personne

Car tous les éléments ont trouvé leur défenseur, à l’exception de la terre : celle-ci, personne ne l’a adoptée.

Aristote, De l’âme, Vrin, p. 24.

David Farreny, 22 mars 2002
ensemble

Les Ématrus sont lichinés ou bien ils sont bohanés. C’est l’un ou l’autre. Ils cousent les rats qu’ils prennent avec des arzettes, et sans les tuer, les relâchent ainsi cousus, voués aux mouvements d’ensemble, à la misère, et à la faim qui en résulte.

Les Ématrus s’enivrent avec de la clouille. Mais d’abord ils se terrent dans un tonneau ou dans un fossé, où ils sont trois et quatre jours avant de reprendre connaissance.

Naturellement imbéciles, amateurs de grosses plaisanteries, ils finissent parfaits narcindons.

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 42.

David Farreny, 13 avr. 2002
traversier

Sentiment de l’infini, de la présence de l’infini, de la proximité, de l’immédiateté, de la pénétration de l’infini, de l’infini traversant sans fin le fini. Un infini en marche, d’une marche égale qui ne s’arrêtera plus, qui ne peut plus s’arrêter. Cessation du fini, du mirage du fini, de la conviction illusoire qu’il existe du fini, du conclu, du terminé, de l’arrêté. Le fini soit prolongé, soit émietté, partout pris en traître par un infini traversier, débordant, magnifique annulateur et dissipateur de tout « circonscrit », lequel ne peut plus exister.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 12.

David Farreny, 21 oct. 2005
pointage

Quel que soit le nombre de jours qui te sépare d’une chose, la chose arrive. Voilà ce qui. Ce matin. Me rend maussade. Un jour n’est rien de plus qu’un accès au jour suivant ; tu avances d’un cran dans la file d’attente. De temps en temps c’est ton tour, pour l’amour, pour l’hôpital, pour la joie ou la déconfiture, la chance ou l’accident stupide. Inutile de se réjouir ou de s’affliger, c’est le sort commun. Tu refais la queue pour autre chose. Quand tu n’acceptes pas ce pitoyable pointage, cela s’appelle le suicide. Plus jeune la pensée du suicide me rassérénait : j’étais libre puisque je pouvais me tuer. Aujourd’hui je choisis librement de pointer, car au fond l’héroïsme n’est pas mon fort.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 115.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
fièvre

Qu’était-ce donc que la vie ? Elle était chaleur, chaleur produite par un phénomène sans substance propre qui conservait la forme ; elle était une fièvre de la matière qui accompagnait le processus de la décomposition et de la recomposition incessantes de molécules d’albumine d’une structure infiniment compliquée et infiniment ingénieuse. Elle était l’être de ce qui en réalité ne peut être, de ce qui oscille en un doux et douloureux suspens sur la limite de l’être, dans ce processus continu et fiévreux de la décomposition et du renouvellement.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 316-317.

David Farreny, 3 juin 2007
lubrifier

Le souci des peintres hollandais, ce n’est pas de débarrasser l’objet de ses qualités pour libérer son essence, mais bien au contraire d’accumuler les vibrations secondes de l’apparence, car il faut incorporer à l’espace humain des couches d’air, des surfaces, et non des formes ou des idées. La seule issue logique d’une telle peinture, c’est de revêtir la matière d’une sorte de glacis le long de quoi l’homme puisse se mouvoir sans briser la valeur d’usage de l’objet. Des peintres de nature morte, comme Van de Velde ou Heda, n’ont eu de cesse d’approcher la qualité la plus superficielle de la matière : la luisance. Huîtres, pulpes de citrons, verres épais contenant un vin sombre, longues pipes en terre blanche, marrons brillants, faïences, coupes en métal bruni, trois grains de raisin, quelle peut être la justification d’un tel assemblage, sinon de lubrifier le regard de l’homme au milieu de son domaine, et de faire glisser sa course quotidienne le long d’objets dont l’énigme est dissoute et qui ne sont plus rien que des surfaces faciles ?

L’usage d’un objet ne peut qu’aider à dissiper sa forme capitale et surenchérir au contraire sur ses attributs. D’autres arts, d’autres époques ont pu poursuivre, sous le nom de style, la maigreur essentielle des choses ; ici, rien de tel, chaque objet est accompagné de ses adjectifs, la substance est enfouie sous ses mille et mille qualités, l’homme n’affronte jamais l’objet qui lui reste prudemment asservi par tout cela même qu’il est chargé de lui fournir. Qu’ai-je besoin de la forme principielle du citron ? Ce qu’il faut à mon humanité tout empirique, c’est un citron dressé pour l’usage, à demi pelé, à demi coupé, moitié citron, moitié fraîcheur, saisi au moment précieux où il échange le scandale de son ellipse parfaite et inutile contre la première de ses qualités économiques, l’astringence.

Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, pp. 284-285.

David Farreny, 12 sept. 2009
ciment

Dans les maisons sans sous-sol, malgré carreaux et tapis, les jambes sentent qu’elles s’appuient sur la terre, l’humidité traverse tout, les jambes se soudent aux genoux, ennui du ciment.

Paul Morand, « 18 mars 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 38.

David Farreny, 7 août 2010
représentation

Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.

Guy Debord, « La séparation achevée », La société du spectacle, Gallimard, p. 15.

David Farreny, 18 mars 2012

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