce qu’il contenait d’attirant n’était accessible qu’après une épisode déplaisant, plein de dégoût. Ce que j’obtenais n’était jamais exempt de l’hostilité foncière, du refus auxquels se heurtaient les aspirations les plus humbles, comprendre un peu, posséder quelque chose de beau ou de bon, connaître quelque satisfaction.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, pp. 92-93.

Élisabeth Mazeron, 31 mai 2010
merles

La mort est claire dans le ruisseau

et sauvage dans la lune

et claire

comme le soir venu l’étoile frémit

étrangère devant ma porte

la mort est claire

comme le miel en août

aussi claire est cette mort

et elle m’est fidèle

quand arrive l’hiver

oh Seigneur

envoie-moi une mort

que j’aie froid

et que la langue me vienne dans la mer

et près du feu

Seigneur

La mort dans la nuit attaque le tronc d’arbre

et le sommeil de quelques merles

dans les obscurités.

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer, La Différence, p. 63.

David Farreny, 26 juin 2012
pipi

L’auteur de ces lignes participant de toutes ses forces à la surproduction actuelle est sans doute mal placé pour s’en offusquer (ou voudrait-il se débarrasser d’encombrants rivaux ?), mais six cent romans publiés en septembre et octobre, voilà qui paraît légèrement excessif au regard de la soif de lecture de nos contemporains. C’est renverser l’océan sur un buvard puis faire encore pipi derrière.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 36.

Cécile Carret, 4 fév. 2014
ouï-dire

(Sans doute l’enfance est-elle enchantée parce que tout ce qu’elle découvre s’est produit avant elle, avant la naissance, parce qu’elle observe les effets dont elle ne connaît les causes que par ouï-dire — et ainsi, en vieillissant, l’on pénètre la nature des choses, l’on voit les maisons se construire, les routes se dérouler sur les landes, les ponts s’élancer au-dessus des rivières, et, le progrès technique accélérant sa marche, dévorant le passé, on en vient à ne plus être entouré que d’objets, de décors, de paysages et d’êtres apparus au monde après nous, dont on a connu l’avènement puis l’ascension, auxquels on réserve cette familiarité qu’on ne témoigne pas aux dieux qui nous ont précédés et instruits.)

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, pp. 21-22.

David Farreny, 20 juil. 2014

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