démantelaient

Les repas aussi me démantelaient, que je prenais avec eux.

Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 11.

David Farreny, 20 mars 2002
Elseneur

Cueille ce triste jour d’hiver sur la mer grise…

Te souviens-tu de Marienlyst ? (Oh, sur quel rivage,

Et en quelle saison sommes-nous ? je ne sais.)

On y va d’Elseneur, en été, sur des pelouses

Pâles ; il y a le tombeau d’Hamlet et un hôtel

Éclairé à l’électricité, avec tout le confort moderne.

C’était l’été du Nord, lumineux, doux voilé.

Souviens-toi : on voyait la côte suédoise, en face,

Bleue, comme ce profil lointain de l’Italie.

Oh ! aimes-tu ce jour autant que moi je l’aime ?

Cueille ce triste jour d’hiver sur la mer grise…

Oh ! que n’ai-je passé ma vie à Elseneur !

Le petit port danois est tranquille, près de la gare,

Comme le port définitif des existences.

Vivre danoisement dans la douceur danoise

De cette ville où est un château avec des dômes en bronze

Vert-de-grisés ; vivre dans l’innocence, oui,

De n’importe quelle petite ville, quelque part,

Où tout le monde serait pensif et silencieux,

Et où l’on attendrait paisiblement la mort.

Valery Larbaud, « Poésies de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 62.

David Farreny, 1er avr. 2007
petit

Songeons seulement aux sentiments que nous éprouvons en lisant un beau roman (de Walter Scott, par exemple). Quelle beauté, quelle sublimité, quel intérêt, quelles émotions déchirantes ! On pourrait croire que les sentiments que l’on éprouve alors dureront toujours, ou qu’ils soumettront l’esprit à leurs propres couleur et harmonie. Tandis que nous lisons, il semble que rien ne pourra nous tirer hors de notre carrière ou nous troubler ; et puis, à la première tache de boue qui nous éclabousse en sortant dans la rue, à la première pièce de deux pence dont nous sommes volés, le sentiment s’évanouit complètement de notre esprit et nous devenons la proie de cette insignifiante et fâcheuse circonstance. L’esprit prend son essor vers le sublime ; il est chez lui dans le vil, le désagréable et le petit.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 28 nov. 2007
modestie

À quoi bon ajouter son grain de sel à cet océan de mots ? Et pourquoi pas ? Et si la littérature était devenue affaire de modestie. On ne sait jamais. L’orgueil a de ces tours.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 11 mars 2008
coi

Ce n’est pas que j’aie désiré outrepasser la taille et le poids, les limites, l’âge qui nous sont départis à chaque instant, surtout au début, quand ils nous enveloppent, nous pressent doucement, le temps surtout, la sphère transparente, irisée de l’éternel présent. Je n’ai rien tant souhaité que de me tenir coi dans mon petit volume, que rester sans bouger dans l’heure immobile qu’il commence par être avant qu’elle ne s’émeuve, glisse, fuie et nous emporte vers les rapides de la durée. Mais si loin que je remonte, que je nous voie, en tiers, pour autant qu’il y a moyen de s’éloigner, de s’asseoir à l’écart, de regarder, de juger quand on était le second d’un tiers qui fut d’emblée le premier, je ne pouvais déjà plus.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 25.

Élisabeth Mazeron, 1er juin 2010
précédents

L’histoire, sur laquelle notre début de siècle s’est tellement appuyé pour vivre et penser, ne servira bientôt plus de rien, tant ce qu’on va voir (basé sur la technique et non plus sur l’horreur) aura de moins en moins de précédents.

Paul Morand, « 15 février 1976 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 731.

David Farreny, 23 sept. 2010
effarvatte

5 heures de l’après-midi, la digitale pourprée : crescendo trillé du phragmite des joncs, rythmes puissants, acidulés et grincés, de la rousserolle turdoïde. Coassement sec et flasque d’une grenouille. La mouette rieuse part en chasse. Les nénuphars. Concert en duo de deux rousserolles effarvattes.

6 heures du soir, les iris jaunes et la locustelle tachetée. Une foulque (noire, plaque frontale blanche) semble choquer des pierres et souffler dans une petite trompette pointue. L’alouette des champs s’élève et jubile en plein ciel, les grenouilles lui répondent dans l’étang. Un râle d’eau, invisible, pousse une série de cris effroyables — cris de pourceau qu’on égorge — en hurlement décroissant, diminuendo.

9 heures du soir : coucher de soleil, rouge, orangé, violet, sur l’étang des iris. Le héron butor mugit — son de trompe grave, un peu terrifiant. Le soleil est un disque de sang : l’étang le répète — le soleil rejoint son reflet et s’enfonce dans l’eau. Le ciel est violet sombre.

Minuit : la nuit est installée, toujours solennelle comme une résonance de tam-tam. Le rossignol commence ses strophes mystérieuses ou mordantes. Une grenouille agite des ossements.

3 heures du matin : de nouveau, un grand solo de rousserolle effarvatte. Et nous terminons sur un rappel de la musique des étangs, avec le dernier mugissement du héron butor…

Olivier Messiaen, « Livre IV, VII. La rousserolle effarvatte », Catalogue d’oiseaux.

David Farreny, 12 oct. 2011
pleine

Et sans nous lasser, dans nos rêves enfiévrés de désir, nous reprenons la quête tâtonnante, explorant de ce passé chaque détail, chaque pli. Et le sentiment nous vient alors que nous n’avons pas eu notre pleine mesure de vie et d’amour, mais ce que nous laissâmes échapper, nul repentir ne peut nous le rendre.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 9.

Cécile Carret, 27 août 2013
culs

toi t’aimes bien les bons petits culs, t’aimes bien ça voir les petits culs tout bons, t’aimes bien voir un bon petit cul passer, un bon petit cul papoter ou passer, hein ouais t’aimes bien voir ça, le bon petit cul qui demande pas son reste et passe, qui passe et qui rapasse, mais le bon petit cul ne demande pas mieux que de rester, le cul petit tout bon qui demande pas son reste mais reste tout de même, t’aimes bien ça hein, t’aimes bien que le petit cul tout bon reste sur place, pour ça t’aimes bien que ça t’écoute un bon petit tout cul, que ça se tende bien de par le cul le petit cul tout bon, que cul tendu te soit tout ouïe, qu’il soit tout oui le tout bon petit cul tout ouïe, qu’un petit tout bon cul comme ça c’est bon pour n’être qu’un petit cul après tout, pourquoi ce n’est pas qu’un tout bon petit cul qui passe et qui rebondit quand on l’appelle, quand on le retient pour qu’il fasse un gros oui le tout petit bon cul tout ouïe à toi, car c’est à toi qu’il est le petit bon tout cul n’est-ce pas, et ça t’aimes bien, t’aimes bien avoir ton tout bon petit cul et qu’il te dise que oui, que ça dise oui à tout, à tout bout de champ le tout bon cul petit qui passe et qui rebondit, c’est ça que t’aimes au fond, au fond du fond t’aimes bien les tout bons petits culs qui passent, qui passent et qui rapassent, les bons petits tout culs qui ne restent pas en place

Charles Pennequin, « Les petits culs », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 92-93.

David Farreny, 11 fév. 2014
nauséeux

J’entends parfois, en passant dans la rue, des bribes de conversation intime, et il s’agit presque toujours de l’autre femme, ou de l’autre homme, de l’amant d’une troisième ou de la maîtresse d’un quatrième…

J’emporte — d’avoir simplement entendu ces ombres de discours humain, à quoi s’occupe finalement la majorité des vies conscientes — un ennui nauséeux, une angoisse d’exilé chez les araignées, et la conscience subite de mon écrabouillement parmi les gens réels ; cette fatalité d’être considéré, par mon propriétaire et tout le voisinage, comme semblable aux autres locataires de l’immeuble ; et je contemple avec dégoût, à travers les grilles qui masquent les fenêtres de l’arrière-boutique, les ordures de tout un chacun qui s’entassent, sous la pluie, dans cette cour minable qu’est ma vie.

Fernando Pessoa, « 11 », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.

David Farreny, 10 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer