profond comme le fer de bêche et large comme un vicomté de matou
sans limite par le haut seulement où la lune roule et parfois fend
lieu connu inconnu où courir où se lover un continent un trou
Michel Besnier, tiré à part, Folle Avoine, p. 1.
Sans doute n’est-il de mysticisme vrai que celui de l’agnostique. L’athée soustrait du vide tout un champ du possible, le croyant l’encombre d’un trop-plein qui interdit le jeu, l’errance, le labyrinthe sacré de l’incertitude. La foi n’offre d’autre vertige que la formidable indifférence de Dieu, que la religion, d’ailleurs, s’épuise à démentir pour le fidèle. À celui-là seul qui ne sait pas — et pourvu qu’il ait le courage d’explorer sans faiblir son insondable ignorance, d’en scruter tous les gouffres et d’en affronter toutes les ombres, fussent-elles dernières —, à celui-là seul est promise la pleine expérience du néant.
Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 285.
Il ne restait à Danton qu’à se montrer aussi impitoyable à sa propre mort qu’il l’avait été à celle de ses victimes, qu’à dresser son front plus haut que le coutelas suspendu : c’est ce qu’il fit. Du théâtre de la Terreur, où ses pieds se collaient dans le sang épaissi de la veille, après avoir promené un regard de mépris et de domination sur la foule, il dit au bourreau : « Tu montreras ma tête au peuple ; elle en vaut la peine. » Le chef de Danton demeura aux mains de l’exécuteur, tandis que l’ombre acéphale alla se mêler aux ombres décapitées de ses victimes : c’était encore de l’égalité.
François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 315.
C’est toujours l’envie de la dissolution qui me vient — partager le sort du comprimé effervescent qui doucement se délite, semble vouloir amasser un instant ses particules bondissantes sur les rebords du verre, puis abandonne la partie, rendant grâce à l’eau plate de l’avoir accueilli en se troublant à peine.
Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau.
Je suis abstrait et ne saurais pour le moment régler ma vie.
Vincent van Gogh, « Arles, avril 1889 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 485.
Oui, la bêtise consiste à vouloir conclure. Nous sommes un fil et nous voulons savoir la trame. […] Maintenant on passe son temps à se dire : nous sommes complètement finis, nous voilà arrivés au dernier terme, etc., etc. Quel est l’esprit un peu fort qui ait conclu, à commencer par Homère ? Contentons-nous du tableau ; c’est aussi bon.
Gustave Flaubert, « lettre à Louis Bouilhet (4 septembre 1850) », Correspondance (2), Gallimard, p. 680.
La mort est claire dans le ruisseau
et sauvage dans la lune
et claire
comme le soir venu l’étoile frémit
étrangère devant ma porte
la mort est claire
comme le miel en août
aussi claire est cette mort
et elle m’est fidèle
quand arrive l’hiver
oh Seigneur
envoie-moi une mort
que j’aie froid
et que la langue me vienne dans la mer
et près du feu
Seigneur
La mort dans la nuit attaque le tronc d’arbre
et le sommeil de quelques merles
dans les obscurités.
Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer, La Différence, p. 63.
Parfois aussi il se demande si
ce lui serait très dur de disparaître
sans qu’il ait pu, dans l’eau des choses, être
le long reflet d’un calme réussi.
Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 227.
Avait-il dormi toute la nuit, comme cela, sur le dos ? jambes croisées ? À la fenêtre grande ouverte, dans un mur de nuages qui allait grandissant, la lune décroissante avait fait son apparition, un moment, comme tombée en avant, le visage vers le bas.
Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 60.
Il faut aimer les livres, ainsi que je le fais, naïvement, pour imaginer que l’âme s’éternise parmi nous grâce aux mots ; elle n’a jamais été que là, en eux, et quand ils se taisent, la voilà qui meurt à jamais.
Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 41.
Toute chose a son côté ouvrable et son côté férié.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 309.