horreur

De brusques montées d’horreur. Horreur de l’amour physique, de l’accouplement, à m’évanouir de dégoût. Horreur de la parole quotidienne, qui va de l’un à l’autre, et charrie toute notre vulgarité, notre mesquinerie, notre néant. Horreur de figurer dans une pièce sans queue ni tête, dans cette sale socialité. J’en suis arrivé à ne plus pouvoir me « changer ». Je porte le même pantalon, les mêmes godasses, la même veste, depuis des années. Bien forcé d’en rabattre, tout de même, avec le slip, la chemise, les chaussettes… Horreur qui se colle à moi, qui m’envahit, comment rentrer chez soi, comment supporter qu’on ne s’en aperçoive pas, qu’on me parle comme si de rien n’était ! Comment ne pas exploser, être dur, se faire rembarrer, rentrer dans le drame…

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 103.

David Farreny, 13 avr. 2002
fonction

Terminé le papier sur le Lot, dont l’hypothèse est que le sentiment initial de la vie est euphorique. Ce qui a pour fonction de nous y attacher — une prime d’installation. Puis l’expérience, l’exercice de la réflexion provoquent un désenchantement graduel. Lorsqu’il s’achève, on peut s’en aller.

Pierre Bergounioux, « samedi 23 novembre 1991 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 112.

David Farreny, 20 nov. 2007
régression

Je sais bien : La fatigue, la nuit, le repos, le silence… Éluard, le passé, l’alexandrin, le nombre. Nous ne pouvons même pas prétendre, à l’instar de Pascal, que le disposition des matières est nouvelle. Dirons-nous que la nouveauté serait un sens encore trop fort, pour aujourd’hui du moins ? Ce n’est pas de nouveauté que nous avons soif, tous les deux, mais de retour en arrière, au contraire, de régression, d’arrêt sur des images heureuses, qui pourtant nous ravagent. Pas d’issue. Le téléphone n’a pas sonné du tout, cette fois. C’est de nouveau la nuit. Deuxième nuit blanche. Continuer, continuer, surtout ne pas laisser la réalité de la douleur s’échapper de ce lacis de mots où nous essayons de l’enserrer, le regret subvertir ce glacis de phrases que nous tâchons d’opposer à son avance, l’humeur noire submerger les paragraphes qui s’éreintent et s’érigent à la contenir. Il suffit de ne pas relâcher un seul instant la maniaque emprise de la ligne, des caractères qu’elle met en bon ordre, de la main qui les accouche. Rester coûte que coûte à la table, puisque le lit ne voudrait de nous, de toute façon, que pour nous tordre et nous tourner et retourner, et nous torturer de questions, lui aussi, de suggestions impraticables, de reconstitutions hallucinées et de ressassements impuissants. Si ce remède de cheval allait être pire que le mal, pourtant ?

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 36-37.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
goût

Un goût vraiment à soi : mais c’est précisément ce qu’il y a de plus rare. Nous dirions en termes bathmologiques que le goût véritablement personnel implique un dépassement de son dépassement : il a considéré son contraire, ou son complémentaire, il l’a même investi, ne serait-ce qu’un moment, puis il en est revenu. […] Ne se montrent pleinement révélateurs, encore une fois, que les itinéraires. Ils ne sont en général que trop évidents. Mais les plus beaux demeurent mystérieux, quoique nullement indicibles, moins capricieux que nerveux, silencieux davantage que secrets, et presque toujours solitaires…

En faire la remarque, cependant, ce n’est pas tomber dans l’éloge d’un autodidactisme quelconque, serait-ce celui du goût. L’autodidacte, à vrai dire, est plus menacé que personne, au contraire, par l’emprise du stéréotype, dont il ne peut se défendre parce qu’il n’a pas les moyens de le reconnaître pour ce qu’il est. Suivre les chemins non frayés ne peut s’apprendre seul. La solitude, comme l’innocence ou le naturel, est une longue conquête, qui ne saurait s’entreprendre en solitaire.

Renaud Camus, « La période rose », Esthétique de la solitude, P.O.L., pp. 92-93.

David Farreny, 26 août 2009
intermède

Au sortir de l’adolescence s’ouvre un intermède décevant auquel on ne conçoit pas de fin. Une fois encore, j’aurais eu besoin, j’ai attendu qu’on me dise. Le dépit de me découvrir embarrassé de termes empruntés, inopérants sur les choses concrètes, rétives de toujours, pour cuisant qu’il fût, m’aurait moins affecté si je l’avais su inévitable, peut-être passager. J’aurais laissé à celui que je serais ultérieurement devenu le soin d’une opération que j’avais crue toute simple et qui ne l’était pas. J’avais cédé une année de la seule vie qui vaille, puis deux puis d’autres, encore, au terme de quoi je comptais que le chapitre obscur par où j’ai commencé serait expliqué. Je saurais. Je serais libre. Je m’établirais à l’endroit où j’attendais, en quelque sorte, ma propre venue.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, pp. 76-77.

Élisabeth Mazeron, 27 mai 2010
acquiert

L’autorité de la chose imprimée ne laisse de m’étonner.

Les mous et les lâches se raffermissent en se faisant imprimer, semble-t-il. Leur pensée confuse acquiert de ce seul fait une netteté et une sûreté trompeuses, et de même l’invertébré coulé dans le ciment se tient tout de suite beaucoup plus droit. Pour autant, la confusion demeure, ainsi appareillée plus néfaste encore, les maladresses d’écriture passent pour de folles audaces formelles, le poète écroulé dans son vomi s’est juste autorisé quelques licences comme il en a traditionnellement le droit, et toute combinaison singulière de négligences et de grossièretés se donne pour un style original. Mais, si la chose imprimée inspire un tel respect, que dire alors de la chose brodée ?

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 63.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
aimer

Mais ça n’a rien à voir avec sa jupe. Si, quand même. Pour moi, si. Peu importe, je sais ce que j’aime, sa jupe. Elle aussi, sinon elle l’aurait pas achetée. Donc nous aimons la même jupe. Donc à travers la même jupe nous nous aimons. Donc je l’aime. Tu charries. Non. Une femme comme elle qui aime comme moi une jupe imprimée de fleurs aussi belles est forcément digne, je veux dire destinée à être aimée par un type comme moi. Autrement dit, si j’aime ce qu’elle aime, elle devrait normalement m’aimer.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 67.

Cécile Carret, 4 mars 2012
fond

Voilà. Des années ont passé. Nous vivons ensemble dans une maison en dur, j’ai réussi, j’ai une vraie maison toute dure. Francis est parti, et nous sommes tous les deux. Et alors, quoi ? Je m’ennuie. Le mot est faible. C’est évident que je m’ennuie. L’amour pour moi s’est toujours déroulé en trois phases fatales : découverte, habitude, lassitude. Et c’est fini. Chaque fois que je me suis mis à vivre avec une femme, je me suis retrouvé un jour à me dire sur ma natte : « Pop, ce que tu t’emmerdes, au fond. Demain tu la quittes. »

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 81.

Cécile Carret, 9 mars 2012
essai

En somme je ne sais rien de lui — rien de cette vie qui fut ce que sont les vies, un coup de dés, un essai pour une autre fois, une partie d’écarté. Combien parviennent à trouver, pour s’en revêtir, quelque chose qui ressemble à une forme, à une construction délibérée de la volonté, à une structure ordonnée où soit aboli le hasard, sous l’instance de la lettre, qui sait, des correspondances, de l’ailleurs en toute occurrence lové entre les arcanes de l’ici, celui-ci fût-il un tombeau ?

Renaud Camus, « 2-2-12-03-19-14-1-1-1-7 », Vaisseaux brûlés.

David Farreny, 5 mai 2012
visage

Avait-il dormi toute la nuit, comme cela, sur le dos ? jambes croisées ? À la fenêtre grande ouverte, dans un mur de nuages qui allait grandissant, la lune décroissante avait fait son apparition, un moment, comme tombée en avant, le visage vers le bas.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 60.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
enfançons

Les parents de Lucie avaient craint le pire, étaient accourus de leur fief de province très cossue, avaient délibéré au chevet de l’enfant merveilleuse, seule fille inventée à la coda d’un quintette de fils très aînés, tous établis plus que bourgeoisement et nantis de mirifiques professions, d’épouses divines, d’enfançons idéaux, fils chargés, bourrés à craquer comme navires fabuleux de maintes promesses d’avenir.

Marie-Hélène Lafon, Les pays, Buchet-Chastel, p. 55.

David Farreny, 30 août 2013
but

Mon but ? Il m’atteindra tôt ou tard.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 46.

David Farreny, 8 oct. 2014
régler

Nous avons parfois l’impression qu’en déchirant deux ou trois vieilles lettres et quelques factures payées, nous allons régler notre situation et être heureux pour toujours.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer