et

Mon bonheur serait parfait, n’était la fugitive angoisse d’en fouiller le secret pour le retrouver demain et toujours.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 83.

David Farreny, 24 mai 2003
occultes

C’est pour avoir continuellement maintenu quelque chose — elle-même — hors des atteintes des puissances ennemies, qui sont les mêmes depuis toujours, partout, pour tous, c’est pour ça qu’elle se dessinait, dans l’air où résonnent les paroles, tout près, chaque fois ou presque que j’ai parlé avec un de ses enfants. Il n’est pas vrai qu’il n’y ait plus personne, plus rien après qu’on a cessé de respirer. Certains, en vérité, n’existent pas vraiment quand, pourtant, on peut les voir passer et repasser dans la lumière, entendre ce qu’ils disent. Ce n’est pas eux. C’est rien que ce qu’on n’est pas, les forces occultes, l’enfant qui joue derrière le rideau du temps orné de figures peintes. D’autres, en revanche, sont toujours là quand on les chercherait en vain du regard. Il peut arriver qu’on ne les ait jamais vus ou que ça n’ait duré que trois secondes et qu’on n’ait même pas su, alors, qui ils étaient.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 65.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
offusque

Je soude un assortiment de nageoires sur une large ellipse de métal que je décape ensuite, à la meuleuse. Cela prend du temps et me fatigue. À la fin, j’ai les bras qui fléchissent sous le poids de l’outil que je brandis dans toutes les positions pour retirer jusqu’aux moindres traces de rouille. En fin de matinée, j’attaque un drapé de nouveau type. Au cône de tôle, j’ajoute de courtes sections obliques de tube, en guise de manches courtes. Les bras, tombants, s’écartent légèrement du corps et donnent au personnage une attitude d’élan arrêté, d’expectative. J’ai abusé de mes forces, ces trois derniers jours. À midi, je suis épuisé et le resterai jusqu’au soir. Amère expérience, que j’ai déjà faite. L’âme devance le corps, poursuit follement ses desseins, caresse mille chimères tandis que son pesant compère s’efforce de la suivre à pas pesants, trébuche et s’effondre. La nourriture ne m’a pas rendu de forces ni la demi-heure de sommeil que j’ai prise. La réalité, dans ces moments d’asthénie complète, m’offusque littéralement. Je constate, effaré, morne, que les choses sont, les plus infimes, surtout, grains de sable, brins d’herbe, débris infinitésimaux, poussière, sans doute parce que je suis à ce point vidé de ressort que je ne serais même pas capable de les faire bouger.

Pierre Bergounioux, « mercredi 10 juillet 1991 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 62.

David Farreny, 20 nov. 2007
habitude

[…] Cette mort matérielle, temporelle, normale et non irrégulière, essentielle pour ainsi dire et non accidentelle, régulière et non anormale, physiologique et non mécanique, cette mort usuelle de l’être, cette mort usagère est atteinte quand l’être matériel est plein de son habitude, plein de sa mémoire, plein du durcissement de son habitude et de sa mémoire, quand tout l’être matériel est occupé par l’habitude, la mémoire, le durcissement, quand toute la matière de l’être est occupée à l’habitude, à la mémoire, au durcissement, quand il ne reste plus un atome de matière pour le nouveau qui est la vie.

Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne.

David Farreny, 5 juil. 2009
temps

Il nous reste si peu de temps qu’il nous faut aller lentement.

Helmut Lachenmann.

David Farreny, 27 mars 2010
glissez

Ni vu ni connu, vous glissez-vous dans votre vie désertée ?

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
occasion

K. restait toujours dans sa neige ; il n’était pas tenté d’en retirer ses pieds qu’il eût fallu y replonger un peu plus loin ; le maître tanneur et son compagnon, satisfaits de l’avoir définitivement expédié, rentrèrent lentement dans la maison par la porte entrouverte en retournant fréquemment la tête pour jeter un regard sur lui, et K. resta seul au milieu de la neige qui l’enveloppait. « Ce serait l’occasion, se dit-il, de me livrer à un petit désespoir, si je me trouvais là par l’effet d’un hasard et non de par ma volonté. »

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 506.

David Farreny, 22 oct. 2011
honte

Fleur de neige

fleur de bruit

fleur de braise

fleur de truite,

où sommes-nous depuis que la clarté tomba

(avec, dans notre sang, la fatigue des loups)

— à la recherche de quels commerces ?

— aux racines de quelles sources ?

le désir allumé au phosphore des nerfs…

L’aube n’est pas encore, il s’en faut

— La lampe brûle,

à quoi bon s’appuyer aux choses qui s’écroulent,

il est beaucoup de vies qui ont brûlé pour rien,

beaucoup de vies qui ont honte.

— Dormirais-je, dormirez-vous ?

… étoiles de la fin du monde !

… Que ne puis-je me mettre au chaud sous mon sommeil,

que ne peut-on ôter son visage de jour

— et dormir sans figure !

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 58.

David Farreny, 21 juin 2013

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