Ce sont des phrases, effectivement. Il n’y a pas de pensées, je cours après des unités sonores, des phrases que j’ai pensées qu’il serait bien d’avoir pour cibles. Le texte se déroule vers ces chutes comme vers des cibles.
Pierre Michon, entretien avec Marianne Alphant au centre Georges-Pompidou, 28 mars 1996.
L’homme qui se respecte quitte la vie quand il veut ; les braves gens attendent tous, comme au bistrot, qu’on les mette à la porte.
Ainsi sait faire la mescaline (si toutefois vous ne lui êtes pas obtus et résistant) vous projetant loin du fini, qui partout se découd, se montre pour ce qu’il est : une oasis créée autour de votre corps et de son monde, à force de travail, de volonté, de santé, de volupté, une hernie de l’infini.
La mescaline refuse l’apaisement du fini que l’homme savant en l’art des bornes sait si bien trouver.
La mescaline, son mouvement tout de suite hors des bornes.
Infinivertie, elle détranquillise.
Et c’est atroce.
Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 813.
Ce qu’on était sans y songer se mue en obstacle.
Pierre Bergounioux, Écrire, pourquoi ?, Argol, p. 15.
Il se leva, fit un salut et chanta :
Quand on n’a pas ce que l’on aime
Il faut aimer ce que l’on a.
Il fit un salut et se rassit.
Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 167.
Aimer quelqu’un à partir de sa mort, est-ce de l’amitié ?
Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 16.
À une table sortie
sur le trottoir par le beau temps
tardif d’un midi d’octobre
déguster une souris d’agneau
consentant à sa chair moelleuse
tout comme à l’arrivée d’une vieille Américaine bien marinée
à la table voisine
Reconnaissant des étincelles dans mon verre des flottements d’anges
absents qui entre deux bouchées
rident l’air rayonnant
(autant que des bouts d’ailes en bois que les serveuses repêchent de l’ombre
derrière la porte du bistro pour caler notre table branlante)
D’avance jubilant de pouvoir demain au retour
à Prague dire à ses proches « hier encore sur le trottoir
inondé de soleil tardif je goûtais une souris fondante »
Petr Král, « Bonheur », « Théodore Balmoral » n° 61, hiver 2009-2010, p. 126.
(Qu’est-ce que ce besoin que nous avons de beauté ? Un caractère acquis, un réflexe conditionné, une convention linguistique ? Et la beauté physique, en soi, qu’est-ce ? Un signe, un privilège, un don irrationnel du sort, comme – ici – la laideur, la difformité, la déficience ? Ou bien un modèle sans cesse changeant que nous forgeons, plus historique que naturel, une projection de nos valeurs et notre culture ?)
Italo Calvino, La journée d’un scrutateur, Seuil, p. 33.
Pivoines épanouies : rose chiffonné.
Glas : effacement progressif et lent du son.
Antoine Émaz, Cuisine, publie.net, p. 33.
L’homme est un immense marécage. Quand l’enthousiasme le prend, c’est, pour le tableau d’ensemble, comme si dans un coin quelconque de ce marais une petite grenouille faisait pouf dans l’eau verte.
Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 509.
Plutôt le râteau que le fiasco – au moins a-t-il un manche.
Éric Chevillard, « lundi 21 août 2017 », L’autofictif. 🔗