Celui qui n’a rien n’est pas content.
Stéphane Mallarmé, « Thèmes anglais », Œuvres complètes, Gallimard, p. 1101.
Le chef ne fait que dire le chantier. Rien d’autre.
Si on l’écoute : où est le monde ? qu’est-ce qu’on fait ?
Comment savoir ?
On parle de rien ici.
C’est comme ça tous les jours.
Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, Gallimard, p. 42.
Il en tombe. On ne les revoit plus. Il en reste. Il en reste énormément.
Les nouveaux venus. La nouvelle agitation. La nouvelle explication. Nouveaux maléfices.
Criant, ils s’accrochent, ils s’accrochent. Tous, à tout prix, au moins une fois paraître à la terrasse.
À peine sachant lire, déjà empereurs. Des troupeaux d’empereurs.
Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1183.
Rien est un euphémisme.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 109.
— Mais moi monsieur, je travaille !
— Bien sûr, que pourriez-vous faire d’autre…
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 73.
tout ce métal tout ce granit tous ces étais
pour que tienne le pariétal
quand tu ne craindras plus les eaux
tu t’appuieras au fond du crâne
comme à ce mur chaud
qui fait oublier le glaucome du soleil
et regarderas devant
Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine, p. 39.
Je n’ose imaginer ce qui me serait arrivé si je n’avais pas été là pour prendre la fuite !
Éric Chevillard, « jeudi 13 juin 2019 », L’autofictif. 🔗
De ce jour datent ma défiance à l’égard des bandes où mon « je » – aussi inconsistant soit-il – aurait à se dissoudre dans la confusion – aussi structurée soit-elle – d’un « nous » et, plus profondément, mon malaise à exister avec ce qu’on appelle les gens. Une église, un parti, un syndicat, mais aussi ce genre de bandes où on revendique et cultive une identité ethnique, culturelle, sexuelle, que sais-je, sont des moi collectifs identifiables que je prends plaisir, s’ils me sollicitent, à éconduire ou à traiter comme des fâcheux. Ivresse bon marché de la distance et petit luxe du refus : rien de plus facile de m’affirmer sachant que personne ne m’oblige à adhérer ni même à sympathiser. Peine ou plutôt joie perdue avec l’incommensurable Léviathan que sont les gens et qui m’étreint comme chacune de ses victimes dans les tentacules de l’anonymat et de l’impersonnalité. Ce moi-là, rien ne l’entame et nul ne lui échappe. Les individus s’y fondent et s’y confondent ; il les absorbe dans son idiotie – et c’est pourquoi il y a des jours où j’éprouve une très forte envie de « sécher » la vie comme un lycéen parle de « sécher les cours », envie de rester chez moi, seul, absolument seul, sans rien donner de moi aux autres et sans rien recevoir d’eux. Mais malgré que j’en aie, je sens bien que mon « Je » est les gens, que je ne peux prétendre qu’à une singularité quelconque et que ma solitude n’est qu’un lieu commun.
Frédéric Schiffter, Sur le blabla et le chichi des philosophes, P.U.F., pp. 34-35.