diables

aller chez les grossistes pour retrouver ce plaisir

sucre lourd comme du ciment

papier vendu au kilo et porté par des diables

Michel Besnier, Un lièvre en son gîte, Folle Avoine, p. 38.

David Farreny, 13 avr. 2002
vigne

L’aspect des vignes revêt partout un caractère extrêmement désordonné en raison de la technique de propagation en usage : le marcottage ou provignage. La plantation initiale d’une parcelle s’effectue grâce à des boutures le plus souvent non racinées et plantées dans des trous ou des fossés assez espacés. Ensuite, les ceps sont multipliés par l’enfouissement dans le sol des sarments jugés vigoureux, lesquels sont séparés de la souche-mère après enracinement. On aboutit ainsi à une densité allant de 10 000 à 40 000 ceps à l’hectare. Un tel procédé, comme on peut s’en douter, donne une physionomie très opposée à celle des vignes actuelles bien peignées. Au bout de quelques décennies, même si la plantation initiale est disposée en lignes, le plus grand désordre règne dans la vigne, qui peut même être tout encombrée de bois mort. La conduite est basse, et dans ce cas, la vigne s’appuie sur des échalas, ou bien haute, et alors elle court souvent, à la façon méditerranéenne, d’arbre en arbre. Beaucoup de vignes sont, en effet, complantées d’arbres fruitiers variés, pratique qui nuit évidemment à la qualité de la production, tout comme l’édification de haies arborées entre les parcelles. Dans les vignes-jardins, deux techniques élaborées, probablement héritées de l’Antiquité, sont utilisées : la conduite sur treillage en berceau constituant une allée ombragée et sur treillage en toiture ou pergola recouvrant toute la surface d’une parcelle.

Jean-Robert Pitte, Histoire du paysage français, Tallandier, p. 144.

Guillaume Colnot, 13 sept. 2002
principe

Le poing de fer qui les a martelés a comme parachevé leur principe fossile, leur essence chtonienne. Écornés, rongés, feuilletés, sous le pilon, à l’instar de bancs sédimentaires, leur carcasse grise, herbue, a fini par se confondre avec l’écorce terrestre. N’étaient les couleurs piquées dessus, les écriteaux de tôle et l’esplanade ménagée à proximité, rien ne les distinguerait des reliefs entassés, entre Argonne et Woëvre, sur l’antique route des invasions. Quand on gagne la superstructure, on a besoin de se rappeler, de se dire qu’on a leurs deux étages, et les soutes, sous les pieds, qu’on en foule le toit, et non une quelconque portion de la surface du globe. Les inégalités sont telles qu’elles excluent l’idée d’ouvrage, de toit, d’art et de mesure, de fragilité qui signent la main de l’homme. Il n’y a que la vieille terre pour souffrir pareilles lésions et n’être pas percée, détruite, pulvérisée. Les projectiles de 400 — deux mètres de long et huit cents kilos — qui ont traversé, n’ont pas enlevé de grands pans de muraille, à peine dérangé les profondeurs obscures, compartimentées, de termitière. Le seul effet, indirect, de ces colossales atteintes, c’est l’inflexion, peu perceptible, qu’on observe dans la galerie où un dépôt de munitions, enflammé par un coup perforant, explosa. La paroi du fort a reculé d’une trentaine de centimètres et tout un bataillon — six cent soixante-dix hommes — fut foudroyé, dont on mura les restes dans une casemate.

Pierre Bergounioux, Le bois du Chapitre, Théodore Balmoral, pp. 50-52.

David Farreny, 21 oct. 2005
assaut

Parfois, de très grandes fatigues m’envahissent. Alors en moi l’esprit terre à terre rend son tablier. Il le plie soigneusement, le pose sur l’étagère à tabliers avec les autres, bien repassés, qui serviront plus tard, et se met en disponibilité, sachant qu’il n’est pas de taille à lutter. De très anciennes fatigues, issues intactes et parées de profondes ténèbres, fraîches comme au commencement du monde, inflexibles, chaleureuses. Elles m’enveloppent de leur vigilance, l’air absent, surgissent sans claironner. J’ai ainsi appris à être en communication muette avec les milliards de fatigues qui m’ont précédé. Cependant de ce contact inouï je ne peux rien retirer, aucun savoir, nulle connaissance. Je ne peux qu’y puiser la force d’attendre sans mourir la fin de l’assaut.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 12.

Élisabeth Mazeron, 11 oct. 2007
palais

Et la résolution de me taire durant le reste du trajet ; seul comme un petit chat dans une lessiveuse au couvercle fermé. Mais elle me délivra elle-même, lorsque son regard tomba par hasard sur la fenêtre : « Un vrai palais de fées ! ». À cette heure, cinq heures et demie du matin, la fabrique était déjà entièrement illuminée, sa façade scrutait la nuit d’hiver avec une centaine d’yeux, et je me demandais – me demandais : fallait être prudent ! – ce qui pouvait bien se passer dans une tête qui à la vue d’une fabrique de textiles laisse échapper l’expression “Palais de fées”.

Arno Schmidt, « Nuit roulante », Histoires, Tristram, p. 147.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
ici

Quelqu’un qui, venant ici pour la première fois, entendait cet assourdissant carillon et voyait toutes ces marbreries et ces pompes funèbres, pouvait penser qu’ici on ne vivait pas, qu’on ne faisait ici que mourir. À l’intérieur de ces magasins, les commerçants étaient assis près des cercueils, près des dalles funéraires, avec cette foi aveugle au fond d’eux-mêmes qui est celle de tout commerçant, cette certitude que les gens n’ont besoin que de leur marchandise, idée fixe qui non seulement les rendait heureux, mais grâce à laquelle ils s’enrichissaient, élevaient leurs enfants, entretenaient honorablement leur famille. Ákos a regardé par une des vitrines. Les cercueils en métal étaient les uns après les autres, de toutes les tailles, il y en avait même pour enfants, ce qui n’empêchait pas le boutiquier de fumer un cigare, la femme de lire le journal et le chat angora de faire sa toilette dans un cercueil en bois. Ce n’était après tout pas si laid.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 69.

Cécile Carret, 4 août 2012
éternelle

La jeunesse éternelle est impossible, même s’il n’y avait pas d’autre obstacle, l’introspection s’y opposerait.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 543.

David Farreny, 9 nov. 2012
vérité

Et ce qui s’imposa à moi dans cette matinée de janvier, et que le reste de ma visite ne vint pas contredire, ce fut la sensation, en ce lieu de convalescence, d’une sorte d’équivalent populaire de La Montagne magique, et cela non au prix d’un effort de pensée ou d’une réflexion, mais avec la spontanéité et le naturel d’une musique que j’aurais soudain entendue. Suite à ce choc devant l’évidence de ce roman virtuel, j’eus la certitude que le territoire tout entier était truffé de tels romans et qu’à ce titre il méritait d’être revisité, non par acquit de conscience mais parce qu’un puissant écho de vérité se dégageait de ces instants. C’est ainsi que l’idée me vint de dresser une liste de lieux dont je pouvais penser qu’ils me réserveraient de telles surprises : c’étaient les lieux eux-mêmes qui m’envoyaient leurs signaux, et ils le faisaient avec d’autant plus d’insistance qu’entre-temps, grâce aussi (à partir de 1997) à mon travail d’enseignement à l’École nationale de la nature et du paysage de Blois (travail dont bien des échos s’entendront dans ce livre), je me retrouvais plus souvent qu’auparavant sur les routes et porté par la nécessité d’interpréter, comme un apprenti musicien, la partition de ce que je voyais.

Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 12.

Cécile Carret, 15 déc. 2012
sauvage

Et, que cela ne mène qu’aux terres inhumaines,

qu’aux ports désaccordés comme de vieux pianos

et qu’il faille carder, sur des métiers nouveaux

la trame usée du même…

Qu’il ferait bon téter ton lait sauvage, ô vie,

que des clous seraient bons pour raviver le sang

qu’une tempête serait bienvenue, violente,

une tempête, une émeute.

J’ai soif de toi, échevelée,

pendant que mon œil fuit

le blanc vol de mouettes

douces comme un sanglot irréel de la chair.

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 28.

David Farreny, 20 juin 2013
peur

Elles l’ont vu avoir peur comme tant d’autres qu’elles ont oubliés, et nous-mêmes l’aurions oublié s’il n’avait eu que sa peur.

Pierre Michon, « Dieu ne finit pas », Maîtres et serviteurs, Verdier, p. 13.

David Farreny, 26 fév. 2014

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