existence

Des professeurs parlent de la difficulté qu’ils rencontrent à faire leur métier face à des classes dont les effectifs sont à quatre-vingt-dix pour cent composés d’étrangers ou d’enfants d’étrangers — mais bien entendu ces classes-là ne sont sans doute pas, elles, majoritaires…

Contre-épreuve, on voit aussi quelques images de la rentrée des classes en Suède : là-bas tous les enfants ou presque sont de type emphatiquement “suédois” ; tandis qu’il est désormais tout à fait impossible, évidemment, et pour des raisons d’ordre divers, de parler d’enfants de type “français”.

Dommage, c’était un type que j’aimais — pas plus que les autres, d’ailleurs : mais j’aimais son existence.

Renaud Camus, « mercredi 4 septembre 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 412.

David Farreny, 3 juil. 2005
résistance

Or rien de tout cela, j’en suis maintenant persuadé, n’est l’effet d’accidents, de malveillance ou de malchances ponctuelles. Non, c’est écrit. C’est écrit dans mon tempérament, dans ce qui fait mes rapports avec la réalité, dans les limites de mes talents ; comme sont écrites aussi, heureusement, une curieuse obstination, qui fait mon infortune, sans doute, mais qui fait aussi ma résistance à ses piques : une inlassable curiosité du monde ; une splendide obsession sexuelle ; et une paradoxale joie de vivre.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 351.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
surprise

Ainsi, le projet même d’une liberté en général est un choix qui implique la prévision et l’acceptation de résistances par ailleurs quelconques. […] Tout projet libre prévoit, en se pro-jetant, la marge d’imprévisibilité due à l’indépendance des choses, précisément parce que cette indépendance est ce à partir de quoi une liberté se constitue. Dès que je pro-jette d’aller au village voisin pour retrouver Pierre, les crevaisons, le « vent debout », mille accidents prévisibles et imprévisibles sont donnés dans mon projet même et en constituent le sens. Aussi la crevaison inopinée qui dérange mes projets vient prendre sa place dans un monde préesquissé par mon choix, car je n’ai jamais cessé, si je puis dire, de l’attendre comme inopinée. Et même si ma route a été interrompue par quelque chose à quoi j’étais à cent lieues de penser, comme une inondation ou un éboulis, en un certain sens, cet imprévisible était prévu : dans mon pro-jet une certaine marge d’indétermination était faite « pour l’imprévisible » comme les Romains réservaient, dans leur temple, une place aux dieux inconnus, et cela, non par expérience des « coups durs » ou prudence empirique, mais par la nature même de mon projet. Ainsi, d’une certaine manière, peut-on dire que la réalité humaine n’est surprise par rien. […] Il n’est jamais rien qui étonne, dans le monde, rien qui surprenne, à moins que nous ne nous déterminions nous-mêmes à l’étonnement.

Jean-Paul Sartre, « Liberté et facticité : la situation », L’être et le néant, Gallimard, pp. 564-565.

David Farreny, 11 nov. 2008
réglé

Ayant ainsi appris en cinq minutes une bonne demi-douzaine de langues, distraitement expédié son parcours scolaire en sautant une classe sur deux, et surtout réglé une fois pour toutes cette question des pendules – qu’il parvient bientôt à désosser puis rassembler en un instant, les yeux bandés, après quoi toutes délivrent à jamais une heure exacte à la nanoseconde près –, il se fait une première place dans la première école polytechnique venue, loin de son village et où il absorbe en un clin d’œil mathématiques, physique, mécanique, chimie, connaissances qui lui permettent d’entreprendre dès lors la conception d’objets originaux en tout genre, manifestant un singulier talent pour cet exercice.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 13.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
ligne

Peu de temps auparavant, j’avais vu la fille de mon parrain – elle avait mon âge – toute nue. Elle avait un corps tout pareil au mien, mais chez elle la lisseur se continuait entre les jambes. Je trouvais cela très élégant et plus dans la ligne de la nudité que cette petite poussée de peau qui dépassait chez moi et qui ne s’associait à rien, et surtout pas à cette raideur qui le soir me venait pourtant au même endroit.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 88.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
poésie

Si la poésie n’était pas aussi exigeante vis-à-vis de son lecteur, le genre serait sans doute aussi « à la mode » que le roman ou la chanson. La poésie, même simple d’accès, citons Prévert, Sacré, Follain, Maulpoix, Rouzeau… demande un effort, un certain engagement de soi. Elle n’est pas divertissement, elle ramène par des pentes diverses au cratère d’être là. La poésie dit : qui veut aller là ? Et commencent les évitements polis et les bonnes excuses pour ne pas. Si la poésie n’est pas une machine de guerre, elle est un formidable accélérateur de conscience. Qu’est-ce que cela veut dire d’être là, maintenant, exister ? Et le poème ne répond pas à cette question, il l’acidifie.

Antoine Émaz, Cuisine, publie.net, p. 177.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
esthétique

Les autobiographies intéressantes pourraient abonder si écrire la vérité ne constituait pas un problème esthétique.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 36.

David Farreny, 3 mars 2024

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