blatéra

Un cyclone atypique.

C’était difficile à expliquer sans utiliser de termes.

Un cyclone, disons.

Ce qu’on avait pu observer, c’était des sortes de prémices.

À côté, le cyclone aurait une puissance, comment donner un ordre d’idée ?

Olaf le savait, on n’était pas dans une zone à cyclone. Bien. Mais là.

Bref, un cyclone.

Maintenant, dans combien de jours ? Combien de semaines ?

Un cyclone se déplace à la vitesse de.

Le plus souvent, du moins, parce que celui-ci.

La météo sur les dents, suivre ça sur les écrans, calculer la trajectoire.

Ne rien dire tant qu’on n’est pas sûr. Rien n’est prévu pour les cyclones sous nos latitudes.

Il se leva, tourna dans le peu d’espace libre, mains dans les poches, sourire. Il va falloir arrimer, prévint-il. Tout arrimer, nous avons vécu trop longtemps dans l’idée que l’air était calme. L’air n’est pas calme. Nous autres, météorologues, nous avons cette connaissance du désordre de l’air. Les nuages sont loin, n’est-ce pas, les nuages ne sont pas là, le soleil non plus, la lune non plus. Et pourtant, quelquefois.

Il sourit avec admiration.

Quelquefois, cyclone.

Il attrapa un éléphanteau luisant. J’ai déjà vu un ou deux cyclones, dans ma vie, à l’époque où je voyageais. Mon père aussi voyageait beaucoup. Ce petit objet vient de là-bas, et cet autre, et toute cette collection sur l’étagère. Mes parents nous ont fait beaucoup de cadeaux. Ils rentraient de voyage, ils ouvraient le coffre, ils disaient devinez ce qu’on rapporte. Et hop, hop, les cadeaux. Ça finit par s’entasser.

Il blatéra de rire.

La gueule, hoqueta-t-il, la gueule de mon chef quand je suis entré dans son bureau en disant cyclone. Mon chef est à trois mois de la retraite. J’entre dans le bureau, je sors le schéma, je lui mets ça sous le nez, je dis cyclone. La gueule ! La gueule !

Luc Blanvillain, Olaf chez les Langre, Quespire, p. 96.

Cécile Carret, 27 août 2009
scepticisme

À la périphérie de nos villes, on propose énormément de chaussures bon marché provenant de pays à bas revenus, des produits en matière plastique mal conçus dans lesquels les pieds ne tardent pas à se tordre de douleur. Les démunis ne connaissent que les chaussures qui font mal. Ils sont persuadés qu’une chaussure ne peut que serrer. Ce qui ne les empêche pas d’être toujours en quête de nouveaux modèles dont ils attendent qu’ils se distinguent si possible des chaussures qu’ils portent en ce moment, parce que celles-ci serrent encore plus que toutes celles qu’ils ont achetées auparavant. Ce sont des êtres éreintés et des êtres chargés de fardeaux qui viennent faire les magasins de chaussures ici dans l’espoir d’être délivrés de leurs douleurs. Mais ils ne sont pas exaucés. Au contraire, ils sont bafoués. On leur refile d’autres instruments de torture pires encore. Ils passent donc leurs journées à boiter et abandonnent souvent la marche bien avant leur mort afin de pouvoir se déplacer pour le restant de leurs jours dans le fauteuil roulant électrique que l’assurance dépendance met à leur disposition. C’est émouvant de regarder comment ils passent et repassent en boitant, désespérés, devant les offres, tous avec l’ardent désir d’être soulagés enfin de leurs souffrances. De voir comme ils achètent ensuite quelque chose à un prix pour lequel on obtient tout juste une paire de lacets dans une boutique sérieuse du sud-ouest de la ville. Et comme ils enfilent alors ces chaussures factices et quittent la boutique avec sur le visage l’expression d’un soulagement passager, mais aussi d’un immense scepticisme.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 167-168.

David Farreny, 11 mars 2010
engrenage

Nos poumons et nos bronches se mettent au repos – pompes sans cesse activées pour lutter contre l’asphyxie qui à chaque instant nous menace : inspiration, expiration, celle-ci suivie de funérailles. L’œuvre de Dino Egger eût brisé cet engrenage fatal, apaisé notre halètement. Nous recouvrons le calme propice aux pensées délicates, aux amples conceptions, aux affections durables. Notre cœur cependant bat toujours : c’est l’émotion.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 102.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
soi-même

À force, j’y pris goût et rien n’était plus étrange et fascinant que de sentir la durée s’écouler en soi, de se sentir exister au milieu de soi-même, de se maintenir dans ce centre creux et vide, d’être debout au centre de soi-même. Malgré mon agitation et ma nervosité permanentes, j’acquis très vite le goût de cette rigoureuse immobilité qui devint une aventure suffisamment vertigineuse pour être une véritable tentation.

Quelques années plus tard, au sommet de la crise mystique de l’adolescence, j’éprouvai ainsi un violent désir, et qui fut assez durable, d’entrer dans les ordres. Je voulais devenir non pas prêtre mais moine, pour pouvoir me livrer entièrement à cette exaltation que je sentais constamment en moi, comme une sorte d’adoration joyeuse. On finit, quand on sert de modèle à un peintre, par se déverser en soi-même et ne plus entendre que cette insaisissable rumeur intérieure. Le regard dirigé toujours sur le même point, on en arrive à se confondre avec ce qu’il voit. On n’éprouve aucun ennui, on ne pense pas, on ne tend pas l’oreille et pourtant l’attention est extrême, c’est une sorte de sensation concentrique qui se met en place.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 87.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
voient

La femme dit : « Faisons encore une photo avant de nous en aller. » Sur l’image on la voyait tout d’en bas, baissant le regard, sur fond de ciel ; avec à peine la pointe des sapins. La femme s’écria comme effrayée : « Alors, c’est ainsi que les enfants voient les adultes ! »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 96.

Cécile Carret, 30 juin 2013
envie

Il me montra avec fierté ses magnifiques toilettes tout en azulejos, robinetterie d’or, cuvette de marbre et lunette en acajou. Mais mes goûts sont frugaux sans doute et l’envie de chier ne me vint pas.

Éric Chevillard, « dimanche 4 octobre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 oct. 2015
su

Peut-être que tout ce que j’écris, tout le monde l’a toujours su, et sagement jugé qu’il était inutile de le dire parce que ça n’empêcherait pas que ça soit. Sûrement. Mais est-ce que la Littérature ne consiste pas à décrire l’intolérable, c’est-à-dire ce qui va de soi ?

Philippe Muray, « 5 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 131.

David Farreny, 4 mars 2016
ralenti

Tu oubliais les détails. Tu aurais fait un mauvais témoin pour restituer dans l’ordre les événements précédant un accident. Mais ta lenteur et ton immobilité te permettaient de voir le ralenti du mouvement collectif qui, dans l’urgence et le détail, échappe aux autres. Dans une petite ville de province, en regardant un marché depuis la chambre d’hôtel qui le surplombait, tu compris que la foule qui l’arpentait dessinait un triangle qui se gonfle et se dégonfle avec des amplitudes cycliques. Observation vaine ? science inutile ? Ton intelligence ne dédaignait pas les sujets gratuits.

Édouard Levé, Suicide, P.O.L..

David Farreny, 20 mai 2024

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