« maintenant si jamais je te vois c’est toujours
comme une clé vivante. tes seins tes reins ta bouche
ce beau butin de nuits de portes et de joies.
comme une clé toute simple. un chiffre. une musique.
et le cours des choses va. on s’en étonne. les gens
qui songent à leur maison leur jardin leur enfance
les morts impersonnelles de petits fleuves des riens
des moments chaleureux des voyages et des actes
parfaitement accomplis. mais toi quand je te vois
verticale et brillante comme un astre de mai,
réelle : je deviens terre et vent je suis ta nuit
avec ses arbres et ses mots en mouvement
ce battement de voyelles parmi les tournesols
tes mains tes yeux ton jour comme une poignée d’oiseaux. »
Lionel Ray, « Célébration », Le nom perdu, Gallimard, p. 78.
Les domestiques m’ont toujours été terriblement pénibles. Quand j’en vois un le désespoir m’envahit. Il me semble que c’est moi le domestique. Plus il est plat, plus il m’aplatit.
Henri Michaux, « Un barbare en Asie », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 319.
Si l’on suppose une affinité entre les lieux et les gens, il était prévisible que François Bon passerait un jour par Syam. C’est dans les pages qu’il a écrites à cette occasion que se dégage la vérité approchée, double, sentie et significative d’un travail qui demandait, pour être dit, établi dans sa totalité, un être divisé, touchant par une part de son expérience et de son ascendance au monde industriel et, par l’autre, à l’ordre des symboles. Lorsqu’on vient après lui, on voit le pas complexe que dessinent, sur le pavement de fonte, les chaussures mouillées des ouvriers, certain mouvement de tout le corps qui accompagne l’insertion du lopin entre les cylindres, les entretoises en bois, serrées par des tendeurs de bicyclette, sur l’arbre de transmission, la barre de métal — bête vaincue traînée à main d’homme sur le vieux sol — juste avant la passe de finition.
Pierre Bergounioux, Les forges de Syam, Verdier, p. 64.
Comme à ce roi laconien
Près de sa dernière heure,
D’une source à l’ombre, et qui pleure,
Fauste, il me souvient ;
De la nymphe limpide et noire
Qui frémissait tout bas
— Avec mon cœur — quand tu courbas
Tes hanches, pour y boire.
Paul-Jean Toulet, Les contrerimes, Gallimard, p. 55.
Lorsqu’on voyage en seconde classe, on ne voit pas bien la nécessité des premières ; mais la réciproque n’est pas vraie.
Bernard Delvaille, « Vesteraalens Dampskibsselskab », Le plaisir solitaire, Ubacs, p. 49.
Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi.
Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 485.
Tout voyage est une talonnade de plus dans la boule de ce monde que nous finirons par envoyer rouler pour de bon derrière nous.
Éric Chevillard, « mercredi 23 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗