démantelaient

Les repas aussi me démantelaient, que je prenais avec eux.

Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 11.

David Farreny, 20 mars 2002
être

L’être est un non-sens, mais un non-sens qui a des dents.

Antonin Artaud.

Bilitis Farreny, 21 mars 2002
donc

On a toujours remarqué que ce qu’il y avait de plus merveilleux dans l’homme était l’enthousiasme, mais que, hélas, on s’y cassait promptement les os, ou bien l’on cassait les os des autres.

Les Goulares ont essayé de dissocier les deux. L’enthousiasme et son objet. Donc, pas d’objet.

Ils s’excitent à s’exciter.

On en voit, solitaires sur un roc, ou en troupes sur les places, dans la transe. Envahis par des fièvres de loup.

Henri Michaux, « En marge d’Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 136.

David Farreny, 13 avr. 2002
vérifier

On rentre par Bassoues, par Montesquiou, Barran. Qu’importe qu’on ne voie plus très bien les créneaux sur les tours, et les torsions de la flèche, sur le clocher ? On connaît déjà ces petites villes obscures, et les hautes pierres dont elles sont fières. Il ne s’agit que de les vérifier dans la nuit, et de s’en réjouir encore obscurément.

Renaud Camus, « dimanche 3 janvier 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 12.

David Farreny, 1er août 2002
rôle

Ce qui se passe, parfois, nous dépasse infiniment. On ne comprend rien au rôle qu’on va jouer. On n’a aucune idée de ce qu’on atteint, sollicite ou qui, à notre insu, nous meut, dirige les actes téméraires, qu’on se surprend à esquisser, enchaîner sans qu’il semble qu’on y ait de part. Tout ce qu’on peut faire, c’est de rester à peu près à l’endroit qu’ils délimitent, de les accompagner dans leur progrès, dans leur déplacement sans égard à ce qu’ils peuvent bien signifier puisqu’on ne comprend pas. On ne comprendra peut-être jamais. On n’a pas l’âge ou le temps. Ce n’est pas le moment. Il n’est pas très important que nous sachions. Il vaut peut-être mieux ne pas. On ne ferait jamais ce qui nous incombe si l’on savait ce que l’on est en train de fabriquer. On choisirait sans hésiter l’autre terme de l’alternative, la possibilité toujours ouverte de renoncer, de s’abstenir. Ça va même plus loin. Après, quand on a récupéré ses actes, ses paroles, que c’est un peu les nôtres, on se méfie de l’épisode tourbillonnant où ils nous devançaient, où l’on tentait désespérément de les suivre. On n’est pas sûr qu’ils aient eu lieu. Il pourrait s’être passé tout autre chose que ce que l’on croit, maintenant. Il pourrait ne s’être rien passé si, quand même, l’endroit où l’on émet cette supposition n’était le même. C’est que le temps a passé. Il a fini par paraître normal, presque, qu’on y soit.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 52.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
limites

Se demander devant un autre : par quelle voie apaise-t-il en lui le désir d’être tout ? sacrifice, conformisme, tricherie, poésie, morale, snobisme, héroïsme, religion, révolte, vanité, argent ? ou plusieurs voies ensembles ? ou toutes ensembles ? Un clin d’œil où brille une malice, un sourire mélancolique, une grimace de fatigue décèlent la souffrance dissimulée que nous donne l’étonnement de n’être pas tout, d’avoir même de courtes limites. Une souffrance si peu avouable mène à l’hypocrisie intérieure, à des exigences lointaines, solennelles (telle la morale de Kant).

À l’encontre. Ne plus se vouloir tout est tout mettre en cause. N’importe qui, sournoisement, voulant éviter de souffrir se confond avec le tout de l’univers, juge de chaque chose comme s’il l’était, de la même façon qu’il imagine, au fond, ne jamais mourir. Ces illusions nuageuses, nous les recevons avec la vie comme un narcotique nécessaire à la supporter. Mais qu’en est-il de nous quand, désintoxiqués, nous apprenons ce que nous sommes ? perdus entre les bavards, dans une nuit où nous ne pouvons que haïr l’apparence de lumière qui vient des bavardages. La souffrance s’avouant du désintoxiqué est l’objet de ce livre.

Georges Bataille, L’expérience intérieure, Gallimard, p. 10.

Guillaume Colnot, 16 janv. 2005
malpropreté

Il avait cessé de neiger. Le ciel se découvrait en partie ; des nuages gris bleu qui s’étaient séparés laissaient filtrer des regards du soleil qui coloraient le paysage de bleu. Puis il fit tout à fait clair. Un froid serein régna, une splendeur hivernale, pure et tenace, en plein novembre, et le panorama derrière les arceaux de la loge de balcon, les forêts poudrées, les ravines comblées de neige molle, la vallée blanche, ensoleillée sous le ciel bleu et rayonnant, étaient magnifiques. Le scintillement cristallin, l’étincellement adamantin régnaient partout. Très blanches et noires, les forêts étaient immobiles. Les contrées du ciel éloignées de la lune étaient brodées d’étoiles. Des ombres aiguës, précises et intenses, qui semblaient plus réelles et plus importantes que les objets eux-mêmes, tombaient des maisons, des arbres, des poteaux télégraphiques sur la plaine scintillante. Quelques heures après le coucher du soleil, il faisait sept ou huit degrés au-dessous de zéro. Le monde semblait voué à une pureté glacée, sa malpropreté naturelle semblait cachée et figée dans le rêve d’une fantastique magie macabre.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, p. 311.

David Farreny, 3 juin 2007
étonner

Nous ne finissons jamais de nous étonner que ce qui a été doive cesser d’être. Nous trouvons que bien des choses restent les mêmes : pourquoi dans ce cas devrait-il y avoir un changement en nous ? Cela crée une étreinte convulsive de tout ce qui est, l’impression d’un vide fallacieux dans tout ce que nous voyons. Au lieu du sentiment plein et charnu de la jeunesse goûtant à l’existence et à chaque objet qui la compose, tout est plat et insipide — un sépulcre blanchi, beau à l’extérieur, mais empli par la voracité et toutes les impuretés au-dedans. Le monde est une sorcière qui nous paie avec des faux-semblants et des apparences trompeuses. La simplicité de la jeunesse, l’attente confiante, les transports infinis s’en sont allés ; nous songeons seulement à nous en sortir du mieux que nous pouvons, sans trop de malheur et de désagrément. La fièvre de l’illusion, et même le souvenir complaisant des joies et des espoirs d’autrefois, sont passés ; si nous pouvons nous glisser hors de la vie sans indignité, nous en tirer avec une légère infirmité physique et disposer notre esprit au calme et à la tranquillité d’une nature morte avant de retourner au néant corporel, c’est le plus que nous pouvons attendre.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, pp. 44-45.

David Farreny, 18 déc. 2007
illimitée

Nous étions débordés par le temps des choses. Un équilibre tenu longtemps entre leur attente et leur apparition, entre la privation et l’obtention, était rompu. La nouveauté ne suscitait plus de diatribe ni d’enthousiasme, elle ne hantait plus l’imaginaire. C’était le cadre normal de la vie. Le concept même de nouveau disparaîtrait peut-être, comme déjà presque celui de progrès, nous y étions condamnés. La possibilité illimitée de tout s’entrevoyait.

Annie Ernaux, Les années, Gallimard, p. 220.

Élisabeth Mazeron, 23 mai 2008
traces

Mais si les mots paraissent vivre lorsqu’on projette le film sémantique ou morphologique, ils ne vont pas jusqu’à constituer des phrases ; ils ne sont que les traces du passage des phrases, comme les routes ne sont que les traces du passage des pèlerins ou des caravanes.

Jean-Paul Sartre, « Liberté et facticité : la situation », L’être et le néant, Gallimard, p. 573.

David Farreny, 11 nov. 2008
mort

       Or à jamais tu dormiras,

Cœur harassé. Mort est le dernier mirage,

Que je crus éternel. Mort. Et je sens bien

Qu’en nous des chères illusions

Non seul l’espoir, le désir est éteint.

Dors à jamais. Tu as

Assez battu. Nulle chose ne vaut

Que tu palpites, et de soupirs est indigne

La terre. Fiel et ennui,

Non, rien d’autre, la vie ; le monde n’est que boue.

Or calme-toi. Désespère

Un dernier coup. À notre genre le Sort

N’a donné que le mourir. Méprise désormais

Toi-même, la nature, et la puissance

Brute inconnue qui commande au mal commun,

Et l’infinie vanité du Tout.

Giacomo Leopardi, « À soi-même », Chants, Flammarion, p. 201.

David Farreny, 10 juin 2009
promeneur

Chérie, chérie, comme c’est magnifique que l’été revienne en plein automne, et comme c’est bien, car on pourrait difficilement supporter le changement des saisons si on n’y faisait équilibre intérieurement. Chérie, chérie, mon retour du bureau vaut la peine d’être raconté, d’autant qu’il ne m’arrive rien d’autre qui vaille cette peine. À six heures et quart, je sors d’un bond par la grande porte, je regrette ce quart d’heure gaspillé, je fais un demi-tour à droite et je me dirige vers la place Wenceslas ; puis je rencontre quelqu’un de connaissance qui m’accompagne et me raconte des choses intéressantes, j’arrive chez moi, j’ouvre la porte, ta lettre est là, j’entre en elle comme un promeneur qui, fatigué de marcher à travers champs, pénètre maintenant dans les bois. Certes, je m’égare, mais cela ne m’effraie pas. Puissent tous les jours finir ainsi.

Franz Kafka, « lettre à Hedwig Weiler (octobre 1907) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 603.

David Farreny, 20 avr. 2014
acteurs

De tous les moyens qu’utilisent nos contemporains pour nous assommer, le plus efficace est de s’étendre sur ce qu’ils font dans la vie. Ils cherchent à témoigner ainsi du fait qu’ils ont une existence sociale, qu’ils jouent un rôle dans l’économie, l’éducation, la culture, le sport, bref, que ce sont des acteurs – et cela les rassure comme des enfants qui chantent dans le noir pour conjurer leur frayeur. En attendant, ils nous assomment.

Frédéric Schiffter, « épilogue », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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