ignorance

À mon sens, la plus grande faveur que le ciel nous ait accordée, c’est l’incapacité de l’esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu’il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous n’avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas causé trop de mal jusqu’à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors, cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix d’un nouvel âge de ténèbres.

Howard Phillips Lovecraft, L’appel de Cthulhu.

Guillaume Colnot, 17 juil. 2002
abattoirs

Quand furent promis à la destruction des abattoirs municipaux de pierre noire qu’elle trouvait beaux et où l’on retrouvait vaguement, en effet, le style d’un inconscient continuateur de Ledoux, ma mère tenta de les sauver. Elle échoua. Les abattoirs furent démolis. Elle en acquit pourtant les pierres. On inscrivit sur chacune un numéro à la craie pour les temps meilleurs qui permettraient la réédification, ailleurs, du monument. Ils ne sont pas venus. Les pierres, transportées à Montjuzet, y sont toujours, parmi les ronces. Les numéros sont effacés.

Renaud Camus, « lundi 28 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 93.

David Farreny, 30 juil. 2005
périclitez

Passez nuages

pauvres heures

grosses nuées porteuses

de crépitantes

gifles froides

défilez

indigentes journées

années lugubres

périclitez

projets infimes

sombrez

passions naines

étiolez-vous

désirs

et surtout ne revenez

jamais

Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 8.

David Farreny, 20 août 2006
conversation

Victime d’une conversation il doit s’aliter.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 32.

David Farreny, 19 nov. 2006
comment

Je ne sais pas comment font les autres.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 47.

David Farreny, 19 nov. 2006
remanier

Les chambres des hôtels de congrès sont grandes et, dans les salles de bain, il y a des miroirs grossissants. Les congressistes y examinent la peau de leur visage et découvrent combien elle est impure. Ils se mettent à la nettoyer. Le soir, au premier cocktail, ils ont des taches rouges sur le nez, les joues et le front. Pour tout congressiste, la transpiration est un fardeau particulièrement gênant. Comme on se tient exclusivement dans des espaces clos, le corps n’est jamais vraiment à l’air. Une pellicule poisseuse recouvre le dos et la poitrine. La sueur a une odeur étrangère. On se douche chaque fois qu’on en trouve le temps. On est là, en caleçon, à regarder par sa fenêtre scellée les pistes d’atterrissage et les voies ferrées. Notre propre corps nous fait assez peu plaisir. Et puis ces chaussettes de congressiste ! Ces caleçons de congressiste ! Les cheveux sur notre crâne sont ternes. On peut voir à la télévision combien les jeunes dents sont bien ancrées dans les jeunes gencives. On peut y observer aussi des pénis luisants de jeunes hommes, comme ils sont enfoncés dans de juteux vagins de jeunes femmes, puis ressortis, renfoncés, ressortis, renfoncés, tandis que des gouttes tombent tout autour. Les congressistes relisent ce qu’ils ont préparé chez eux pour le dire ici. Ça leur paraît inadapté. La météo n’est pas telle qu’ils se l’étaient imaginée chez eux, l’hôtel non plus, rien dans leurs documents ne correspond à la réalité, il faudrait tout remanier.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 236-237.

David Farreny, 11 mars 2010
vérification

Accueillir les contradictions à cette idée que la vie ne serait que la vérification.

Gérard Pesson, « lundi 8 juillet 1991 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 28.

David Farreny, 22 mars 2010
bas-monde

D’un côté, les choses vont bien pour moi. […] Je suis bien adaptée à ce bas-monde, je ne suis pas une petite nature. Ma grand-mère transportait du fumier. D’un autre côté, je ne vois que des signes négatifs. Je ne sais plus pourquoi je suis sur terre. Je ne suis indispensable à personne, je suis là et j’attends, et, pour l’instant, je n’ai ni but ni tâche en vue. Je n’ai pas pu m’empêcher de me remémorer avec intensité une conversation que j’ai littéralement soutenue avec une intelligente Suissesse, et tout au long de laquelle, en réaction à tous les projets d’amélioration du monde, je m’accrochais à cette phrase : «  La somme des larmes reste constante.  » Quelles que soient les formules ou les bannières auxquelles les peuples se rallient, quels que soient les dieux auxquels ils croient ou leur pouvoir d’achat : la somme des larmes, des souffrances et des angoisses est le prix que doit payer tout un chacun pour son existence, et elle reste constante. Les populations gâtées se vautrent dans la névrose et la satiété. Ceux auxquels le sort a infligé un excès de souffrances, comme nous aujourd’hui, ne peuvent s’en sortir qu’en se blindant. Sinon, j’en viendrais à pleurer jour et nuit. Or, je le fais tout aussi peu que les autres. Il y a là une loi qui régit tout cela. N’est apte au service que celui qui croit à l’invariance de la somme terrestre des larmes, n’a aucune aptitude à changer le monde ni aucun penchant pour l’action violente.

Anonyme, Une femme à Berlin. Journal, 20 avril-22 juin 1945, Gallimard, p. 176.

Cécile Carret, 27 août 2013
propriétés

Vos maisons, vos jardins, vos propriétés… vôtres tout autant que miennes par la vitre du train à grande vitesse.

Éric Chevillard, « samedi 10 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014

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