professeurs

La collectivité s’est maintenant, d’un consentement à peu près unanime, donné pour maîtres à penser des professeurs.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 13.

David Farreny, 14 avr. 2002
épaisseur

Il est des moments où la vacuité éprouvée à se sentir vivre atteint l’épaisseur de quelque chose de positif. Chez les grands hommes d’action, c’est-à-dire chez les saints — car ils agissent avec leur émotion tout entière, et non pas avec une partie seulement —, ce sentiment intime que la vie n’est rien conduit à l’infini. Ils se parent de guirlandes de nuit et d’astres, oints de silence et de solitude. Chez les grands hommes d’inaction, au nombre desquels je me compte humblement, le même sentiment conduit à l’infinitésimal ; on tire sur les sensations comme sur des élastiques, pour voir les pores de leur feinte et molle continuité.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 151.

David Farreny, 9 fév. 2003
finis

De la plage du loch Laidon, curieusement aimable et sableuse, on contemple au sud cette énorme bouchée de néant, Rannoch Moor, la lande de Rannoch, qui s’achève en une ligne de montagnes désertes, bien sûr. Mais justement elle ne s’achève pas. On sait bien qu’au-delà il y a plus de solitude encore (c’est à peine concevable), plus d’absence, plus de rien modelé par la bruyère, velouté par la lumière, malaxé par les ciels, moiré par les eaux innombrables, incessamment pétri par le temps qu’il fait et qu’il n’a même pas le temps de faire : grands pans de soleil en oblique sur des brumes errantes, blocs de charbon suspendus, sables roses comme des chairs de femme — on a rêvé, ce n’est plus là. Pourtant ce n’est pas fini, ce n’est jamais fini, c’est nous qui sommes finis, ravagés de finitude, de manque de temps, de manque d’argent, de livres à rendre, de nuit qui vient : quand bien même on y consacrerait sa vie (et c’est tentant) on sait bien qu’on serait impuissant face à ce vide adorable, terrible et toujours dérobé, auquel nous sommes aussi peu commensurables qu’à l’énormité des bibliothèques. Oh, bien sûr, on peut tricher, on peut aller de l’autre côté, en voiture, en train (n’y a-t-il pas une gare ? C’est la gare de Rien) ou même en avion : on sait bien qu’on n’aura rien étreint, rien possédé, rien aimé, rien vu ; qu’un nuage qui passe fait de cette lande un autre monde.

Renaud Camus, « dimanche 3 août 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, pp. 441-442.

David Farreny, 7 mai 2006
est

Voyons, toute forme ne repose-t-elle pas sur une élimination, toute construction n’est-elle pas un amoindrissement, et une expression peut-elle refléter autre chose qu’une partie seulement du réel ? Le reste est silence.

Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 107.

Cécile Carret, 13 mai 2007
dilapidons

Asthénie profonde, noire, qui engendre des pensées désespérantes et que je m’explique mal. Nous sommes rentrés depuis une semaine. Je dors convenablement, ne souffre de rien, à ma connaissance. Et je sens, au réveil, que la nuit ne m’a pas livré l’habituel contingent de forces neuves qu’on trouve au seuil de la journée. Il faut en être privé pour découvrir que c’était, là encore, un des bienfaits sans nombre qui nous furent prodigués. La lucidité qui vient, avec l’âge, n’est jamais que le revers des pertes successives. Proust a dit ça : « Nos idées sont le succédané de nos chagrins. » C’est le déclin, la mort qui s’apprête, chaque jour, qui nous révèlent, après coup, l’étendue des richesses, la surabondance de biens qui nous sont alloués, à l’origine, et que nous dilapidons gaiement.

Pierre Bergounioux, « lundi 8 août 1994 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 459.

David Farreny, 12 déc. 2007
champion

Champion

de la

détestation

en tout genre

briseur de vie

dont

la mienne

réducteur

de tout ce

qui n’est pas

à ma taille

bulle

ne remontant

définitivement plus

à la

surface

Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 37.

Élisabeth Mazeron, 19 nov. 2009
couver

Et là, on ne m’empêchera pas de m’élever avec force contre la légèreté de cette dame, consciente ou non de son état intéressant – ô combien intéressant ! enfin quelque chose d’intéressant en ce monde, et qui intéressait l’humanité entière –, cette dame qui n’hésita pas à enfourcher une cavale fougueuse quand il s’agissait plutôt de garder précautionneusement la chambre en décrivant avec le doigt des cercles doux autour de son nombril et de se faire seconder par une matrone bâtie comme une tour pour porter sa tisane à ses lèvres ! Il s’agissait de couver Dino Egger – tout de même ! – et pour cela de se couvrir de plumes. Que lui eût-il coûté ? Quelques semaines au calme avec des livres (traités de physique et d’anatomie, auteurs grecs et latins, pour une imprégnation en douceur) et les visites d’amis (poètes, philosophes, savants, rhétoriciens, harpistes), entourée des tendres soins de son époux, et Dino Egger faisait irruption dans le monde, vigoureux garçon, frais comme l’œil – tonique ++ eût noté la sage-femme sur son carnet de santé – et montrant déjà d’exceptionnelles dispositions pour un garnement de cet âge.

Mais non ! On saute des barrières, on franchit des ruisseaux […].

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 21.

Cécile Carret, 25 janv. 2011
engendrement

À la lumière, par conséquent, fait défaut l’unité concrète avec soi que la conscience de soi possède en tant que point infini de l’être-pour-soi ; et c’est pourquoi la lumière est seulement une manifestation de la nature, non pas de l’esprit. C’est pourquoi, deuxièmement, cette manifestation abstraite est en même temps spatiale, absolue expansion de l’espace, et non pas la reprise de cette expansion dans le point d’unité de la subjectivité infinie. La lumière est dispersion spatiale infinie, ou, bien plutôt, infini engendrement de l’espace.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 394.

David Farreny, 28 fév. 2011
présent

Quand un jour tu te retrouveras devant la mort sur un lit d’hôpital, ce sera aussi du présent.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (3) », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, p. 115.

David Farreny, 12 juin 2014
pion

Tourner la loi. Se prendre pour… Les filles disent « mon fiancé », elles s’imaginent grandes dames-XIXe siècle, du temps où il y avait des fiançailles. Elles disent « ton mec », c’est le fantasme provisoire crapule Carco. On dit « ton Jules », ça fait encore plus fortifs, du temps où il y avait une marge, c’est-à-dire une société. « Ton ex », ça signifierait qu’à un moment il a été actuel. Alors que de toute façon, dans tous les cas, ça n’a jamais été qu’un pion de rencontre sur un échiquier d’ennui et de brouillard. Développer.

Me souvenir des excellents clichés mis en scène dans Les Nuits de la pleine lune vu hier. Rapports de force à feu doux, liberté, vie commune tempérée, illusions d’exister.

Philippe Muray, « 6 janvier 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 536.

David Farreny, 3 juin 2015
film

Les grands moments d’une vie, les beaux, les forts, tiendraient sur une alléchante bande-annonce. Mais il faut se taper tout le film.

Éric Chevillard, « jeudi 19 juillet 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 27 fév. 2024

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