machines

À l’intérieur de notre univers on trouve certaines choses terribles et glacées, auxquelles j’ai donné le nom de « machines ».

Philip K. Dick, Si ce monde vous déplaît... et autres écrits, L’Éclat, p. 79.

Guillaume Colnot, 28 mars 2002
fixations

On se découvre alors des fixations farouches. Des choses ridicules — mes lunettes de lecture, un mouchoir, un certain instrument pour écrire — polarisèrent ma possessivité démente. Égarer provisoirement l’un d’eux me remplissait d’un désarroi frénétique, chacun de ces objets étant le rappel tactile d’un monde voué à bientôt s’effacer.

William Styron, Face aux ténèbres. Chronique d’une folie, Gallimard, p. 91.

Guillaume Colnot, 15 mai 2002
prétexte

Certains s’abandonnent sans nourriture sur un radeau solitaire ; d’autres vont chercher l’isolement dans la montagne, exposés aux bêtes féroces, au froid et à la pluie. Pendant des jours, des semaines ou des mois selon le cas, ils se privent de nourriture : n’absorbant que des produits grossiers, ou jeûnant pendant de longues périodes, aggravant même leur délabrement physiologique par l’usage d’émétiques. Tout est prétexte à provoquer l’au-delà : bains glacés et prolongés, mutilations volontaires d’une ou de plusieurs phalanges, déchirement des aponévroses par l’insertion, sous les muscles dorsaux, de chevilles pointues attachées par des cordes à de lourds fardeaux qu’on essaye de traîner. Quand même ils n’en viennent pas à de telles extrémités, au moins s’épuisent-ils dans des travaux gratuits : épilage du corps poil par poil, ou encore de branchages de sapin jusqu’à ce qu’ils soient débarrassés de toutes leurs aiguilles ; évidement de blocs de pierre.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 38.

David Farreny, 29 nov. 2003
solipsiste

Il y a dans l’amoureux un solipsiste dépité.

Richard Millet, L’amour mendiant, La Table ronde, p. 43.

David Farreny, 5 déc. 2007
grand

Ce qui est donné à qui se relit, ce n’est pas un sens, mais une infidélité, ou plutôt : le sens d’une infidélité. Ce sens, il faut toujours y revenir, c’est que l’écriture n’est jamais qu’un langage, un système formel (quelque vérité qui l’anime) ; à un certain moment (qui est peut-être celui de nos crises profondes, sans autre rapport avec ce que nous disons que d’en changer le rythme), ce langage peut toujours être parlé par un autre langage ; écrire (tout au long du temps), c’est chercher à découvert le plus grand langage, celui qui est la forme de tous les autres. L’écrivain est un expérimentateur public : il varie ce qu’il recommence ; obstiné et infidèle, il ne connaît qu’un art : celui du thème et des variations. Aux variations, les combats, les valeurs, les idéologies, le temps, l’avidité de vivre, de connaître, de participer, de parler, bref les contenus ; mais au thème l’obstination des formes, la grande fonction signifiante de l’imaginaire, c’est-à-dire l’intelligence même du monde.

Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, p. 274.

David Farreny, 12 sept. 2009
bœuf

La phrase de nuit, qui débarque casquée, bottée, prête à l’assaut, n’est pas d’une fratrie nombreuse. Il faut aller quérir ses sœurs ailleurs, au plafond souvent, à la cave, car on ne peut savoir si la nébuleuse où elles prennent naissance est en nous ou au-dehors de nous — et, si c’est en nous, à quel étage, dans quel sous-sol. La psychanalyse sait. La critique littéraire aussi. Mais la poétique ne sait rien et me laisse du matin au soir ignorant comme un bœuf, tremblant comme une pythie.

Thierry Laget, « Ne pas déranger », « Théodore Balmoral » n° 59-60, printemps-été 2009, p. 7.

David Farreny, 17 nov. 2009
allonger

Bien qu’une lettre n’ait rien que l’on puisse qualifier d’étrange, c’est pourtant une chose magnifique. Alors qu’on pense avec anxiété à une personne qui se trouve dans une province éloignée, en se demandant comment elle peut aller, on reçoit d’elle un billet ; à le lire, on éprouve la même impression que si l’on se voyait, tout à coup, en face de son amie. C’est merveilleux.

Quand on a expédié une lettre à laquelle on a confié ses pensées, on se sent l’esprit satisfait, même si l’on songe qu’elle pourrait bien ne jamais arriver à destination. Comme j’aurais le cœur triste, et comme je me sentirais oppressée, si les lettres n’existaient pas !

Lorsque, dans une lettre qu’on veut envoyer à quelque personne, on a écrit en détail toutes les choses que l’on avait en tête, c’est déjà une consolation, bien que l’arrivée de la missive puisse être incertaine. Mais à plus forte raison, quand on reçoit une réponse, la joie que l’on goûte semble capable d’allonger la vie ; en vérité, il est sans doute raisonnable de le croire.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 245.

David Farreny, 2 juin 2011
appétit

Malgré sa juste appellation, l’hôpital Saint-Camille de Bry-sur-Marne dans le Val-de-Marne planté sur la colline de Bry-sur-Marne domine le département telle une forteresse. Son élévation rouge, de la brique exclusive dont il est bâti, sonne un terrible coup de klaxon dans le paysage, avant l’accident, tout le monde l’a vu, et tout le monde le sait dans le Val-de-Marne. Jour et nuit, immémorial, pour tous ceux qui en dépendent directement et à n’importe quelle heure dans le département, il trône, masse close, malgré les centaines de fenêtres qui percent sa pharaonique façade. Et sa porte. Une porte centrale comme il convient à l’expression de la solennité dont ce bâtiment, à l’égal de celui du conseil général du Val-de-Marne, supporte aussi la charge, à grand double battant vitré par où tous ceux qui sont liés à l’hôpital temporairement ou définitivement rentrent ou sortent. Malades dont on glisse le corps par l’arrière des ambulances sur des tiroirs tenus aux deux extrémités par des aides-soignants ; on se penche et on s’aperçoit vite que le couvercle ne tardera guère ; mais aussi infirmières, visiteurs des malades, médecins et administrateurs, cuisiniers. Et les psychiatres.

Sans doute serait-ce du faîte des toitures de la mairie du Perreux-sur-Marne, à quelques kilomètres de l’hôpital Saint-Camille, que l’on découvrirait la meilleure perspective, sur la masse énorme de cet édifice, son prestige et son emprise, sa solitude et son appétit dont on voit alors le pouvoir qu’il exerce sur la région. Le chantier permanent qui anime sa façade arrière — on aménage et réaménage, on construit de nouvelles ailes, on rehausse les étages — ne contribue pas peu dans le département à la renommée qui s’étend bien au-delà des limites administratives, d’un monument où, tandis que l’on opère jour et nuit dans chaque salle du bloc opératoire et que l’on soigne dans chaque chambre, et toilette sur toutes les tables de la morgue, on cimente aussi, on pose des châssis de fenêtre, on soude, on construit, on s’agrandit toujours.

Bernard Lamarche-Vadel, Sa vie, son œuvre, Gallimard, pp. 51-52.

David Farreny, 24 sept. 2011
rêvaient

Un moment, ils restèrent ainsi, en position horizontale, dévêtus, couchés côte à côte sous leurs légères couettes d’été.

Puis une étrange lueur brilla derrière leurs paupières closes, et ils se levèrent, se quittèrent, traversèrent les murs, les années, s’en allèrent dans différentes directions, par des sentiers inconnus d’eux-mêmes, revêtus désormais de toutes sortes de costumes imaginaires.

Le miracle quotidien s’était accompli ; ils rêvaient.

Dezsö Kosztolányi, Anna la douce, Viviane Hamy, p. 48.

Cécile Carret, 4 août 2012
post-it

Puis nous levons le nez et il nous apparaît que tout notre avenir tient sur quelques post-it collés sur un mur.

Éric Chevillard, « lundi 26 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 13 sept. 2014

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