Mémorial, un beau mot, pour une héraldique des souvenirs pieux : mais tous les souvenirs sont pieux, même les moins volontaires, et même les plus impies.
Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 18.
On peut ne s’être jamais su l’auteur de cette prose sourde.
Pierre Bergounioux, Univers préférables, Fata Morgana, p. 7.
Avec grand-mère, ça a été comme si le fond reculait, qu’on cesse un peu de le sentir, de le voir, parce qu’elle était la dernière de ce temps, la seule survivante de la phalange pour qui les jours lumineux, les heures exaltées de ma dix-septième année seraient les derniers, s’ils n’appartenaient pas déjà à ces au-delà du fond où l’on devient une image au mur qu’un verre mince sépare du temps.
Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 86.
Premièrement, Palafox peut rester jusqu’à quatre-vingt-dix minutes sous l’eau. C’est le privilège des amphibies, ayant le choix entre notre monde et les abysses, on les voit peu.
Éric Chevillard, Palafox, Minuit, p. 114.
Tout ce qui est gratuit rend ingrat.
Stephen Smith, Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, Calmann-Lévy, p. 115.
Dans les mêmes villes à travers les années nous avons marché, la nuit, avec tant de compagnons différents : le soupçon nous en vient qu’il n’est d’autre permanence à espérer qu’en nous-mêmes ; de quelle précaire qualité n’est dès lors que trop évident.
Renaud Camus, « dimanche 21 septembre 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 416.
À l’école, la nonne nous a dit que ça durerait pour l’éternité, a-t-elle continué en enlevant la peau de sa truite. Et quand nous avons demandé combien de temps durait l’éternité, elle a répondu : « Pensez à tout le sable de l’univers, toutes les plages, toutes les carrières de sable, le fond des océans, les déserts. À présent, imaginez tout ce sable dans un sablier, comme un gigantesque minuteur. Si un grain de sable tombe chaque année, l’éternité est la longueur de temps nécessaire pour que tout le sable du monde s’écoule dans ce sablier. » Rendez-vous compte ! Ça nous a terrifiées.
Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 19.
Rien n’est plus réaliste, et je veux dire pour une fois conforme à la vérité de l’expérience, que ces invraisemblables coups de théâtre, chez Proust, qui font se rejoindre, avec le temps, les mondes apparemment les plus éloignés, transformant Mme Verdurin en princesse de Guermantes, Gilberte Swann en marquise de Saint-Loup, Saint-Loup lui-même en amateur passionné de garçons, et Octave-dans-les-choux, cet imbécile, en rénovateur génial de toute la sensibilité artistique de son époque. À vieillir, c’est bien là l’une des principales consolations. On dirait même que l’on finit par avoir l’explication de tout. Mais c’est seulement lorsque l’on n’y tient plus.
Renaud Camus, « samedi 16 juillet 1988 », Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 229.
La seule voyance : le regard épanoui librement dans ce qu’il contemple. Arbres.
Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 181.
Avons-nous avancé assez dans l’apparence
assez vu cette vie couler, couleur de vitre,
nous nous sommes blessés aux choses d’outre-monde
portes fermées, ô visions —
c’est la même chanson stupide et décevante
le même espoir avec des sources dans la voix
la même inexplicable envie d’un sanglot
dont on ne sait que faire.
Tous ces cheveux tombés et ces cils et ces ongles
laissés derrière nous, veux-tu qu’on s’en souvienne,
La nuit est là. Le monde meurt,
et la forêt est pleine de craquements nouveaux.
Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 252.
Mais je sens que je t’ennuie. Et je ne mérite même pas ta pitié. Sois heureuse et laisse-moi mourir.
Et monsieur Songe en relisant cette lettre est au bord du désespoir.
Il ajoute pourtant en post-scriptum il faudrait un coup de théâtre mais je me demande s’il en existe ailleurs que dans les mots.
Remarque d’une profondeur telle qu’elle effraie monsieur Songe et qu’il pense la biffer.
Mais il ne la biffe pas, elle sera faite pour toujours.
Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 61.
J’ai revêtu l’ample toge du juge, passé sa lourde collerette, et je me suis assis face à l’accusé pour prononcer le verdict : – Tu vieillis, mon gars. Puis j’ai détourné mon regard du miroir et laissé travailler mon coiffeur.
Éric Chevillard, « mardi 27 janvier 2015 », L’autofictif. 🔗
Après toutes ces années passées en tête-à-tête avec le Moi, on ne peut plus le voir en peinture. On aimerait le fuir aussi loin que possible. Peut-être dans les Vosges ? Peut-être à Saint-Dié ? Ça doit être pas mal, Saint-Dié ? Ou peut-être Remiremont ?
Olivier Pivert, « La possibilité des Vosges », Encyclopédie du Rien. 🔗